La paupérisation des classes moyennes

Tout le monde le constate et personne ne l’explique.

Dans une société cohérente chacun est utile et reconnu comme tel. Certains produisent, d’autres distribuent, d’autres encore facilitent par leurs services la production, la distribution et la préparation du futur par la fabrication et l’éducation des enfants. C’est simple et cela marche très bien par l’intelligence de chacun et par une approche commune du lendemain.

Mais dans une société incohérente comme la nôtre où la peur de la mort, le désir de plaire et les fantasmes d’un lendemain qui chante dominent tout (un psychanalyste dirait que c’est la même chose), une fausse cohérence a été artificiellement fabriquée par des règlements, des normes et des lois qui n’arrêtent pas de se surajouter pour tenter vainement de rendre cohérent ce qui ne peut pas l’être.

Le résultat se fait naturellement sentir. La production est contrainte, la distribution est contrainte, les services sont contraints. Tout est rendu plus coûteux et plus difficile par une réglementation imbécile qui se dit intelligente car fondée sur une création annuelle de richesse qui n’existe pas. Cette erreur fondamentale que personne ne veut relever enclenche une double spirale abominable.

D’un côté la réglementation qui part toujours de bons sentiments, alourdit tout ce qui est utile et elle rend la vie impossible à ceux qui produisent, à ceux qui distribuent et à ceux qui sont réellement là pour leur faciliter la tâche en s’occupant de leur santé ou de leur sécurité. Pour tous ceux-là qui sont la classe moyenne, la vie quotidienne est de plus en plus difficile. Ils sont de moins en moins efficaces vu le temps et l’argent dépensés à connaître et à respecter les normes puis à prouver qu’ils les respectent. Pour survivre ils sont obligés de travailler beaucoup plus. Ils sont de moins en moins nombreux à se dépenser de plus en plus pour gagner de moins en moins tant pour la collectivité que pour eux-mêmes.

De l’autre on multiplie à une vitesse incroyable les inutiles qui coûtent de plus en plus cher et que l’on fabrique à la chaîne dans l’enseignement supérieur public et privé : les contrôleurs qui ne servent qu’à justifier les normes et à freiner ce qui est utile en en suggérant de nouvelles, les conseillers qui survivent en expliquant aux autres ce qu’ils n’arrivent pas à faire eux-mêmes, les formateurs qui font semblant de préparer les autres à l’impossible et qui se voient bien le faire « toute la vie » des autres, et surtout toute la leur, les commentateurs qui sont là pour faire croire qu’avec des réformes, ça peut durer et les chercheurs comme les analystes qui sont nombreux à chercher comment rendre cohérent l’incohérence où à expliquer pourquoi nous n’y arriverons évidemment jamais.

Cette armée d’inutiles, devenue très largement majoritaire quand on y rajoute les étudiants, les retraités et les chômeurs, fait gagner les élections aux plus rusés d’entre eux et tient donc le pouvoir. Elle est une sorte de sangsue plus grosse que le corps qu’elle ponctionne, dans une économie à laquelle elle n’apporte rigoureusement rien et qui s’est construite sur le mensonge que le PIB est une production, une création de valeur alors que ce n’est que la somme de nos dépenses. L’augmentation de nos dépenses s’appelle la croissance économique et nous vivons, apathiques et amorphes, la stupidité majeure d’attendre la croissance tout en limitant nos dépenses comme nous le demande l’Union Européenne, l’un des lieux de rassemblement des inutiles surpayés et satisfaits d’eux-mêmes. Dépenser plus pour faire de la croissance et, en même temps comme disent certains, dépenser moins pour respecter les critères de Maastricht est la prétendue nouvelle cohérence qui doit porter ses fruits que beaucoup d’inutiles font semblant d’attendre comme le Messie. Ils donnent à leur rêve le nom de science économique et on cherche vainement un Politique qui ne dise pas à sa manière « Sans croissance on ne peut rien faire ». Ils avaient trouvé comme porte-drapeau Nicolas Hulot qui a expressément dit sur France Inter que sa démission venait du manque de cohérence d’une politique qu’il cherche lui-même à tâtons.

Alors que nous multiplions dans les mégapoles les inutiles d’aujourd’hui en pensant qu’ils créeront les utiles de demain, le pouvoir n’envisage pas un instant de partir de chaque individu pour voir en quoi il pourrait être utile comme cela se passe dans tout groupe cohérent. Il prend tout à l’envers en comptant sur la « valeur ajoutée » des entreprises pour créer de l’argent et fournir des emplois. Il faut la grosse Bertha des médias, le jargon des économistes et la créativité des publicitaires pour donner un semblant de crédibilité à ce non-sens qui pousse à la détente, au bien-être, aux vacances, aux voyages, à la possession de son logement etc. sans jamais se soucier du « Où trouver l’argent nécessaire ? ». Cette question est réputée sans intérêt puisqu’elle est sous-traitée aux entreprises. Or la « valeur ajoutée » n’existe que si des clients viennent s’appauvrir en monnaie de la valeur de leur achat. Et il n’y a aucune création de richesse, il n’y a que des échanges qui constatent qu’on en avait produits.

La valeur ajoutée des entreprises est comme le sel en cuisine. C’est ce que rajoute l’opérateur pour que le consommateur consomme. Cherche-t-on à récupérer la valeur que le sel a ajoutée au plat pour se la partager ensuite, une fois le plat consommé ? Bien sûr que non mais c’est pourtant ce que notre élite nous propose en parlant de valeur ajoutée des entreprises et de PIB qui en serait l’agrégat et qui serait une ressource. Les entreprises ne font pourtant que « cuisiner » ce qu’elles achètent pour le vendre à leurs clients. Une fois leurs client rassasiés parce qu’ils se sont appauvris en achetant, est-il raisonnable de construire le futur sur l’énergie passée des cuisiniers ?

