La valeur ne se chiffre pas

Toute la science économique est fondée sur le chiffrage de la valeur et, comme chacun a pu le constater, si la parole ouvre le débat, le chiffre le ferme. Les discussions d’économistes sont tristes car elles sont très souvent des querelles de chiffres que personne ne peut ni vérifier ni contester puisqu’ils viennent d’autres économistes réputés impartiaux et qu’ils sont l’aboutissement d’un labyrinthe inconnu que personne ne peut réellement explorer.

Or la valeur se marie mal avec la mathématique. La valeur n’est qu’un regard. A chacun son regard qui peut d’ailleurs varier dans l’espace et dans le temps. Le regard que l’on porte sur un verre d’eau ne sera pas le même en plein Sahara, à côté d’un torrent alpin ou dans une soirée mondaine. Le regard porté sur l’homosexualité va être liberté à Paris et crime à Téhéran. « Quelle est cette vertu que trajet d’une rivière fait crime ? » disait Montaigne. Telle activité ou tel objet n’aura pas la même valeur à 20 ans et à 60 ans. L’or et l’argent n’avaient pas la même valeur dans l’Europe de Christophe Colomb et chez les indigènes des Amériques.

Si deux personnes portent le même regard sur le même objet au même moment et au même endroit, ils lui donneront la même valeur et si l’un veut le vendre et l’autre l’acheter, ce sera le prix de cet objet entre eux deux, à ce moment-là et à cet endroit-là. Il n’y a rien à en tirer d’autre si ce n’est que pour celui qui achète ce sera une valeur d’usage puisqu’il va s’en servir, et pour celui qui vend une valeur d’échange puisqu’il va en tirer de l’argent. Mais s’il n’y a pas à cet instant-là volonté de s’en séparer et volonté d’acquérir, ce sera simplement une valeur, un regard personnel éventuellement partagé.

Parler de « création de valeur » ou de « taxe à la valeur ajoutée » n’a aucun sens (sauf le mot taxe) car le même objet peut être vu comme une richesse, un encombrement ou un déchet. Le crottin de cheval est richesse pour le jardinier, encombrement pour le promeneur et déchet pour le cheval. Il n’a pas de valeur unique.

La valeur est une notion philosophique. Vouloir la chiffrer c’est faire de la mathématique sur de la philosophie et c’est rigoureusement impossible.

Lorsque les Politiques parlent de leurs valeurs, ils savent qu’ils parlent de leurs regards qui sont toujours tournés avec ornières vers la prochaine élection. Il faut faire saliver les électeurs mais surtout ne pas être précis car certains recracheraient. Les Politiques savent que les valeurs ne se chiffrent pas.

Plus sérieusement la valeur étant un regard, elle est le vrai, le bien et le beau. Elle est ce que je crois vrai, ce que je répute être le bien et ce que je considère comme beau. La valeur est le lien entre des personnes qui, ayant le même regard, constituent un groupe avec une même vision du futur à construire sur des bases assez semblables.

Aujourd’hui la valeur a été kidnappée, au singulier par les économistes, au pluriel par les politiques. Il serait bon de prendre conscience qu’un regard commun sur le beau, le bien et le vrai nous manque dramatiquement. Chacun se replie sur soi et attend le choc. Essayons au moins de comprendre pourquoi.

Les économistes sont des jean-foutre

Ce qui est stupéfiant, c’est le côté révérencieux que tout le monde semble avoir vis-à-vis de la prétendue science économique qui habille des banalités affligeantes avec de la mathématique et dont les professeurs assènent des contre-vérités auxquelles il ne peuvent pas croire eux-mêmes. Ils ne donnent leurs diplômes qu’aux étudiants suffisamment fragiles pour répéter, sans vraiment comprendre, tout ce qu’on leur a embecqué.

Le PIB est présenté par l’INSEE sur son site de la façon suivante le 1er octobre 2012 (la colorisation m’est personnelle)  :

Produit Intérieur Brut (PIB) et grands agrégats économiques
Les comptes de la Nation – Base 2005
Date de mise à jour : 15 mai 2012
Le produit intérieur brut (PIB) est le principal agrégat mesurant l’activité économique. Il correspond à la somme des valeurs ajoutées nouvellement créées par les unités productrices résidentes une année donnée, évaluées au prix du marché.
Il donne une mesure des richesses nouvelles créées chaque année par le système productif et permet des comparaisons internationales.
Le produit intérieur brut est publié à prix courants et en volume aux prix de l’année précédente chaînés. Son évolution en volume (c’est-à-dire hors effet de prix) mesure la croissance économique.
Les grands agrégats économiques associés au PIB sont le revenu national brut (RNB), la capacité ou le besoin de financement de la nation, les grandes composantes de l’équilibre entre les éléments de l’offre (PIB, importations) et de la demande (consommation, investissement, exportations), la ventilation des facteurs de production (emploi, stock de capital) par secteurs institutionnels (entreprises, ménages, administrations publiques considérés comme producteurs de richesses) et la valeur ajoutée qu’ils génèrent.

Sur cette base de création de richesse, tous les raisonnements tendent à faire venir cette croissance, cette augmentation du PIB que nous allons nous partager. C’est beau comme l’antique et on se laisserait presque prendre à cet hameçon séduisant si le même INSEE dans ses définitions ne nous apprenait pas, toujours au 1er octobre 2012, que :

Produit intérieur brut aux prix du marché / PIB
Définition
Agrégat représentant le résultat final de l’activité de production des unités productrices résidentes.
Il peut se définir de trois manières :

– le PIB est égal à la somme des valeurs ajoutées brutes des différents secteurs institutionnels ou des différentes branches d’activité, augmentée des impôts moins les subventions sur les produits (lesquels ne sont pas affectés aux secteurs et aux branches d’activité) ;

– le PIB est égal à la somme des emplois finals intérieurs de biens et de services (consommation finale effective, formation brute de capital fixe, variations de stocks), plus les exportations, moins les importations ;

– le PIB est égal à la somme des emplois des comptes d’exploitation des secteurs institutionnels : rémunération des salariés, impôts sur la production et les importations moins les subventions, excédent brut d’exploitation et revenu mixte.

