L’unanimité dans la folie

L’histoire de Sodome racontée dans la Genèse commence par une phrase de Dieu parlant d’Abraham : « J’ai voulu le connaitre afin qu’il prescrive à ses fils et à sa maison d’observer la loi… » (Ge 18,19). Malgré cette phrase explicative du verbe connaitre dans ce récit, nous avons préféré l’interpréter comme dans « L’homme connut Eve. Elle devint enceinte » (Ge 4,1) et nous avons inventé l’expression « connaître au sens biblique » qui est impertinente vis-à-vis de Dieu. Chouraqui dans sa traduction de la Bible utilise le verbe pénétrer qui permet habilement les deux interprétations sans enfermer Sodome dans la sodomie qui empêche de voir le sens profond et terriblement actuel de ce texte. Ce sont « Les gens de Sodome, du plus jeune au plus vieux, le peuple entier sans exception » (Ge 19,4) qui viennent dire à Loth « Fais les sortir pour que nous les connaissions » (Ge 19,5). Sans s’attarder sur la bêtise de Loth déjà remarquée par son oncle Abraham et qui propose ses filles avec sa finesse habituelle, il faut remarquer la vraie sanction du bourrage de crâne exigé par la populace. « Ils frappèrent de cécité les gens depuis le plus petit jusqu’au plus grand » (Ge 19,11). Nous connaissons tous la destruction de Sodome mais n’avons-nous pas oublié que, lorsque tout marche sur la tête, l’aveuglement général précède l’effondrement ?

C’est aujourd’hui l’unanimité de nos aveuglements qui doit nous faire réagir tellement nous savons au fond de nous-mêmes que ce sont des aveuglements tout en n’ayant aucune envie de trop en prendre conscience.

– Aveuglement économique en fondant tout sur la manne divine que l’on appelle PIB. Nos élites ne disent même plus le PIB annuel mais la création annuelle de richesses. 99,99% de la population a été formatée pour croire à cette création de richesses et à confondre la production et l’agitation. Heureusement ce qu’on appelle la crise empêche la léthargie.

– Aveuglement éducatif en fondant tout sur la connaissance et en négligeant l’expérience. Nos élites quand elles veulent investir en éducation ne pensent qu’école ou université. La confrontation au réel n’a quasiment plus d’adeptes alors qu’elle nous manque tellement. 99,99% de la population a été formatée pour croire qu’aider l’humanité, c’est implanter partout des écoles au lieu de s’enrichir avec humilité de l’expérience fabuleuse des peuples sans bancs de classe. Heureusement l’incapacité de plus en plus évidente qu’a l’école à intégrer ses fournées annuelles d’éduqués empêche la léthargie.

– Aveuglement politique en fondant tout sur l’intelligence collective de la foule appelée mensongèrement démocratie alors que la démocratie est, sur un sujet donné, l’avis majoritaire des gens responsables c’est-à-dire libres, compétents et engagés. C’est dire si nous sommes encore loin de cette merveilleuse utopie. Pourtant 99,99% de la population a été formatée pour croire que « Un homme, une voix » est la formule sacrée qui permet de distinguer l’aristocratie naturelle que cherchaient, tant les révolutionnaires français que les premiers présidents américains. Heureusement la médiocrité du résultat et l’augmentation massive des non-inscrits, des abstentionnistes et des bulletins blancs et nuls, empêchent la léthargie.

A Sodome il n’y avait pas d’exception nous dit la Bible. A nous de déceler, de réunir, d’agglomérer, d’enrichir et probablement d’activer ce qui nous reste d’exceptions pour sauver notre civilisation gréco-latine ou plus exactement les valeurs de cette civilisation qui sont autrement plus riches que les sacro-saintes quoiqu’absconses « valeurs de la république » !

« La vertu du regard éloigné » (Lévy-Strauss)

Il faut sans doute, une bonne fois pour toutes, comprendre la complicité objective qui lie les peuples et leurs dirigeants dans la fuite en avant drapée dans le mot démocratie qui n’est qu’un achat fort coûteux par les puissants de l’affect des peuples. Les peuples ne comprennent évidemment rien à la comédie générale qui leur est proposée, ils en pressentent la duperie mais jouissent pour la plupart en occident d’une vie facile à laquelle ils n’ont guère envie de renoncer.