Qui est conscient que la valeur ajoutée des entreprises n’existe que si elle a déjà été consommée par des clients qui l’ont déjà payée ?

Qui est conscient que la TVA n’est qu’un réveil après deux siècles de sommeil de la gabelle, l’impôt sur le sel de l’Ancien Régime ? Le salaire retrouve son étymologie en étant le prix du sel que l’entreprise rajoute pour faire consommer sa production à ses clients.

Le pouvoir dépense sans succès des sommes folles dans l’Education Nationale, 6e entreprise mondiale, pour formater à l’incohérence et, en attendant, il flatte ses électeurs et recherche désespérément l’argent que les entreprises lui fournissent mal.

Nos dirigeants ont d’abord cru trouver la solution dans le commerce extérieur et dans le libre-échange qui porte très mal son nom car sa réalité est tout simplement de vouloir faire payer les autres. Le résultat est qu’au lieu de faire payer les autres comme les Allemands ou les Néerlandais savent très bien le faire, c’est nous, Français, qui payons en plus pour les autres sans en avoir bien sûr les moyens.

Ils ont ensuite eu l’idée géniale de faire comme les Américains et d’avoir une monnaie qui ne vaut rien tellement le déficit commercial est abyssal et tellement on fabrique de monnaie. Mais ils ont oublié en créant l’euro et l’Union Européenne pour se donner l’impression d’être puissant, que la puissance américaine est militaire et qu’elle seule impose une valeur au dollar qui n’en a plus aucune tellement ils en fabriquent.

Ils ont enfin inventé l’emprunt sur richesses futures à des fabricants d’argent, alors que l’humanité n’avait jamais connu que l’emprunt sur gage bien concret, d’argent précédemment gagné.

Les richesses futures n’arrivant évidemment pas plus que la croissance, l’emprunt n’est quasiment jamais remboursé autrement que par de nouveaux emprunts ou, pour les particuliers qui empruntent pour investir ou pour consommer, par une demande d’augmentation de salaire répercutée sur les prix. L’emprunt systématique a faussé à la hausse tous les prix et chacun peut imaginer le vrai prix de l’immobilier s’il était vendu sans emprunt avec des salaires non faussement dynamisés. Dix fois ? Cent fois moins cher ? Sans doute entre les deux.

L’État qui n’arrête pas d’augmenter son emprunt de 100.000 € toutes les 43 secondes se pose tout de même des questions et utilise une grande partie de son temps et de son intelligence à trouver des façons discrètes de faire payer les Français sans qu’ils ne s’en rendent trop compte. Il est inutile d’en faire la liste tellement chacun la vit quotidiennement

Le résultat est doublement catastrophique.

D’un côté la grande armée des inutiles a du s’inventer une utilité pour se donner une apparence et, ayant constaté le vide que laissait au moins provisoirement les religions hors Islam, elle a enfanté sans le vouloir une nouvelle morale laïcarde et vigoureuse qui l’occupe et la distrait. Cette morale, fondée sur la richesse imaginaire de notre pays, sacralise la ribambelle des luttes contre le sexisme, le racisme, l’homophobie, le tabac, l’alcool, la vitesse… en un mot la liberté. Il suffit d’appeler discrimination la distinction pour la faire passer en un instant du bien au mal. Elle prône en revanche le laxisme pour tout ce qui est plaisir sans devoirs et qui n’existe que par l’illusion que nous créons des richesses permettant ces plaisirs: le divorce, l’avortement, le mariage pour tous, la loi du genre, les médias gratuits, le transhumanisme, la recherche médicale effrénée etc.

De l’autre c’est l’effondrement de la structure de notre pays. Il y a 50 ans les classes moyennes n’avaient qu’un salaire par foyer qui était suffisant pour bien vivre, souvent avec même une employée de maison. Les femmes pouvaient avoir, en plus de leurs 3 à 12 enfants des activités extérieures bénévoles. Aujourd’hui il n’est quasiment plus possible de vivre avec une seule rémunération par foyer. Les rémunérations sont trop basses par rapport aux prix de tout et elles sont encore trop hautes, parait-il, pour être compétitives depuis que la compétition a terrassé la coopération.

Les familles n’ont plus le temps de s’occuper de l’éducation de leurs enfants et sont obligées de tout sous-traiter, ce qui n’est qu’apparemment gratuit. La peur de ne pas assumer le poids financier et l’éducation des enfants freine le renouvellement de la population. Trouver une place de crèche à Paris se fait 3 ans à l’avance et les crèches sont pleines de races non européennes que notre richesse imaginaire nous invite à accueillir alors qu’elles remplacent petit à petit nos inutiles dans le travail comme dans la procréation.

La confusion entre production et richesse qui nous fait nous croire riches parce que nos machines produisent alors que le bon sens de nos compatriotes n’est plus utilisé, conduit inéluctablement à une révolution. Tous ceux qui n’envisagent pas sérieusement la révolution des esprits, préparent déjà, sans le vouloir mais en le sachant, une révolution sanglante. Tout parti politique sérieux se doit d’en être conscient.

La valeur et le prix

Le verbe valeo en latin se traduit par être fort, vigoureux, puissant. Nous donnons de la valeur à ce que nous reconnaissons être fort, vigoureux, puissant. La valeur est le regard que nous portons sur ce que nous voulons estimer et elle varie suivant les individus, les lieux et les moments. Ce sont les regards communs sur des biens, des services ou des idées qui constituent les groupes et deviennent leurs liens sociaux, leurs raisons d’être.

Tout groupe est généré par des regards communs sur ce que le groupe va considérer comme vrai, comme beau ou comme bon.