Il faut d’abord nettoyer ces définitions d’un charabia destiné à ne pas être dérangé par tous ceux qui ne font pas partie de l’Eglise économique. On dit «Formation brute de capital fixe» et «Emplois finals intérieurs de biens et de services» car «Investissements» et «Dépenses» risqueraient d’être compris par les gens simples. En fait l’INSEE rappelle discrètement dans ses définitions que le PIB est soit tout ce qui est produit, soit tout ce qui est dépensé, soit tout ce qui est distribué. Mais il doit avoir comme mission de ne donner qu’un éclairage valorisant, celui de la production. Dire qu’il suffit de dépenser pour faire de la croissance fragiliserait ceux qui voulaient aller la chercher avec les dents ou ceux qui veulent l’intégrer à un pacte européen.

Pour bien comprendre la « production » dont parle le PIB, imaginons un SEL (Système d’Echange Local) d’une centaine de personne qui crée une monnaie qu’il appelle piastre, il en fabrique une certaine quantité qu’il va distribuer à ses adhérents qui vont s’acheter les uns aux autres les biens et les services dont ils ont besoin. Imaginons même que nous soyons au mois d’août et qu’aucun autre habitant que les membres du SEL ne soit présent et que l’euro ne soit pas utilisé. Les piastres tournent et tout ce qui est produit dans le SEL est évidemment égal à tout ce qui est dépensé dans le SEL et est aussi évidemment égal à tout ce qui a été distribué aux membres du SEL si l’on a fabriqué juste ce qu’il fallait de piastres. Nous avons les trois définitions du PIB de l’INSEE et nous voyons même que l’INSEE oublie la 4ème définition de ce même PIB qui est l’argent circulant. Le PIB est en effet la quantité d’argent en circulation que l’on peut voir comme l’argent créé pour le groupe multiplié par sa vitesse de circulation, comme la production effectuée par le groupe traduite en argent, comme l’argent dépensé par le groupe et enfin comme l’argent circulant entre les membres du groupe. Ces quatre regards ont évidemment le même chiffrage et personnellement j’opte pour le calcul du PIB le plus simple : additionner toutes les dépenses publiques et privées.

Le plus simple n’est plus en effet de calculer l’argent créé depuis que les banques ont créé tellement d’argent virtuel par la double écriture que personne ne peut avoir une idée chiffrée de l’argent créé. Le plus simple n’est évidemment pas non plus de faire ce que fait l’INSEE sur ordre, à savoir l’éclairage production, car étant incapable de chiffrer ce que peut produire l’admin istration, l’INSEE utilise l’éclairage dépense pour trouver la production : l’administration rapporte ce qu’elle coute. Plus elle coûte plus on fait de croissance. Mais les politiques n’aiment pas qu’on leur rappelle que pour faire de la croissance il suffit de dépenser davantage.

Le PIB n’est donc qu’une quantité de monnaie en circulation qui n’a rien à voir avec une production réelle. La croissance du PIB a pourtant deux gros intérêts pour les politiques : elle constate l’emploi donné en dépensant et elle enrichit l’Etat qui pompe sur tout mouvement qu’il ne fait pas lui-même. Décembre 1999 a donné beaucoup de travail pour nettoyer les côtes du pétrole de l’Erika et pour réparer les dégâts des deux tempêtes qui ont traversé la France. Cela a terriblement enrichi l’Etat qui grâce à la TVA s’est constitué une « cagnotte » dont il était un peu gêné. Keynes proposait que la moitié de la population creuse des trous que la seconde moitié reboucherait. Quelle croissance ! Sur la TVA et sur les charges sociales des boucheurs déboucheurs, l’Etat ferait fortune. Le seul problème, et c’est celui de la croissance, c’est de savoir qui la paye. Qui a payé la fabuleuse croissance de décembre 1999 dont nous nous serions bien passés ? Il était piquant de voir Nicolas Sarkozy critiquer François Hollande et ses centaine de milliers de fonctionnaires supplémentaires alors qu’embaucher des fonctionnaires augmente le PIB puisque, rappelons-le, pour l’INSEE l’administration rapporte ce qu’elle coute. C’est moins intéressant pour l’Etat car il n’y a pas de TVA mais l’emploi et la croissance s’y retrouvent.

Les politiques et les « économistes » n’osent pas demander qui paye la croissance. Ils disent « Il faut la financer » et pour tenir dans ce monde aberrant ils ont besoin de partenaires qui sont le système bancaire international qui tient le rôle d’usurier en prêtant l’argent qui fait croire que nous sommes riches et que la croissance crée des richesses comme a le culot de l’écrire l’INSEE. Jean-Luc Mélenchon disait lors de sa campagne que la France n’avait jamais été aussi riche de toute son histoire. En réalité elle n’est riche que de ses dettes et elle s’est vendue au système financier mondial pour permettre à la SPP (Société Protectrice des Politiques) de sauver la classe politique droite et gauche confondues. Ils veulent tous la croissance et donc qu’il faut dépenser plus. Mais ils disent tous qu’il faut rembourser les prêts et donc qu’il faut dépenser moins.

Ils continuent tout de même à se différencier pour pouvoir se combattre et apporter au peuple ces jeux du cirque qu’il affectionne. Ceux qui se disent de gauche prétendent qu’il faut dépenser plus pour dépenser moins (consommation moteur de la croissance) pendant que ceux qui se disent de droite affirment qu’il faut dépenser moins pour dépenser plus (investissement moteur prudent de la croissance). Il n’y a que François Bayrou à vouloir faire les deux.

Ils veulent tous revenir à l’intelligence suprême de Maastricht qui est de ne dépenser que 103 % du PIB sachant que Guy Abeille haut fonctionnaire à la direction du budget avoue dans le Parisien du 28 septembre 2012 avoir sorti à l’époque de son chapeau ces 3% « chiffre né sur un coin de table » à la demande de Mitterrand qui voulait « une règle facile qui sonne économiste ». Il dit avoir choisi un pourcentage du PIB parce qu’en « économie tout le monde se réfère au PIB ». Bonjour Panurge ! Dès que l’on comprend que le PIB est la dépense, on comprend que nous nous sommes engagés, droite et gauche confondues, à ne pas dépenser plus de 103 % de… ce que nous dépensons.

