La valeur ne se chiffre pas

Toute la science économique est fondée sur le chiffrage de la valeur et, comme chacun a pu le constater, si la parole ouvre le débat, le chiffre le ferme. Les discussions d’économistes sont tristes car elles sont très souvent des querelles de chiffres que personne ne peut ni vérifier ni contester puisqu’ils viennent d’autres économistes réputés impartiaux et qu’ils sont l’aboutissement d’un labyrinthe inconnu que personne ne peut réellement explorer.

Or la valeur se marie mal avec la mathématique. La valeur n’est qu’un regard. A chacun son regard qui peut d’ailleurs varier dans l’espace et dans le temps. Le regard que l’on porte sur un verre d’eau ne sera pas le même en plein Sahara, à côté d’un torrent alpin ou dans une soirée mondaine. Le regard porté sur l’homosexualité va être liberté à Paris et crime à Téhéran. « Quelle est cette vertu que trajet d’une rivière fait crime ? » disait Montaigne. Telle activité ou tel objet n’aura pas la même valeur à 20 ans et à 60 ans. L’or et l’argent n’avaient pas la même valeur dans l’Europe de Christophe Colomb et chez les indigènes des Amériques.

Si deux personnes portent le même regard sur le même objet au même moment et au même endroit, ils lui donneront la même valeur et si l’un veut le vendre et l’autre l’acheter, ce sera le prix de cet objet entre eux deux, à ce moment-là et à cet endroit-là. Il n’y a rien à en tirer d’autre si ce n’est que pour celui qui achète ce sera une valeur d’usage puisqu’il va s’en servir, et pour celui qui vend une valeur d’échange puisqu’il va en tirer de l’argent. Mais s’il n’y a pas à cet instant-là volonté de s’en séparer et volonté d’acquérir, ce sera simplement une valeur, un regard personnel éventuellement partagé.

Parler de « création de valeur » ou de « taxe à la valeur ajoutée » n’a aucun sens (sauf le mot taxe) car le même objet peut être vu comme une richesse, un encombrement ou un déchet. Le crottin de cheval est richesse pour le jardinier, encombrement pour le promeneur et déchet pour le cheval. Il n’a pas de valeur unique.

La valeur est une notion philosophique. Vouloir la chiffrer c’est faire de la mathématique sur de la philosophie et c’est rigoureusement impossible.

Lorsque les Politiques parlent de leurs valeurs, ils savent qu’ils parlent de leurs regards qui sont toujours tournés avec ornières vers la prochaine élection. Il faut faire saliver les électeurs mais surtout ne pas être précis car certains recracheraient. Les Politiques savent que les valeurs ne se chiffrent pas.

Plus sérieusement la valeur étant un regard, elle est le vrai, le bien et le beau. Elle est ce que je crois vrai, ce que je répute être le bien et ce que je considère comme beau. La valeur est le lien entre des personnes qui, ayant le même regard, constituent un groupe avec une même vision du futur à construire sur des bases assez semblables.

Aujourd’hui la valeur a été kidnappée, au singulier par les économistes, au pluriel par les politiques. Il serait bon de prendre conscience qu’un regard commun sur le beau, le bien et le vrai nous manque dramatiquement. Chacun se replie sur soi et attend le choc. Essayons au moins de comprendre pourquoi.

3 réflexions sur « La valeur ne se chiffre pas »

  1. Valeurs !!!
    Le triste spectacle de l’UMP identique au pathétique spectacle offert en d’autres temps par le PS devrait interdire l’usage de ce mot pour les politiques.
    Ou est la Res Publica des honnètes hommes ?
    La démocratie qui ne sera pas en mesure de faire le ménage est condamnée.
    Est ce un mal ?

  2. Vous faîtes erreur quand vous dîtes que toute la science économique est fondée sur le chiffrage de la valeur. C’est vrai pour la macroéconomie keynésienne qui a créé des indicateurs représentatifs de rien comme le PIB.

    La microéconomie néoclassique repose sur les relations de préférence, et l’utilité ordinale qui, comme son nom l’indique, ordonne les préférences des individus mais ne les quantifient pas. Tous les bons manuels de microéconomie insistent sur le fait que l’utilité est subjective, n’est pas mesurable, et que seule compte la hiérarchie des choix, pour un individu donné, dans une circonstance donnée, à un instant donné.

    Les mathématiques se marient très bien avec les préférences non mesurables, non quantifiables des individus. La microéconomie repose sur les relations binaires : http://fr.wikipedia.org/wiki/Relation_binaire , qui ne nécessitent pas de mesures de valeur, ni même de chiffres.

    • Je vous remercie d’abord de me répondre sur mon blog. Je vous propose d’ailleurs d’essayer de parler avec des mots simples pour ne pas nous protéger par un langage abscons que peu de gens comprennent. Vous utilisez le mot savant de microéconomie néoclassique. Pensez-vous que ces deux mots éclairent ou aveuglent?
      N’oublions jamais Boileau qui nous disait « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ».
      Vous pensez que je me trompe en disant que toute la science économique est fondée sur le chiffrage de la valeur. Vous avez raison. Une partie de la science économique utilise aussi la logique qui est de la philosophie et qui, nous en sommes d’accord, ne se mesure pas.

      Mais, à votre avis doute-t-elle suffisamment ? A-t-elle pris la peine de différencier l’aletheia de l’etumos, la vérité du groupe qui devient erreur en franchissant une montagne de la Vérité avec un V majuscule que nous cherchons tous sans jamais la trouver?

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