Les communautarismes actuels comme le mondialisme sont les deux réponses faciles mais trop courtes à l’absence actuelle de groupe cohérent. Les uns se replient sur la communauté qui partage clairement et concrètement leurs valeurs de vrai, de beau et de bien, en utilisant tous les avantages du groupe plus important appelé société sans en accepter les devoirs. L’autre se réfugie dans l’intellectualisme de la fuite en avant vers un monde utopique qui partagerait unanimement les mêmes valeurs de vrai, de beau et de bien que ses adeptes ne savent même plus clairement définir pour eux-mêmes. Ces deux excès sans avenir, surfent sur la peur et la violence pour l’un et sur l’uniformisation et la financiarisation de tout pour l’autre. Le communautarisme voudrait nous faire revivre le premier millénaire et le mondialisme nous entraine vers un monde de consommation uniformisée où les peuples ayant les mêmes désirs s’entretueront pour avoir ce que la Terre ne peut fournir à tous.

Mais le regard individuel positif peut admirer ou désirer. Il est passif en admirant, il est actif en désirant. S’il désire il va devoir se confronter à un autre regard individuel et au regard collectif. Il lui faudra renoncer, convaincre ou se laisser convaincre. L’autre regard individuel est celui du vendeur, le regard collectif est la monnaie du groupe et l’harmonie difficile entre ces trois regards s’appelle le prix.

Une erreur fréquente est de penser qu’un prix peut ne se définir que par la liberté d’un vendeur et d’un acheteur. Cette idée n’est vraie que si le prix n’est pas exprimé en monnaie. Etant exprimé en monnaie, on ne peut parler de prix sans comprendre l’origine de la monnaie et la nécessité du groupe pour la regarder collectivement comme vraie, belle et bonne, bref, pour qu’elle soit une vraie monnaie.

Des trois fonctions régaliennes, sécurité extérieure (l’armée), sécurité intérieure (loi, police, justice) et représentation du groupe dans l’économie par la gestion de la monnaie dans un but de sécurité intérieure et extérieure, la troisième est la moins claire par les hésitations de la science économique qui n’a jamais clarifié son regard sur la fonction régalienne double de création et d’utilisation de la monnaie.

J’ai rappelé en février dernier dans l’article « Nous sommes tous responsables » l’origine de la monnaie et comment la monnaie est probablement apparue. Cette invention aussi géniale que la roue et qui est apparue sur tous les continents, donne à chacun une quantité d’une matière recherchée, rare, pérenne, divisible et transportable qui correspond pour chacun à son apport passé au groupe. La cause de la monnaie est de se souvenir (moneo est la forme latine causative de la racine grecque men de la mémoire). La monnaie empêche les tire-au-flanc par l’obligation qu’ils ont de reconstituer leurs stocks de monnaie.

La monnaie est devenue l’énergie du groupe, le stockage des énergies individuelles et le regard collectif reconnu par tous d’une richesse objective à l’intérieur du groupe.

Mais si la monnaie répond bien au besoin de vérifier la réalité du travail de tous, le pouvoir est confronté à deux questions quantitatives fort complexes : quelle quantité de monnaie faut-il insérer ? et quels vont être les prix des biens et des services ?

Au niveau de la quantité de monnaie créée il ne faut pas oublier que la monnaie n’est que l’énergie du groupe. Si l’État en augmente la quantité, il n’a pas le pouvoir d’augmenter pour autant l’énergie du groupe et chaque élément monétaire perd simplement de sa capacité énergétique. C’est la dévaluation et son corollaire la hausse des prix. Mais a contrario si l’État ne fait pas suivre par la quantité de monnaie l’augmentation de l’énergie du groupe, la monnaie perd de son intérêt, les échanges matériels se grippent et l’on ouvre la porte au désastre du prêt à intérêt. Dans mon article de décembre 2013 « Le prêt à intérêt » je rappelais que c’était un esclavage dans le temps quand le mondialisme est un esclavagé dans l’espace.

Au niveau de l’utilisation de la monnaie, on aborde le sujet très difficile du prix.

Le prix en monnaie est la concordance de trois regards, celui du vendeur, celui de l’acheteur et celui du groupe. L’erreur du libéralisme est d’avoir cru que les regards du vendeur et de l’acheteur suffisaient. Il n’en est rien car le regard collectif vérifie que l’énergie collective échangée par le changement de mains de la monnaie, est considérée par le groupe comme juste (mariage du vrai et du bien). Le rôle du regard collectif est de vérifier que la monnaie ne fait pas passer l’ensemble du groupe de l’échange des êtres qui prévalait avant l’introduction de la monnaie, à un simple échange des avoirs qui casserait l’harmonie indispensable entre l’individuel, le collectif et le sacré.

Si le prix est trop élevé l’enrichissement du vendeur se fait par une confiscation d’une partie de l’énergie humaine stockée du groupe. Si cette monnaie escamotée n’est pas remplacée, les échanges vont se gripper et la monnaie ne jouera plus son rôle fondamental. Si elle est remplacée par une nouvelle introduction de monnaie sans création d’énergie individuelle, ce sera une dévaluation c’est-à-dire un paiement involontaire par tous de l’enrichissement d’un seul, une sorte d’impôt privé. C’est le cas par exemple des retraites chapeaux ou des intérêts des prêts bancaires.

Si le prix est trop bas la dévalorisation du travail effectué en amont du vendeur, cassera l’harmonie sociale.

On voit la difficulté qu’a l’État à gérer à la fois la quantité et l’utilisation de la monnaie qu’il crée (ou qu’il créera dès que nous serons sortis de l’aspirateur de la fausse Europe). Ceux qui veulent le diriger doivent se souvenir que pendant les Trente Glorieuses l’État contrôlait tous les prix, tous les loyers.