Ce système aberrant est pourtant farouchement défendu par la classe politique car il permet de faire croire au peuple que le fait de vivre mieux que nos grands-parents est dans l’ordre naturel des choses. Ils sont tous farouchement opposés au protectionnisme qui nous mettrait en face de nous-mêmes et de nos contradictions. Je regrette déjà le conditionnel de ma phrase car c’est un futur inéluctable. Le protectionnisme nous mettra en face de nous-mêmes et de nos contradictions. Soit en douceur et avec intelligence, soit en un instant par la guerre.

Une pensée maîtresse du monde

Le 17 mars dernier au Sénat se tenait un colloque organisé par l’association Démocraties au cours duquel j’ai dit ces quelques mots :

Il m’a été proposé de travailler « L’argent et l’économie sont la création d’une pensée devenue maîtresse du monde ». Je ne peux que le constater et le déplorer. Je vais essayer de vous en proposer une explication.

L’oïkos, la maison en grec, a donné le préfixe éco à l’économie, l’action dans la maison, et à l’écologie, l’étude de la maison. Malheureusement l’expérience tirée de l’économie et la connaissance tirée de l’écologie n’ont pas réussi à s’associer au discernement pour faire vivre l’écosophie, la sagesse de la maison, dont le but est d’exprimer les problèmes et d’en explorer les réponses possibles.

Le siècle des Lumières a éveillé en Occident le « Yes we can » qui a fait florès depuis, et l’homme occidental s’est décrété encyclopédique. Il a cru avoir atteint la Vérité avec un grand V, l’etumos grec alors qu’il n’était, comme les autres, que dans l’aletheia, la vérité contingente, celle du groupe, celle qui devient erreur en franchissant les Pyrénées comme le disaient Montaigne et Pascal. Mais ce souffle de confiance en soi, marié au savoir universel Hégélien et à la puissance Nietzschéenne a donné corps à tous les rêves adolescents. Du premier rêve adolescent « Je suis le plus fort et le plus beau », nous avons fabriqué le fascisme. Du deuxième rêve adolescent « Personne ne me donne d’ordre », nous avons fabriqué le communisme car la dictature du prolétariat n’a jamais été qu’une étape vers l’absence d’Etat. Du troisième rêve adolescent « La vie est facile et tout m’appartient », nous avons fabriqué le capitalisme. Ces trois idéologies fondées sur la prétendue capacité de l’homme a tout résoudre, se sont voulues modernes, c’est-à-dire « à la mode », vecteur de progrès sans dire vers où, et universelles puisque ne supportant pas plus la contradiction qu’un rouleau compresseur. Toutes ces idéologies ont voulu faire croire qu’elles venaient du peuple alors qu’elles étaient venues de l’esprit d’intellectuels, certes brillants, pendant que le peuple était, lui, déjà condamné au concret. Elles ont développé au siècle dernier deux courroies de transmission, les médias pour séduire et l’administration pour maitriser. Dans les trois cas les médias ont glissé vers la propagande, et l’administration est devenue policière, ce qui a séparé encore davantage le peuple de ses élites qui ont eu du mal à réaliser que séduction et contrôle rendaient de plus en plus difficiles leur réconciliation avec le peuple.

Aujourd’hui l’Occident est divisé entre ses peuples et ses classes dirigeantes. Les peuples tentent de survivre et transforment leur peur de l’avenir en haine de soi (chacun doit avoir son psy) ou en haine des autres avec la montée de la violence. Les classes dirigeantes, malades de leur vanité font corps avec le capitalisme. Or le capitalisme, fort de la mort de ses deux concurrents, pense avoir réalisé leur rêve et avoir enfin réussi à construire cette tour de Babel qui transperce le ciel. Le capitalisme est convaincu d’avoir transformé sa médiocre vérité contingente en vérité universelle et mondialisée. La pensée occidentale se réduit jour après jour à une gestion des contradictions du capitalisme, à un « faire croire » sans y croire et à une immédiateté qui a peur d’un lendemain que personne ne voit plus. Comme tout ce qui est faible, la pensée occidentale se protège par des affirmations péremptoires. Nos élites sortent d’écoles où on leur a fait croire qu’elles étaient les meilleures et d’universités où, pour avoir leur diplôme, elles ont répété sans comprendre ce qu’elles ont entendu. La pensée occidentale a fortement décliné en discernement, en courage et même dans la perception de la réalité.

Les applications de ce constat difficile sont nombreuses. Les décisions fondées sur les fausses certitudes s’opposent à la vérité des faits comme des plaques tectoniques qui, s’avançant l’une vers l’autre, conduisent toujours aux séismes. La classe dirigeante appelle ces séismes « La crise » car cela lui donne l’impression que cela s’arrêtera de soi-même et surtout qu’elle n’en est pas responsable. Notre élite est perdue et n’arrive même plus à se l’avouer tellement il lui faudrait accueillir le fait de s’être trompée pendant des décennies. Les communistes ont fait ce deuil, avec difficultés, mais les capitalistes n’arrivent pas encore à réaliser que leur voie aussi est sans issue. Notre élite se repose unanimement sur un quadrige de fées qui doit tout résoudre. La fée innovation pour changer le temps, la fée Europe pour changer l’espace, la fée formation pour changer les hommes et la fée croissance qui doit fabriquer dès son retour prochain les richesses qui régleront tous nos problèmes.

Nous connaissons tous le conte d’Andersen « Les habits neuf de l’empereur » dans lequel des escrocs convainquent l’empereur, de la beauté d’un tissu que les imbéciles ne peuvent pas voir. Tout le monde, y compris l’empereur, admire la beauté du costume fabriqué par les escrocs avec ce merveilleux tissu jusqu’à ce qu’un enfant dise « Mais il est tout nu ! ». En 1971 le très sérieux New England Journal of Medecine publia un article intitulé « Syndrome des habits de l’empereur » dans lequel il expliquait qu’un diagnostic erroné peut être confirmé par plusieurs médecins par « contamination du diagnostic précédent ».