Cette complicité empêche de voir la simplicité du problème et le coût abominable des multiples paravents que nous mettons nous-mêmes en place pour ne pas nous laisser pour l’instant déranger par la réalité. Car si la réalité du problème est simple, la réalité de la solution est vertigineuse et apeure tout le monde.

Les paravents sont éducatifs quand on fait croire que l’accumulation de connaissance génère le discernement. Ils sont politiques quand on arrive à faire croire que l’avis majoritaire de la foule définit l’intelligence. Ils sont économiques quand on prétend qu’il existe des cycles et que tout repart toujours, alors que seule la guerre est cyclique quand elle devient la seule capable de remettre les yeux en face des trous.

L’un des pires paravents économiques est la fausse croyance que nous créons des richesses à nous partager et que le PIB mesure une production alors qu’il ne mesure qu’une activité sans différencier l’activité saine de l’agitation malsaine. Les diatribes actuelles entre d’un côté les pays comme l’Angleterre ou l’Espagne qui mettent la prostitution et la drogue dans le PIB et qui sont soutenus en France par le sénateur Philippe Marini, président de la commission des finances, et de l’autre l’INSEE qui continue à vouloir faire croire que le PIB est une production et qu’on ne peut y intégrer « l’immoral », ces diatribes montrent bien l’étendue du faux débat. Tout le monde sait que le PIB et la croissance ne mesurent que l’activité et qu’ils ne se soucient ni de l’origine de ce qui est vendu, ni de l’origine des fonds qui ont permis l’achat. La prostitution comme la drogue, les accidents de voiture ou les marées noires font évidemment techniquement de la croissance. Ce qui est stupide ce n’est pas de faire le lien entre la croissance et l’emploi mais de faire croire que la croissance enrichit et permet l’emploi alors qu’elle se paye et que l’unanimité est totale pour ne pas se demander qui paye.

Nous ne pouvons consommer que ce que notre travail nous rapporte s’il est reconnu utile par le groupe. Ce que nous produisons n’est richesse que si c’est acheté par quelqu’un qui en a envie et qui a de quoi l’acheter. Si personne n’en a envie ou si le client potentiel n’a pas de quoi payer, la production n’est plus richesse mais encombrement ou déchet. Cette évidence simple est très dérangeante car elle limite notre consommation et nous force à nous bousculer. Elle est totalement anti électorale car elle évalue notre consommation à l’aune de notre utilité réelle. Et comment évaluer notre utilité réelle dans un groupe dont nous ne savons plus ni la taille, ni le lien, ni même s’il existe encore ?

Alors pour ne surtout pas regarder la réalité en face et continuer à flatter l’électeur qui ne peut payer sa consommation, on tente de faire payer les autres et de faire payer le futur.

Faire payer les autres, c’est la balance commerciale excédentaire. Chacun la veut dans ce mondialisme qui vante la liberté des renards dans les poulaillers. Chacun se croit renard et beaucoup se retrouvent poules. C’est notre cas où à force de vouloir faire payer les autres, nous payons en plus pour les autres. Nous devons retrouver le bon sens que la dernière guerre nous avait réintroduit par le Conseil National de la Résistance et par la charte de La Havane que l’ONU avait préparée mais que les USA n’ont pas ratifiée après l’avoir pourtant signée. La Charte de La Havane confirmait qu’on ne fait pas payer les autres et que les balances commerciales ne peuvent être ni excédentaires ni déficitaires.

Faire payer le futur c’est l’emprunt. Il est pourtant par définition irremboursable puisqu’il n’y a création de richesse que si elle est consommée et qu’elle ne peut donc servir une deuxième fois à rembourser un emprunt. La démonstration mathématique que la somme de toutes les valeurs ajoutées de toutes les entreprises n’est égale qu’à la somme de toutes les consommations, est prudemment mise sous le boisseau pour ne pas déranger. Un emprunt remboursé est forcément un appauvrissement créé quelque part. Si l’on n’arrive pas à faire provisoirement payer les autres comme le fait l’Allemagne, l’appauvrissement s’accumule dans les entreprises avec les conséquences que l’on constate et que les puissants appellent la crise.

La guerre remet les yeux en face des trous et quand elle se termine, le bon sens reprend provisoirement le dessus. Ne pourrions-nous pas, pour remettre les yeux en face des trous, donner sa chance à notre intelligence et éviter les drames de la guerre ?