L’État doit, par le regard collectif, moraliser les regards individuels c’est-à-dire réconcilier l’individuel et le collectif. Pour ce faire il n’a pour moi pas d’autres solutions que de supprimer les prêts, les faire lui-même, ou fixer les prix.

Reparlons de la richesse, de la dette et de la croissance

J’ai fait au Sénat le 21 novembre une intervention dans le cadre d’un colloque organisé par l’association Démocraties sur le thème « La fin d’un monde, pas la fin du monde ». Je mets mon intervention sur le blog pour ceux que cela intéresserait.

On m’a proposé comme titre de mon intervention « Croissance, dette, richesse, des problèmes sans solution ». J’ai accepté avec plaisir car, pour reprendre Einstein, « un problème sans solution est un problème mal posé ».

Que croissance, dette et richesse soient toutes les trois des problèmes ne surprendra personne puisque les médias et les Politiques nous expliquent tout par la croissance trop faible, ou par la dette trop forte, ou encore par la mauvaise répartition d’une richesse pourtant apparemment si abondante. Les solutions sont parait-il connues : plus de croissance, moins de dette et une meilleure répartition de la richesse nationale, et tout marchera mieux ! Chacun constate malheureusement que ces solutions sont inaccessibles et qu’au contraire la croissance diminue, la dette augmente et la richesse est de plus en plus discriminatoire. Bref les solutions ne résolvent pas le problème et au contraire elles n’arrêtent pas de le compliquer. Le problème doit donc être mal posé et je vais vous soumettre une autre approche.

Tout part de la richesse qui d’après les Politiques, les médias et les banques est produite chaque année au niveau national comme au niveau mondial. Dans un rapport sorti en octobre 2013 le Crédit Suisse nous a appris que « la richesse mondiale a plus que doublé depuis 2000, atteignant un nouveau record historique de 241 000 milliards de dollars ». Quelle merveille ! Et quelle honte ce serait puisque cet enrichissement de 120 000 milliards de dollars en 12 ans devrait par une distribution équitable et généreuse, apporter près de 1500 dollars par an à chacun des 7 milliards de Terriens !

Ce qui est intéressant, ce n’est pas la sottise du rapport de la banque suisse mais notre propre formatage qui a permis aux médias de diffuser ce rapport sans en être dérangés, et à nous tous de croire à la création de richesse.

Certes Dieu a fait tomber la manne et les cailles pendant les 40 ans de pérégrination des Hébreux dans le désert. Mais je n’ai pas la foi assez chevillée au corps pour croire qu’il continue à le faire à ce niveau et en dollars. Essayons de comprendre notre folie.

Tout d’abord on raconte que les entreprises créent de la richesse. Est-ce aussi évident ? Ce qui est sûr c’est que les entreprises distribuent de la richesse à leurs salariés par les salaires, à leurs actionnaires par les dividendes et à la collectivité par les taxes, les impôts et les cotisations. Mais comment les entreprises possèdent-elles la richesse qu’elles distribuent ?

C’est ce que la comptabilité appelle la valeur ajoutée. C’est ce qui est vendu aux clients moins ce qui a été acheté à l’extérieur pour fabriquer ce bien ou ce service. La difficulté est que ce bien ou ce service n’est une richesse que s’il trouve acheteur. S’il n’y a pas d’acheteur, ce bien ou ce service n’est pour l’instant qu’un embarras qu’il va falloir stocker à grand frais, voire même un déchet qu’il va falloir jeter en tentant de ne pas trop polluer. La science économique n’a jamais étudié la différence entre une richesse, un encombrant et un déchet. C’est de la philosophie et ce n’est pas le point fort de la science économique qui ne sait que chiffrer. Pour elle toute production est une richesse alors que les antiquaires, les brocanteurs ou autres ferrailleurs ont tous bien compris que les encombrements ou les déchets des uns sont souvent les richesses des autres. La richesse n’est qu’un regard qui dépend de chacun et qui varie dans le temps et dans l’espace. La science économique est aphone sur ce point essentiel car un regard ne se chiffre pas.

C’est la mathématique qui nous apprend que les valeurs ajoutées cumulées de toutes les entreprises sont égales au centime près à la somme de toutes les consommations. En effet en ajoutant aux valeurs ajoutées comme aux consommations, les achats cumulés de toutes les entreprises, on obtient dans les deux cas le chiffre d’affaire cumulé de toutes les entreprises. Ce qui veut dire que la richesse distribuée en monnaie par les entreprises n’existe que si des clients sont venus s’appauvrir en monnaie pour s’enrichir en nature (en volume dit l’INSEE). Dans une boulangerie par exemple, le client s’enrichit en pain et s’appauvrit en argent pendant que le boulanger s’enrichit en argent et s’appauvrit en pain. Dans une entreprise le client vient s’enrichir en nature et s’appauvrir en monnaie pour que l’entreprise enrichisse en monnaie les salariés, les actionnaires et la collectivité. Il n’y a pas création de richesse dans les entreprises, il y a transfert de richesse. Transfert par l’activité de l’entreprise, de la richesse du client vers le salarié, l’actionnaire et la collectivité.

Mais alors qu’est-ce que le PIB, le Produit Intérieur Brut, que les Politiques et les médias nous présentent comme la création annuelle de richesse ? Qu’est-ce que la croissance qui doit augmenter le PIB et apporter l’emploi que tout le monde attend ? Ce n’est malheureusement que le chiffrage du transfert de richesse par l’appauvrissement en monnaie des clients vers l’enrichissement en monnaie des salariés, des actionnaires et de la collectivité. Ce n’est qu’une mesure de l’activité des entreprises et l’on comprendra mieux pourquoi l’INSEE à 3 façons différentes de calculer le PIB. Observons ces trois manières en analysant l’activité d’un marché de village avec ses exposants qui veulent s’appauvrir en volume pour s’enrichir en monnaie, et ses clients qui veulent s’appauvrir en monnaie pour s’enrichir en volume.