C’est ce qui se passe avec la science économique, tissu d’analyses erronées et terriblement contaminantes. Molière fait dire à Sganarelle à l’attention de ce benêt de Géronte : « Et voici pourquoi votre fille est muette » après un salmigondis incompréhensible. Les économistes et les politiques ne font pas mieux quand ils assènent à la méthode Coué qu’il faut aller chercher La croissance car elle seule nous sortira de La crise. Personne ne comprend mais personne n’a le courage de le dire. Faut-il qu’un enfant vienne réveiller les adultes ?

Parmi les analyses défectueuses de la science économique, la plus criante est probablement celle de la monnaie et, si l’on comprend les angles de vues réduits d’Adam Smith et de Karl Marx, on comprend plus difficilement qu’ils n’aient jamais été remis en cause. A en croire la science économique « au début était le troc et un jour c’est devenu trop compliqué et on a inventé la monnaie ». Si elle avait raison dans sa vue matérialiste et si le troc était au début de tout groupe et avait précédé la monnaie, maman ne ferait l’amour que contre le chèque des courses et papa n’emmènerait les enfants à l’école que s’ils avaient débarrassé la table et fait leurs lits. C’est évidemment faux et pourtant chacun se soumet. Dans la réalité un groupe se constitue pour une raison d’être ensemble. Les individus se rassemblent pour survivre, pour se défendre, pour attaquer, pour se reproduire, pour grandir ou pour voyager. Ce qui réunit les membres du groupe c’est leur vision commune de leur lendemain commun, c’est leur lien social. A l’intérieur de ce lien social on va tout naturellement constater à la fois l’émergence d’une direction, d’une tête, individuelle ou collégiale, ainsi qu’une répartition du travail à faire où chacun fera naturellement ce qu’il sait faire le mieux. Chacun, mu par sa conscience ou par son désir, donnera le meilleur de lui-même et accueillera les autres comme ils sont. L’organisation du groupe se fera autour de la répartition du travail, ce qu’Adam Smith et Karl Marx étudiaient comme la division du travail. Ils le voyaient comme un échange des biens et des services alors qu’il est beaucoup plus fondamentalement un échange des êtres, un don de soi à la collectivité et un accueil de tous les autres. Tout naturellement le groupe s’organisera pour que les besoins divers des uns soient satisfaits par le travail des autres et réciproquement. Chacun contribuera sans rien chiffrer à la réalisation du lien social, à l’harmonie du groupe. Si telle fonction essentielle n’est pas remplie spontanément, la direction utilisera son autorité pour qu’elle ne manque plus. Le groupe ne sera pas dans le troc, il ne sera pas dans l’échange des avoirs mais dans l’échange des êtres, dans le don de soi et dans l’accueil des autres. Il sera dans l’efficacité d’être ensemble, efficacité complexe dont l’échange des biens et des services n’est qu’un regard superficiel. On observe encore aujourd’hui cette sorte de constitution dans toutes les nouvelles associations loi de 1901.

Chacun apportera à la collectivité sa personne, ce qu’il saura faire, ce que son travail passé lui aura appris et ce que son travail présent lui fera réaliser. Il recevra pour cela la part de l’œuvre collective à laquelle il aura droit sur le chemin commun de la réalisation du lien social, du but commun. S’il se relâche plus que de raison, la direction du groupe le rappellera à l’ordre.

Ce don de soi, le don de son énergie individuelle, de son travail, manuel et intellectuel, crée un échange d’énergie entre les membres. Cet échange d’énergie renforce le lien social et soude encore davantage le groupe. Limiter l’échange d’énergie à l’échange des biens et des services est dangereusement réducteur. C’est en réalité beaucoup plus complexe que cela puisqu’il s’agit d’un échange d’énergie humaine.

Les énergies individuelles sont comptabilisées dans la mémoire du groupe et la stabilité sociale exige que l’énergie produite par chaque membre soit équilibrée par rapport aux autres et bien répartie entre chacun. A titre d’exemple, dans une famille on dira à un enfant : « Dis donc, tu pourrais aider ! Tu ne fais rien, tu laisses tout faire aux autres, mets la table et range ta chambre ». L’harmonie du groupe se maintient parce que le pouvoir veille à ce que chacun se dépense. Le pouvoir a la mémoire du travail de chacun.
Mais quand le groupe devient important en nombre, la mémoire du pouvoir perd de son efficacité et la réalité du travail de chacun est de plus en plus difficilement contrôlable. Alors le pouvoir, laxiste ou débordé, se sentant incapable de surveiller la réalité de l’apport de chacun, invente la monnaie La monnaie sera en effet la mémoire du travail passé des membres du groupe. La racine du mot monnaie tout comme le mot monument vient du grec mnêmosunê, « dont on se souvient ». Martin Litchfield West, professeur émérite au All Souls College d’Oxford, nous en explique même la forme causative dans son livre Indo-european poetry and myth paru en 2007 à l’University Press d’Oxford.

« Moneta désigne, nous dit-il, la déesse qui monet, c’est à dire qui fait se souvenir, moneo étant une forme causative de la racine *men-. »

Moneo étant une forme causative, la cause du monument comme de la monnaie est de se souvenir.
Pour ce faire le pouvoir a choisi des matière recherchées, pérennes, rares, divisibles et transportables comme de petits coquillages peu communs, du sel ou plus tard, du bronze, du cuivre, de l’argent ou de l’or. La monnaie sera également la preuve du travail présent car la monnaie force à chiffrer les biens et les services et contraint chacun à gagner son argent. La monnaie devient l’énergie commune, l’énergie sociale.

Cette énergie sociale n’existe que par la reconnaissance par le groupe que la monnaie est accumulation collective des énergies individuelles, cumul du travail des membres du groupe. Chacun sait que l’énergie est toujours très difficilement stockable mais l’homme a réussi à stocker son énergie personnelle dans la monnaie. La monnaie est énergie sociale, substitut de l’énergie humaine. Mais comme ce substitut n’est au départ reconnu que par les membres du groupe, la monnaie est aussi le symbole du lien social dont le pouvoir est garant, ce qui donne à ce dernier le droit de battre monnaie.