  1. On peut faire la somme de toutes les transactions effectuées sur le marché et ce sera le PIB par la dépense dit l’INSEE et cela devrait d’ailleurs suffire car c’est très simple mais peu présentable comme une production.
  2. On peut aussi additionner tout ce qui a été dépensé par les acheteurs et on obtiendra le même PIB mais par la distribution dit l’INSEE.
  3. On peut encore voir, en volume dit l’INSEE, toutes les marchandises qui ont été vendues par les maraichers et les forains, les carottes, les poissons, les ceintures, les chiffrer au prix du marché et l’INSEE appelle ce résultat le PIB par la valeur ajoutée, évidemment identique aux deux autres.

Où est la création de richesses ? Nulle part ! Nous ne sommes que dans la distribution, toujours annoncée en euros mais comptée soit en volume par la valeur ajoutée, soit en euro par la dépense ou la distribution. Nous sommes dans le chiffrage de la dépense effectuée. Le PIB chiffre la dépense effectuée. Plus on dépense, plus on fait de la croissance, ce qui met dans un grand embarras les Politiques qui veulent à la fois dépenser moins pour ne pas augmenter la dette et dépenser plus pour faire de la croissance. La droite veut dépenser moins pour pouvoir dépenser plus et la gauche veut dépenser plus pour pouvoir dépenser moins.

Il est pourtant vrai que l’activité des marchés montrait clairement la prospérité de la Province dans les grandes foires médiévales du XIIIème siècle. Mais à l’époque pendant les 50 semaines qui séparaient une foire de la suivante, les hommes travaillaient pour produire et étaient rémunérés pour leur travail. Ils avaient de quoi acheter et de quoi vendre. L’activité de la foire, son PIB, était un vrai constat de création de richesses, fondée sur le travail des hommes. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui car par démagogie on nous a fait croire que nous pouvions nous enrichir de notre part de PIB, que nous pouvions profiter sans être utile aux autres, que nous pouvions consommer plus en travaillant moins. Nous nous sommes laissés séduire tellement c’était agréable à entendre ; nous nous sommes précipités pour le croire et pour cela nous avons utilisé les facilités apparentes des prêts bancaires pour pouvoir acheter et du libre-échange pour être capables de vendre moins cher.

En ce qui concerne les prêts, jusqu’au XXème siècle il n’y avait que des prêts sur gages aux puissants qui se remboursaient soit par l’abandon du gage soit par l’appauvrissement de leurs vassaux car les puissants s’appauvrissaient rarement eux-mêmes. Pour les rares prêts à des personnes moins fortunées, le remboursement était gagé sur l’emprunteur lui-même qui était réduit en esclavage pour payer de sa sueur ce qu’il n’avait pu payer de sa poche.

Mais depuis le XXème siècle on prête à tout le monde en fondant les remboursements sur l’illusoire création de richesses futures. On prête au consommateur qui peut donc acheter, se croire riche et bien voter.

En ce qui concerne le libre-échange tout est fondé sur l’avantage comparatif de Ricardo qui expliquait qu’entre l’Espagne et l’Angleterre, il valait mieux faire tout le vin en Espagne et tous les draps en Angleterre plutôt que de tout faire chacun pour soi. Malheureusement l’avantage comparatif n’est vrai qu’entre pays ayant la même culture et le même niveau de vie. Inutile de dire combien il est faux sur un plan planétaire et comment il génère des réactions violentes chez ceux qui veulent garder leur culture et ne pas se soumettre à la nôtre. Au sortir de la 2ème guerre mondiale, le bon sens tenant provisoirement la corde, l’ONU convoqua à La Havane une « conférence internationale sur le commerce et l’emploi en vue de favoriser le développement de la production, des échanges et de la consommation des marchandises ». Le but était de créer l’« Organisation Internationale du Commerce », l’OIC. Le 24 mars 1948 la Charte de La Havane fut signée par 54 pays dont les Etats Unis, la France et l’Angleterre. Cette charte prévoyait l’équilibre des relations commerciales entre pays, des importations au même niveau que les exportations et une balance des paiements équilibrée. Mais, en dépit de l’insistance pendant 2 ans du Président Truman, le congrès américain ne ratifia jamais cet accord et l’on accoucha à Genève hors de l’ONU, de l’OMC qui a les principes rigoureusement inverses de ceux de la Charte de la Havane. L’OMC prône la liberté du renard dans le poulailler et en nous croyant renard nous nous retrouvons poule. Nous importons beaucoup plus que nous exportons et notre balance commerciale depuis la création de l’OMC en 1995 est passée de 16 milliards d’euros d’excédent (105 milliards en francs) à 70 milliards d’euros de déficit.

En clair, à force d’emprunter au lieu de travailler, et à force d’importer au lieu de produire, la machine se grippe et les seuls emplois que nous créons sont des emplois qui doivent faire tourner la machine tout de même : des emplois de publicitaires, de commerciaux, de conseils, de formateurs, pour activer artificiellement un marché où les acheteurs comme les marchandises à vendre se font rares. On invente le marketing olfactif ou sensoriel, les psychologues pour commerciaux dépressifs. Les agences de publicité, fort couteuses, rivalisent de ruse pour que nous nous appauvrissions ou que nous empruntions afin que la machine tourne.

Ce qui est grave c’est que nous raisonnons comme si c’était l’activité du marché, le PIB, qui était la création de richesses et pour l’activer on va donner de l’argent aux acheteurs par l’emprunt, c’est la politique de la demande chère à certains, et on va trouver des marchandises à vendre par l’importation, c’est la politique de l’offre chère à d’autres. On va réussir à avoir un marché apparemment florissant mais il va falloir, une fois les lampions éteints, payer deux fois : une fois pour payer les importations et une autre fois pour rembourser l’emprunt, ce qui bien évidemment freine une activité insensée. On appelle ce frein, la crise.

Ce qui complique encore, c’est l’absence de vraie réflexion sur la monnaie. Je rappelle que la monnaie comme le monument a comme étymologie moneo qui est en grec la forme causative de la racine men de mnêmosunê, la mémoire. La cause du monument comme de la monnaie est de se souvenir. Au début de tout groupe est un lien social, une raison d’être ensemble, et, à l’intérieur de ce lien social, un échange des êtres, un don de soi et un accueil des autres. Mais lorsque le groupe devient trop important, le chef du groupe, se sentant incapable de surveiller la réalité de l’apport de chacun, invente la monnaie. La monnaie est en effet la mémoire du travail passé des membres du groupe. Pour ce faire, le pouvoir choisit une matière recherchée, pérenne, rare, divisible et transportable comme de petits coquillages peu communs, du sel ou plus tard, du bronze, du cuivre, de l’argent ou de l’or. Il en donne à chacun suivant son apport passé, les biens et les services sont alors chiffrés et l’impression de troc qui s’ensuit force les paresseux à se rendre utile. La monnaie devient l’énergie commune, l’énergie sociale. Elle est stockage collectif des énergies humaines individuelles. Elle ne peut augmenter que par la procréation ou par la réalisation de biens reconnus comme utiles par le groupe. Sans cela c’est de la fausse monnaie qui s’autodétruit par la dévaluation et la hausse des prix.

Nous pouvons maintenant formuler le problème qui se présente à nous :

Grâce à l’emprunt les individus s’enrichissent en jouissant tout de suite de leur voiture ou de leur appartement et en remboursant l’emprunt grâce à leurs appointements.

La variable d’ajustement, ce sont les entreprises qui distribuent avec régularité une richesse aléatoire qu’elles ne possèdent que si leurs clients achètent. Or ces clients achètent de plus en plus avec de la fausse monnaie puisque la monnaie en circulation n’est plus du tout de l’énergie humaine stockée mais une monnaie créée par tout le monde depuis les années 70. Les Etats créent de la monnaie avec leurs budgets déficitaires, les entreprises créent de la monnaie avec les délais de paiement, les individus créent de la monnaie avec la carte de crédit à débit différé et surtout les banques créent de la monnaie avec la double écriture. Il est loin le temps où l’on exécutait les faux-monnayeurs par ébouillantage. Aujourd’hui nous sommes tous des faux-monnayeurs et l’on nous félicite de faire encore tourner la machine. Mais le problème reste. L’enrichissement de l’individu est payé par l’appauvrissement des entreprises qui cachent légalement cet appauvrissement grâce à la comptabilité. La loi permet en effet de présenter des bilans en diminuant les vraies dettes par le hors-bilan et en augmentant artificiellement l’actif. Il suffit de liquider une entreprise pour voir l’étendue du problème. L’actif est souvent divisé par 10 et le passif doublé.

Les lois se multiplient pour permettre aux entreprises de se décharger d’une partie de leur appauvrissement sur leurs fournisseurs et sur l’Etat qui lui-même continue à s’appauvrir volontairement avec ses budgets déficitaires et ses larges distributions souvent électoralistes qui font pâlir d’envie puis attirent tant d’habitants de la Terre. Le bon sens le rattrapant, l’Etat est obligé de demander perpétuellement au contribuable d’alléger son fardeau.

Mais à tous les niveaux il ne s’agit que d’allègements partiels. Pour séduire l’électeur, pour lui permettre de s’enrichir et pour faire tenir encore un moment un système impossible, les appauvrissements nécessaires s’accumulent sur les entreprises, sur l’Etat et sur les contribuables. Nous avons un système redistributif qui redistribue plus que ce qu’il génère. Ce système est explosif car il juxtapose une demande croissante et omniprésente de moyens et une pression fiscale également croissante

Voilà le vrai problème et il est loin d’être simple. La facilité serait de ne pas s’attaquer à la racine et de ne traiter que les conséquences. Si l’on ne veut pas que ce soit la grande violence qui nous remette les yeux en face des trous, il faut nous mettre au travail pour que l’analyse s’affine et devienne majoritaire. Mais s’attaquer à la racine demande humilité, courage et discernement. Humilité d’admettre qu’il n’y a création de richesse que si quelqu’un s’appauvrit pour reconnaitre cette richesse. Courage de dire que le système bancaire actuel est fondé sur le mythe de la création de richesse qui va rembourser les emprunts. Discernement pour comprendre que nous sommes actuellement tous complices de cet adorable et très provisoire Eldorado.

Après ce colloque je réalise que je sépare mes contemporains en deux groupes. Il y a celui qui rassemble tous ceux qui ont compris que l’énergie fabrique mais que l’enrichissement n’existe généralement que si un appauvrissement identique existe dans le même temps. Avec ceux-là je veux travailler. Et puis il y a l’autre groupe qui croit à la création annuelle de richesse par le PIB et qui est aujourd’hui majoritaire. Avec celui-là nous devons expliquer inlassablement et répondre à toutes leurs questions.

La création de richesses

Toute l’économie mondiale est actuellement fondée sur la création de richesses. C’est elle qui va permettre de rembourser aux banques les prêts qu’elles nous font pour investir et pour consommer.