Mais battre monnaie ne peut se faire que si parallèlement il y a davantage d’énergie humaine à stocker. Le pouvoir doit vérifier que l’énergie humaine du groupe a véritablement augmenté par le travail ou la procréation. Si ce n’est pas le cas cette fausse monnaie sera automatiquement annulée par deux impôts que le peuple paye : la dévaluation pour ceux qui gardent leur argent et la hausse des prix pour ceux qui le dépensent. M. Asselain, professeur d’économie à Bordeaux IV a donné au ministère des finances le 4 février 2002 une conférence où il rappelait que le franc Poincaré de 1910 n’avait rien perdu pendant plus d’un siècle sur le franc Germinal de 1802 alors que lors du passage à l’euro le franc avait perdu 99,95 % de sa valeur Poincaré. Le XXème siècle a été le siècle de la fausse monnaie occidentale.

Le système capitaliste réussit alors un coup fabuleusement pervers : il fait de ses victimes ses complices. L’épargnant, pour ne pas voir ses économies dévaluées va les placer à intérêt et fabriquer à son tour de la fausse monnaie qui créera une nouvelle dévaluation et une nouvelle hausse des prix. Le consommateur, voyant les prix monter et sachant que son épargne sera dévaluée, va tout dépenser pour le plus grand bonheur du système et qui le félicitera de faire la croissance tant attendue pour enrichir l’Etat et donner de l’emploi.

Le capitalisme n’a jamais accepté l’évidence qu’une énergie ne se multiplie pas d’elle-même. Il est aussi impossible de fabriquer de l’électricité avec de l’électricité que de faire de l’argent avec de l’argent. Toutes les sagesses nous le disent depuis des siècles. Aristote écrivait dans la Chrématistique : « J’ai vainement cherché sur une pièce de monnaie ses organes reproducteurs ». L’Islam condamne la riba, l’intérêt du prêt, l’usure, comme le christianisme et le judaïsme. Luther écrit dans son grand sermon sur l’usure : « Il y a usure dès que l’on demande plus qu’on a prêté ». Les papes Benoit XIV et Grégoire XVI ont mis dans une encyclique : « Si une personne a reçu plus qu’elle n’a donné, elle est tenue à restituer le trop perçu ». Nous, nous avons préféré changer le sens du mot usure et laisser un monde financier lever un impôt privé. Nous commençons à payer notre erreur.

Le bon sens serait de marier l’énergie humaine stockée qu’est la monnaie avec l’énergie humaine vive qu’est le travail pour créer des richesses aux yeux du groupe. L’Etat, pouvant lever l’impôt, pourrait même financer par des prêts à intérêt les activités utiles au groupe. Ce serait moins grandiose que le rêve capitaliste mais tellement plus réaliste.

L’incompréhension de ce qu’est la monnaie entraîne bien d’autres non-sens comme le PIB présenté comme un produit alors qu’il n’est qu’une addition de toutes les dépenses qu’elles soient utiles ou inutiles. On nous fait croire qu’un pays à fort PIB est un pays riche. Ce n’est qu’un pays dont les habitants dépensent beaucoup. Et quand c’est avec de l’argent emprunté à des banques qui le créent, cela fait un pays plus stupide que riche.

Voila pour l’économie mais les contradictions de la pensée occidentale ne se limitent pas à l’économie et la plaque tectonique de notre vanité s’oppose en tous domaines à celle de la réalité.
Pour la gouvernance des peuples « Un homme une voix », base théorique de la démocratie, s’oppose à l’observation que c’est la façon la plus efficace de donner définitivement le pouvoir à l’argent sans possibilité de retour en arrière.
Concernant l’éducation, on l’a limitée à l’instruction alors qu’une accumulation de connaissances savamment sélectionnées n’a jamais généré le discernement qui manque cruellement et qui n’intéresse pas les tenants du système prétendument éducatif.

Ce qui est surprenant c’est que la plupart des dirigeants de la Terre, déformés dans les universités occidentales, se coupent de leurs peuples et de leurs cultures en tentant de suivre notre chemin sans issue parce qu’on les achète avec notre fausse monnaie qu’ils viennent d’ailleurs dépenser chez nous.

Partout les révolutions couvent car les peuples ne peuvent suivre les idéologies mondialistes. Les peuples savent inconsciemment que si nous voulons tous le même pétrole et la même viande nous nous entretuerons pour les posséder dès que le faux argent aura fait long feu. Chaque culture devrait chercher en elle-même comment sauver son peuple de la bêtise capitaliste et de ses valeurs prétendument universelles. Quant à nous la vraie difficulté va être de reconnaître que nous sommes dans un paradigme impossible et que nous avons emprunté une voie sans issue depuis plus d’un siècle. La fuite en avant de notre fausse élite et le bon sens populaire que le concret conserve, vont s’affronter comme on commence à le voir en Grèce. Pour éviter que cela ne se termine en fleuve de sang, nous devons convaincre nos contemporains qu’il est grand temps de se réveiller.

Il m’intéresserait d’avoir des commentaires afin de comprendre pourquoi rien ne bouge.

La richesse n’est qu’un regard

Le XXème siècle, a été le siècle du triomphe éphémère des trois idéologies fasciste, communiste et capitaliste. Il nous a habitués à tout chiffrer car le chiffre, la plupart du temps asséné et invérifiable, donne un vernis scientifique et coupe court à toute discussion. Les politiques sont passés maîtres dans l’art de jouer avec les chiffres. Ils se lancent avec talent  dans ces fameuses batailles de chiffres qui feraient presque croire à leur sérieux.

Si la parole ouvre le débat, le chiffre le ferme et arrête la réflexion. C’est probablement la raison pour laquelle les idéologies aiment tout chiffrer.

L’exemple de la richesse est révélateur. Nous savons que riche vient du mot franc rikki qui veut dire pouvoir et le pouvoir se chiffre mal. J’ai souvent pris l’exemple du crottin de cheval qui est richesse pour le jardinier, déchet pour le cheval et encombrement pour le promeneur. Nous pouvons prendre aussi l’oxygène, excrétion du règne végétal et richesse du règne animal. L’antiquaire, le brocanteur ou le ferrailleur ne ramassent-ils pas les déchets et les encombrements des uns pour les proposer comme richesses aux autres ? Le siècle des grandes découvertes a enrichi l’Occident de métaux précieux, d’épices et de tissus admirables que nos ancêtres échangeaient contre ce qu’ils appelaient de la pacotille. Ils souriaient de la naïveté de leurs partenaires … qui devaient en faire autant ! Une maison construite sans permis sur un littoral corse est-elle une richesse, un encombrement ou un déchet à faire disparaitre ?