Dans un rapport sorti en octobre 2013 et repris à l’envi par tous les intellectuels de la Terre, le Crédit Suisse nous a appris que « la richesse mondiale a plus que doublé depuis 2000, atteignant un nouveau record historique de 241 000 milliards de dollars ». L’humanité se serait donc enrichie de près de 10.000 milliards de dollars par an depuis le changement de millénaire. Quelle merveille !

Cette « information » a été reprise aussi bien à gauche qu’à droite. A gauche par le Nouvel Observateur en octobre 2013 pour crier au scandale de sa non redistribution et par Jean-Luc Mélenchon qui nous a seriné que la France n’avait jamais été aussi riche. A droite sur France 5 par l’ineffable Dominique Reynié, « agrégé de sciences politiques » (oui cela existe et cela en fait un fonctionnaire avec garantie de l’emploi à vie), directeur général de Fondapol, pourfendeur hautain de tous les populismes et éternel candidat heureusement malheureux à la direction de Sciences Po. Chacun renforce à sa manière et à la méthode Coué, l’idée, totalement fausse mais vitale pour le système bancaire, que le système crée des richesses qui permettent de rembourser les emprunts.

La richesse n’est qu’un regard comme l’est aussi un déchet ou un embarras. L’antiquaire, le brocanteur et le ferrailleur savent que les regards des uns comme des autres ne sont pas identiques et ils en ont fait leurs métiers en faisant se croiser des regards différents. Une maison édifiée sans permis sur un site classé corse est à la fois une richesse pour certains, un embarras pour d’autres, un déchet à éliminer d’urgence pour d’autres encore. Pareil pour l’art moderne ou pour les OGM. Le regard ne se chiffrant pas, on peut approcher la richesse aussi bien en monnaie qu’« en volume » comme dit l’INSEE.

Lorsqu’un client achète un pain à son boulanger, il s’enrichit en volume (en pain) et il s’appauvrit en monnaie alors que le boulanger s’appauvrit en volume et s’enrichit en monnaie. Chacun s’enrichit et chacun s’appauvrit. Les regards évoluent, se croisent mais n’augmentent jamais. On ne peut donc pas créer de richesses car il faudrait pour cela augmenter les regards. Ce qui crée l’impression de richesse c’est que quelqu’un s’appauvrit pour l’obtenir ou est prêt à le faire.

Le calcul de la valeur ajoutée des entreprises montre que la somme de toutes les valeurs ajoutées correspond, au centime près, à la somme des consommations des ménages, des administrations et des collectivités. Il n’y a richesse créée par les entreprises que parce qu’elle est achetée. S’il n’y a pas le regard de l’acheteur prêt à s’appauvrir, il n’y a pas de richesse et nous sommes dans les encombrements et dans les déchets.

La science économique n’a jamais analysé cette évidence et avec la complicité des puissants, l’emprunt est venu casser cet équilibre des regards. Le prêt a toujours existé mais il était sur gages et réservé aux puissants qui le remboursaient soit en se séparant du gage soit en appauvrissant ceux qu’ils dominaient. Mais depuis le XXème siècle le capitalisme a inventé le prêt sans gages en faisant croire que les richesses futures créées rembourseraient l’emprunt. En réalité, en prêtant à l’acheteur de quoi alimenter son regard, en prêtant au vendeur de quoi se payer de la publicité et une force de vente, le système a transformé artificiellement en richesses ce qui n’étaient objectivement qu’encombrements, voire déchets. Mais une richesse n’existant que parce qu’elle est désirée et obtenue, elle ne peut pas servir deux fois et seule la vitesse de circulation de la monnaie va faire croire à la création de richesses. En fait l’enrichissement très réel des individus est compensé par l’appauvrissement caché des entreprises et des Etats qui accumulent les pertes que les techniques comptables permettent de reporter. Mais que ne ferait-on pas pour que l’électeur vote bien et qu’il soit convaincu que la machine tourne et crée des richesses ?

La conclusion est que si le capitalisme a permis comme le fascisme et le communisme, l’édification de fortunes personnelles considérables, il n’est pas plus cohérent et vit son crépuscule dans l’incompréhension générale. L’entêtement des pseudo-élites à croire contre vents et marées à leur système, a créé les millions de morts du fascisme et du communisme. Vu la profondeur de l’entêtement de certains à croire que le capitalisme, si agréable pour eux, est cohérent et ne peut se comparer aux deux autres matérialismes du XXème siècle, la chute risque de ne pas être douce. Elle est pourtant inéluctable et chacun voit qu’elle arrive.

Et si nous arrêtions de tout fonder sur l’esclavage !

Jacques Chirac a décrété que le 10 mai serait dorénavant la journée annuelle de commémoration de l’abolition de l’esclavage. Depuis, de Nicolas Sarkozy à François Hollande, chacun se la joue grave pour couper quelques fleurs  à déposer avant ou après un discours lénifiant sur le crime contre l’humanité qu’est l’esclavage.

La difficulté vient de ce que les mêmes, avec leur hésitation perpétuelle entre la politique de l’offre et celle de la demande, réintroduisent non pas un mais deux esclavages particulièrement pernicieux.

Pour comprendre, il faut d’abord s’extraire du formatage dans lequel les économistes et commentateurs de tous poils nous ont enfermés. Il faut arrêter de confondre production et activité. La production est complexe car elle nécessite de l’argent et du travail et débouche souvent sur la création de richesses mais aussi, dans beaucoup de cas, sur une accumulation d’inutilités ou de déchets, bref sur un échec. Que d’argent dépensé en publicité pour faire croire au bon peuple que des inutilités sont des richesses et qu’il doit s’appauvrir pour faire tourner la machine. Autant l’antiquaire, le brocanteur et le ferrailleur sont utiles en mettant en contact  ceux qui veulent se débarrasser de leur vieilleries et ceux qui voient des richesses dans ces vieilleries, autant il est dérangeant de dépenser énormément d’argent en publicité pour faire croire aux plus fragiles que des déchets sont des richesses. Mais là nous touchons les vrais problèmes de production que les économistes n’étudient même pas.