La richesse n’est qu’un regard et le triple drame économique du capitalisme est d’avoir voulu la chiffrer, la croire universelle et la décréter objective.

L’incroyable imbécilité du PIB qui additionne nos dépenses pour nous les présenter comme des richesses, est stupéfiante dans tous les sens du terme. L’INSEE qui tente de calculer le PIB ne se demande même pas si ces dépenses sont utiles ou stupides, si elles sont faites avec de l’argent économisé ou de l’argent emprunté. Nous dépensons donc nous sommes riches et il faut dépenser toujours davantage. On fait la même croissance en dépensant l’argent des autres grâce à l’exportation comme l’Allemagne ou en dépensant un argent que l’on emprunte pour acheter ce que l’on importe comme la France.

Faut-il vraiment parler de crise ? Ne faudrait-il pas mieux constater le chant du cygne d’une idéologie qui ne cherche même plus à s’expliquer ? Comme l’ont fait avant elle ses grandes sœurs, les idéologies fasciste et communiste, l’idéologie capitaliste recule les échéances de son déclin en envoyant toujours davantage son clergé dans les médias pour séduire et en alourdissant en permanence  le fardeau qu’elle fait supporter au peuple par, au choix, la dévaluation, la hausse des prix ou le chômage.

Le cycle politique

Il y a 5 ans en 2007, j’avais écrit « Le quadrige des fées » et en le retrouvant j’observe avec tristesse que je pourrais le réécrire aujourd’hui sans en changer un mot. Toute la classe dirigeante dit aujourd’hui qu’en 2007 personne ne pouvait prévoir les problèmes actuels. C’était l’époque où l’on était si fier qu’un Sarkozy vienne enfin faire bouger les lignes. J’ai envie de reproposer mon article quand un Hollande vient enfin faire bouger les lignes. Je pense le reproposer dans 5 ans à un Copé ou à un Valls quand il viendra enfin faire bouger les lignes si la grande violence ne l’a pas fait avant.

Le quadrige des fées

Si j’entends bien les médias il y a unanimité pour aller chercher la croissance qui nous manque, et investir massivement dans la recherche et dans la formation pour rentrer enfin dans la culture de l’innovation et répondre ainsi aux défis de notre temps.

De plus grâce au traité simplifié, nous allons redonner force à l’Europe dont nous avons tellement besoin pour peser, face aux poids lourds mondiaux, présents et futurs.

La droite comme la gauche, le gouvernement comme l’opposition, le patronat comme les syndicats, le public comme le privé, les acteurs comme leurs détracteurs ne se différencient que sur la façon de faire venir la croissance, de construire l’Europe, d’investir dans la formation et de ne pas lésiner sur la recherche. J’ai beau écouter de toutes mes oreilles je n’entends rien d’autre pour nous sortir de ce que quelques fous continuent à appeler notre déclin.

Tout va aller mieux grâce à ce quadruple moteur qui va nous emmener vers demain. Personne ne conteste que la croissance, la formation, la recherche et l’Europe soient les propulseurs de notre succès futur, le quadrige qui nous mènera vers un demain prometteur. On ne se bat que pour diriger ce quadrige, que pour en être l’aurige.

Mais alors pourquoi toute une génération de quadras qui se sent sacrifiée par la génération soixante-huitarde, prépare-t-elle ses enfants à quitter la France ? Mais pourquoi donc ceux qui ne peuvent ou ne veulent la quitter se replient-ils sur le monde associatif et sur leur quotidien en s’évadant dès que possible dans les week-ends, les antidépresseurs ou la première coupe du monde venue ? Pourquoi les quelques-uns qui tentent de bouger, patinent-ils en niant même leur sur-place qu’ils ne comprennent pas ?

Ces quatre moteurs pourraient-ils être de simples fées dont les baguettes entrecroisées soutiendraient nos dirigeants comme la corde soutient le pendu ? La croissance, la formation, la recherche et l’Europe sont-elles des fées Mélusine ou des fées Carabosse ?

La première fée à implorer est la croissance que personne ne définit autrement que comme l’augmentation des richesses ou du PIB et dont il nous manquerait le point que notre Président va aller chercher avec les dents.

Il est dommage que personne n’ait envie de voir qu’entre une richesse, un encombrement et un déchet, il n’y a qu’une différence de regard. Un déchet et une richesse ne se différencient que par la subjectivité qui les regarde. Le jardinier, le cheval et le promeneur ne voient pas le crottin de la même manière. Richesse de l’un, déchet de l’autre, encombrement du troisième.

Qui ose dire que le PIB est une imbécillité qui ne veut rigoureusement rien dire sinon qu’il bouge chaque fois que l’on dépense de l’argent ? Personne n’a envie de voir que la croissance n’est que la dépense et que nous y mélangeons indistinctement les consommations intelligentes et les destructions stupides, les investissements judicieux et ceux qui sont absurdes, les créations de richesses et les créations de déchets. Sous prétexte que certaines dépenses sont utiles et donnent vraiment des fruits, ils en ont tous conclu que toute dépense est porteuse de fruits. Comme nous ne savons plus discerner collectivement ce qu’est une dépense intelligente d’une dépense stupide, nous glissons tout naturellement vers l’augmentation des dépenses stupides qui font autant de croissance que les dépenses intelligentes qui sont par nature plus difficiles à mettre en place.

Les politiques aiment la croissance car elle donne des emplois, enrichit l’Etat et évite les questions difficiles sur les dépenses à faire et celles à éviter. A force de s’entredéchirer sur la consommation ou l’investissement qui sont deux dépenses, tout le monde se moque de savoir qui paie la croissance. Détruisons les maisons que nous venons de construire et nous ferons de la croissance. Envoyons un Erika par semaine sur nos côtes et nous ferons de la croissance. Augmentons le prix du tabac et les accidents de la route et nous ferons de la croissance. Arrêtons de nous promener en famille en forêt et allons au cinéma, au restaurant ou devant une télévision et nous ferons de la croissance. Achetons notre vie au lieu de la construire et nous ferons de la croissance.

Alors que nous attendons tous les fruits de la croissance comme la manne divine, la question non posée est : qui la paie ? Comme l’augmentation du PIB est l’augmentation de la partie achetée de notre vie, on comprend mieux, en attendant Godot, la montée sans fin des emprunts des ménages, des entreprises et des Etats.

La formation est la seconde fée qu’il est bon de révérer. Ses lévites sont les enseignants qui vont nous fabriquer des hommes et des femmes tellement diplômés que la terre entière va nous acheter très cher ces êtres d’exception que seule la France sait produire.

La difficulté, c’est que toute la formation académique n’est fondée que sur la régurgitation des connaissances qui ramène à l’instruction publique, ce qui n’a jamais été que dans les mots l’Education Nationale.

L’Education Nationale répond admirablement au problème du XIXème siècle qui était le manque de connaissances mais ne s’intéresse pas au discernement qui est le problème du XXIème siècle. Les formateurs sont aussi ces démiurges de la formation qui vont transformer tous les « laissés pour compte » de plus en plus nombreux de notre société, en actifs parfaitement adaptés à une société que l’on appelle « civile » depuis qu’on ne la comprend plus et que le militaire est sorti des esprits.

Mais dans les faits, sans l’harmonieux tissage entre l’amour ferme des parents, l’accompagnement puissant des entraîneurs, et l’enseignement rigoureux des professeurs, il n’y a pas d’éducation efficace, de formation raisonnable. Or tous ces adultes ignorent les lendemains vers lesquels ils sont supposés conduire.

Qui pourrait les taxer d’incompétence ? Les médias et l’administration qui nous gouvernent n’ont aucune vision. Personne ne peut dire où nous serons dans dix ans.
On a assassiné les entraîneurs après les avoir ridiculisés. Il n’y a plus de chefs scouts, d’adjudants de carrière, de moniteurs de colonies de vacances, de maîtres d’apprentissage pour accompagner le développement des êtres, leur épanouissement. Les familles se décomposent pour pouvoir se recomposer et l’amour ferme nécessaire à la croissance ne se trouve plus que dans des personnalités isolées et suspectées. On demande tout aux professeurs qui bien évidemment devraient être des génies pour ne pas tout rater. Nous formons des diplômés qui n’intéressent pas grand monde car il leur manque le discernement qui est la vraie rareté recherchée.

Une éducation nationale qui n’harmonise pas connaissance, expérience et discernement, ne mérite pas son nom et en tous cas, ne mènera pas loin. Malheureusement une école de discernement est un lieu clos, contradictoire et obligé où l’on se meule les uns aux autres mais nous avons décidé que notre liberté était justement de pouvoir fuir les écoles de discernement.

La première fée doit nous apporter la manne et la deuxième va nous transformer d’une façon indolore. A deux, elles vont résoudre simultanément, de deux coups de baguettes magiques, les problèmes complexes de l’avoir et de l’être. Les deux dernières fées n’auront plus qu’à s’occuper du décor.

La troisième et la quatrième fée nous projettent dans le temps et dans l’espace, là où l’herbe est évidemment plus verte. Cette croyance en une amélioration sans effort par un simple changement de temps et de lieu est éternelle. En 1968 la mode était de prendre son sac et d’aller à Katmandou mais une fois sur place, en ouvrant son sac, chacun retrouvait évidemment ses problèmes.

La recherche nous emmène vers un beau lendemain et l’Europe nous construit un ailleurs merveilleux.

J’aimerais croire à l’efficacité de la recherche mais lorsqu’on voit des chercheurs chevronnés obligés d’émigrer outre atlantique pour continuer à travailler quand la France veut les mettre d’office à la retraite, comment ne pas être dubitatif ? Quand on voit les domaines de recherche du CNRS, de l’INSERM ou de l’INRA, comment ne pas être sceptique ? On ne cherche que pour trouver ce qui coûtera encore plus cher avec de moins en moins d’efforts.

J’aimerais croire à l’Europe que nous fabrique la Société Protectrice des Politiques mais il faut constater qu’ils l’ont abandonnée au début des années 70 en renonçant à 6 à une harmonisation fiscale et sociale qui seule pouvait être la colonne vertébrale de l’Europe. Ils ont tous préféré, pour ne pas affronter leur peuple, une Europe sans épine dorsale qui ne peut tenir qu’en s’étalant. L’Europe qu’on nous propose a comme seule constante de n’avoir aucune harmonisation fiscale et sociale. Elle peut s’étendre jusqu’à l’Irak, elle n’est qu’une juxtaposition d’égoïsmes qui veulent faire payer les autres. Comment faire une baignoire d’eau claire avec des bouteilles d’eau trouble ?

Ce quadrige onirique, ces quatre fées qui nous bercent ne nous aveuglent-elles pas au fond pour que nous ne prenions pas conscience du désastre dans lequel nous entraînons nos enfants. Cet aveuglement pour ne pas voir et ne pas avoir à affronter n’est pas nouveau. Il est en l’homme et était déjà décrit dans la Bible.

La Bible nous rapporte en effet que dans la ville de Sodome, les habitants « étaient mauvais, étaient des scélérats » (Gn 13-13). Ce côté mauvais des habitants de Sodome n’était-il pas simplement comme actuellement chez nous, la pensée dogmatique, la pensée unique dont ils voulaient que chacun soit pénétré ? Or les anges rendirent aveugles tous les habitants. « Ils frappèrent de cécité les gens ….. depuis le plus petit jusqu’au plus grand… » (Gn 19-11). L’histoire de Sodome nous rappelle que lorsque tout marche sur la tête, l’aveuglement général précède la grande violence et l’effondrement.

Pour ne reprendre que le siècle dernier, la Belle Epoque et le pacifisme dogmatique ont précédé la grande guerre, les Années Folles et la certitude que nous avions subi la « der des der » nous ont amenés à la deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui l’optimisme public est de rigueur même si, en privé, tous les penseurs politiques expriment une vraie angoisse. La sortie du tunnel que nos dirigeants nous annoncent depuis si longtemps sans jamais nous y mener, doit s’atteindre d’après eux par le quadrige des fées car les vrais moyens sont trop difficiles pour être proposés au peuple.