Il est tellement plus simple de ne s’intéresser qu’à l’activité en l’appelant « production ». Formons une chaîne humaine tout autour de la terre et faisons circuler une pomme en l’achetant à un voisin pour la revendre au même prix à l’autre voisin. Au fur et à mesure de la circulation de la pomme, les économistes nous disent que le PIB croit et que nous faisons de la croissance. C’est comme cela que le PIB mondial explose. Les plus sots disent que nous nous enrichissons, les plus rusés disent que ce n’est certes pas la panacée mais qu’au moins ça dit quelque chose. On se demande bien quoi.

Pour visualiser le décalage entre les économistes et la vie, il est sûrement utile de reprendre l’image du marché sur les trottoirs de nos villes. On y retrouve les trois façons qu’a l’INSEE de calculer la même chose, l’activité du marché, son PIB : l’activité par la dépense (la somme de toutes les transactions), l’activité par la distribution (la somme de tout ce qui y est dépensé), l’activité par la « valeur ajoutée » (la somme de toutes les marchandises vendues chiffrées au prix du marché précédent).

Ne s’intéresser qu’à l’activité en l’appelant production fait se moquer éperdument, et de l’origine des marchandises vendues, et de l’origine de l’argent des acheteurs. Cela fait le même PIB et si l’activité augmente, cela fera de la croissance et on appellera ça mensongèrement des créations de richesses. D’où vient ce qui est à vendre ? Et d’où vient l’argent pour l’acheter ? Ce sont deux questions qui n’intéressent pas les sachants du moment qui calculent le PIB.

Ce refus de regarder a plusieurs conséquences.

La première est de limiter de plus en plus l’emploi à la distribution, au commerce et aux conseils. L’accumulation de chercheurs de fiches de paye entraîne la baisse des rémunérations et les auto entreprises forcées où le smic n’existe plus. Les puissants parleront d’augmentation de la productivité. Les faibles constateront leur précarité croissante.

La seconde conséquence est de pousser l’emprunt pour que les acheteurs potentiels aient de quoi payer. Cette politique de la demande, c’est l’esclavage dans le temps fondé sur l’idée fausse de futures créations de richesses qui rembourseront l’emprunt. Une richesse n’est créée que si elle est achetée car la richesse n’est qu’un regard et si elle n’est pas achetée, elle est embarras voire déchet. Elle ne peut servir deux fois. La richesse change de main pour prouver qu’elle est richesse et l’argent gagné par le boulanger a été perdu par l’acheteur de pain. Le pain est richesse s’il permet de faire circuler l’argent et s’il est consommé. Il ne crée pas d’argent, il le fait circuler et on ne voit pas avec quoi on va rembourser l’emprunt si ce n’est avec l’appauvrissement de quelqu’un. C’est cet esclavage dans le temps qui a de toute éternité été condamné par toutes les sagesses et par toutes les religions du monde et sur lequel nous avons pourtant fondé notre économie.

La troisième conséquence est de trouver n’importe où de quoi vendre. Comme nous fabriquons trop cher avec notre fiscalité et nos avantages acquis, nous réinventons par le libre échange, l’esclavage dans l’espace suffisamment loin pour ne pas en être dérangés. Notre balance commerciale est de plus en plus déficitaire et notre activité, notre PIB, non seulement n’est pas une création de richesse mais doit être payé deux fois, une fois pour rembourser l’emprunt des acheteurs, une fois pour payer l’importation des vendeurs. Le coût de cette société de l’apparence est gigantesque et comme personne ne veut le payer cela grince  et ce grincement s’appelle la crise. Laissons les « subprimes » de côté et prenons un miroir pour comprendre le problème. Tant que les « experts », les « professeurs » et l’INSEE prendrons l’agitation et le PIB pour de la production, nous ne sortirons pas de la crise.

Plutôt que de se contorsionner dans des simagrées Taubiresques sur le bonheur de l’abolition de l’esclavage, nous pourrions  arrêter réellement l’esclavage dans le temps, comprendre que tout prêt à intérêt est un impôt et ne laisser la possibilité de prêter qu’à des banques nationalisées qui auront des directives précises pour ne prêter à intérêt, donc lever l’impôt, qu’en direction de la production et pas de la consommation.

Nous pourrions arrêter l’esclavage dans l’espace en créant une vraie concurrence libre et non faussée en faisant payer à la frontière le poids fiscal et social d’une fabrication en France. Cette décision de bon sens redonnerait aux Français la chance de travailler et remettrait à leur place tous les Pascal Lamy encensés par le système et totalement incapables de combiner leur joie de se dire socialiste et l’obligation de leur mauvais raisonnement de faire payer le peuple par une augmentation perpétuelle de la productivité. Sa discussion avec Marine Le Pen dans le Challenge n°390 du 22 mai 2014 est dramatiquement éclairante. Tout tient dans ses phrases « C’est le principe de l’ouverture des échanges qui apporte plus de croissance à tout le monde » (c’est la pomme qui circule) et nous paierons nos dettes « quand nous aurons retrouvé de la croissance ». Il nous refait le coup de l’enrichissement par la circulation et on le prend au sérieux !!! Ce qui est dramatique c’est qu’il y croit lui-même cet HEC, énarque, ex commissaire européen et ex patron de l’OMC, disponible aux dires de certains pour prendre éventuellement les rênes de la France.