Les vrais chemins sont pourtant connus mais ils sont tellement difficiles que par lâcheté on les répute impossibles, et que par vanité on les trouve ridicules.

Ridicule et impossible de faire comme le Brésil qui met 100% de droits de douane sur les produits importés alors qu’il n’y a aucun autre moyen durable de donner du travail à ceux qui le demandent et qui sont en droit de le demander ? Continuons à ne surtout pas nous protéger puisque nous ne pourrions plus vendre nos Ariane, nos Airbus, les intelligences que nos professeurs vont fabriquer par millions et nos inventions que nos chercheurs vont trouver par milliers grâce à l’argent que nous allons leur distribuer à tous. Ne tentons pas de convaincre notre peuple de consommer au prix où il est capable de fabriquer lui-même. N’affrontons ni les avantages acquis des salariés ni ceux des multinationales qu’elles appellent mondialisation. Continuons à délocaliser à tout va, on verra bien qui s’occupera de baisser le niveau de vie des Français ou de financer par l’emprunt celui de l’électeur consommateur téléspectateur, ce mouton vénéré que l’on appelle le public.

Ridicule et impossible de demander à l’Education Nationale de lever le pied sur la connaissance pour s’intéresser au discernement ? Le discernement est le domaine réservé des gouvernants qui savent comment sortir du tunnel, des médias qui savent ce que nous devons entendre et des inspecteurs généraux qui savent ce qu’il faut mettre dans les programmes et ce qu’il faut supprimer pour faire de la place aux nouvelles connaissances. Continuons à tresser des couronnes de laurier aux élèves et aux étudiants qui répètent fidèlement sans toujours bien comprendre, ce que les professeurs disent et qui ne comprendront pas, une fois diplômés, leur difficulté à trouver un emploi.

Ridicule et impossible de toucher au suffrage universel direct que l’on confond scandaleusement avec la démocratie alors qu’il induit naturellement la ploutocratie, le pouvoir aux riches ? Continuons à faire semblant de croire qu’en mettant cent personnes au milieu de la rue, nous découvrirons la vérité sur n’importe quel sujet par l’avis majoritaire sans vérifier préalablement la compétence et l’engagement des interviewés.

Ne serait-il pas temps de quitter l’âge de la croyance aux fées, de nous réveiller collectivement pour affronter avec humilité mais détermination les difficultés que nous n’aimons pas regarder ?

Il n’y a malheureusement pas d’autre moyen pour éviter la destruction de Sodome. Mais le quadrige des fées nous donne la possibilité de vivre agréablement en laissant les problèmes à nos enfants.
C’est une ministre de la République qui utilisait le terme « dégueulasse », non ?

L’éducation n’est plus. L’ « inducation » l’a tuée.

Depuis l’aube de l’humanité et dans toutes les civilisations les enfants sont amenés à l’âge adulte par le chemin de l’école de la vie. Dans le groupe protecteur auquel ils appartiennent, ils apprennent par l’expérience tout ce qui leur est nécessaire : la super protection de maman qui les a toujours nourris, la super protection de papa qui les a toujours défendus tout en les mettant au contact du danger, la protection du groupe qui les fera participer tout en ne comptant qu’à moitié sur leur persévérance. Ces protections déclinent avec le temps et ils découvrent leurs capacités créatives dans le jeu et ils participent petit à petit au travail des adultes. Ils apprennent que la punition tombe vite quand ils sortent de la morale du groupe mais ils apprennent aussi que la punition s’oublie vite et que la fierté d’être reconnus comme « grands » est plus qu’agréable, elle est spirale positive.

Les enfants grandissent à la fois dans le groupe par l’aide qu’ils apportent et hors le groupe par leur incapacité à tout faire et par leurs jeux qui les structurent autrement. Cette école de la vie leur apporte à chacun un discernement plus ou moins fort qui leur servira toute leur vie à harmoniser le trépied essentiel et fondamental du rapport à eux-mêmes, du rapport aux autres et du rapport commun à la nature ou à Dieu.

Le groupe, par ses représentants les plus avisés, choisit alors avec discernement dans cette école de l’être, les meilleurs des enfants pour les initier à la gouvernance du groupe par l’école de l’avoir, l’école de la connaissance réservée à ceux qui ont été reconnus aptes à l’assimiler.

Mais aujourd’hui en occident et dans tout le monde qui a accepté la mondialisation, l’éducation n’est plus ce qu’elle est étymologiquement, ex-ducere, conduire vers l’extérieur, faire sortir, faire éclore. Elle est devenu « inducation », faire rentrer dans un système qui ne se comprend plus lui-même en faisant croire qu’accumulation de connaissances fait une éducation. Le capitalisme a supprimé de fait toutes les écoles du comportement. La dernière en date était le service national. L’instruction publique s’est décrétée éducation nationale et l’on est surpris de voir que nos diplômés n’ont pas le discernement qui les rendrait utiles à la nation mais présentent leurs diplômes comme des laissez-passer qui n’intéressent plus guère que les tenants du capitalisme. Les connaissances à régurgiter ont été sélectionnées par des hauts fonctionnaires, inspecteurs généraux, mais ces derniers ont été eux-mêmes formatés à confondre l’éducation avec la fabrication d’outils humains performants et à être déroutés par la notion même de discernement. L’absence de discernement empêche le peuple de prendre conscience du fait qu’il appréhende mieux les problèmes que ses élites et le formatage de la jeunesse donne un répit à l’effondrement inéluctable du capitalisme. Le dogme est tellement fort que l’on bloque la jeunesse dans des écoles qui ne sont plus du tout le lieu d’apprentissage de la connaissance par les meilleurs mais une prison obligatoire pour tout le monde, prison dont les professeurs deviennent les gardiens totalement inexpérimentés qui ne peuvent enseigner que la soumission ou la révolte.

Cela nous donne pour notre plus grand malheur, une des éducations les plus lamentables de la Terre qui se marie fort bien à une économie qui marche sur la tête et à une gouvernance totalement aveugle. Ni l’économie ni la gouvernance n’ont intérêt à ressusciter une éducation digne de ce nom. Elle les abattrait toutes les deux.