Regard d’un encore sexagénaire sur des déjà vingtenaires

Ils sont sortis de l’adolescence et du simple refus d’être comme ceux d’avant. Ils veulent intégrer un monde où ils voient l’argent en première nécessité. Ils résument facilement cette intégration par « faire du cash ». Ils se veulent distants de l’argent mais sont incapables de s’en passer. L’argent les motive car il donne le plaisir de l’immédiateté, l’oubli du « no future » et une illusion d’assurance. Ils sont déjà blasés mais encore curieux. Ils ont compris la faiblesse de leurs ainés mais se sentent incapables de les conseiller.

Ils se cherchent individuellement, sentent la nécessité du groupe mais n’en imaginent plus un seul pour lequel ils seraient prêts à donner leur vie. On se sert du groupe, on ne le sert pas. C’est à d’autres de dire comment servir le groupe contre du cash.

Ils ont compris qu’ils devaient renoncer à une partie de leurs rêves mais ils ont souvent appris dans leurs études supérieures que pour être reconnu et avoir son diplôme il fallait savoir approuver le professeur sans lui poser de questions. Ils en tirent souvent un écartèlement entre être fier de soi et être reconnu, entre être soi et être accepté. Personne ne leur a dit que l’université c’était au contraire poser des questions et se servir des réponses pour se construire, se trouver soi-même et édifier la société de demain.

Ils peuvent pourtant être très utiles car ils sont demain et ils seraient écoutés s’ils se rassemblaient pour parler. Non pas parler pour faire comme leurs ainés et tenter de faire croire à des fausses solutions de problèmes mal posés mais parler pour bien poser les problèmes et refuser les réponses ineptes ou démagogues. Parler pour mettre d’abord sous forme de questions, les difficultés profondes qu’ils voient dans notre société. Ce parler-là pourrait être l’apport efficace des vingtenaires.

Serait-il fou d’imaginer que des vingtenaires se regroupent pour faire le double effort de comprendre et d’interroger ? Comprendre les impasses économiques, politiques et éducatives dans lesquelles nous sommes et mettre sous forme de questions dérangeantes la compréhension de ces impasses. Ne serait-ce pas le choc dont notre société a besoin ?

Voyons quelques premiers exemples de questions qui pourraient être travaillées et auxquelles les adultes répondent habituellement mal quelle que soit leur position sociale et leurs orientations politiques. Les réponses entendues sont souvent bateau et témoignent fréquemment de l’ornière dans laquelle leurs ainés se sont volontairement ou lâchement enfoncés. Dans ces exemples qui ne sont là que pour ouvrir des pistes, chaque question est divisée en une partie A fondamentale et apparemment simple et une partie B plus concrète mais qui montre que la partie A n’était pas si facile.

En économie :

  • A – Qu’est-ce que la richesse ?
  • B – Pourquoi l’INSEE a-t-il 3 façons différentes de calculer le PIB ?
  • A – Quelle est l’origine de la monnaie ?
  • B – Si au début était le troc, pourquoi cela ne s’applique-t-il pas à la famille ou à une association nouvelle ?

En éducation :

  • A – Que veut dire éduquer ?
  • B – Une éducation uniquement fondée sur l’instruction ne court-elle pas le risque de propager des idées fausses par manque de filtrage par le concret de l’expérience et par le recul du discernement ?

En politique :

  • A – Qui doit gouverner ?
  • B – Thomas Jefferson, 3ème président des Etats-Unis, avait-il tort en donnant sa définition de la meilleure forme politique : « Il y a une aristocratie naturelle, fondée sur le talent et la vertu, qui semble destinée au gouvernement des sociétés, et de toutes les formes politiques, la meilleure est celle qui pourvoit le plus efficacement à la pureté du triage de ces aristocrates naturels et à leur introduction dans le gouvernement » ?
  • B – Jean Bodin était-il insensé en écrivant dans son livre « Les Six Livres de la République », au 16ème siècle,  que la monarchie, l’aristocratie et la démocratie étaient des formes diverses de la république ?
  • B – La démocratie ne nécessite-t-elle pas la responsabilité des votants c’est-à-dire leur liberté, leur compétence et leur engagement ? « Un homme, une voix » répond-il à cette nécessité ?
  • B – Pour conduire il faut un permis de conduire, pour chasser il faut un permis de chasser, pour pêcher il faut un permis de pêcher, pour voter ce n‘est pas la peine. Est-ce moins important ?
  • B – L’avis majoritaire de la foule mène-t-il plus souvent à la sérénité ou au lynchage ?
  • B – Un peuple et une foule ne sont-ils que deux facettes d’une même réalité ? Que manque-t-il à une foule pour faire un peuple ?
  • A – Y a-t-il une taille optimale à ce qui est gouvernable ?
  • B – Ne faut-il pas que ce soit suffisamment grand pour avoir une monnaie et suffisamment petit pour que le discernement puisse encore contrôler ?

En philosophie :

  • A – Qu’est-ce que le sacré ?
  • B – Quelle différence y a-t-il entre un lieu sacré et un sacré lieu, un temps sacré et un sacré temps ?
  • A – Quelle est l’origine de l’énergie ?
  • B – Si l’univers a été créé par le Big Bang, d’où est venue l’énergie qui a permis le Bang ?
  • B – Et si l’origine est différente qu’est-ce qui l’a déclenchée ?
  • A – Qu’est-ce que la fraternité ?
  • B – La cohérence, la solidarité et le sacré, ne seraient-ils pas les trois composants de la fraternité ?

Thomas Jefferson

Combien de Français connaissent-ils Thomas Jefferson, troisième président des Etats-Unis, dont la tête est sculptée  avec celles de George Washington, d’Abraham Lincoln et de Théodore Roosevelt au Mont Rushmore dans le Dakota du sud, lieu où Hitchcock tourna la séquence finale de North by Northwest (La Mort aux trousses) ? Son portrait figure sur les billets de 2 dollars et les pièces de 5 cents. Rédacteur principal de la déclaration d’indépendance on le surnommait « Le Sage de Monticello », nom de sa propriété en Virginie ou l’intraduisible « Man of the People ».

Il a écrit sur la liberté : « Le prix de la liberté c’est la vigilance éternelle » et, sans connaitre les limitations de vitesse, il disait déjà : « Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre ».

Il gardait un esprit rebelle qui remettait avec bon sens les choses à leurs places : « Une petite rébellion de temps en temps, c’est comme un orage qui purifie l’atmosphère » mais il faisait la part des choses : « Pour les questions de style, nage avec le courant mais sur les questions de principe, sois solide comme le roc » ou « Se révolter contre la tyrannie c’est obéir à Dieu ».

Il ne craignait pas de dire ce qu’il pensait des médias : « Un homme qui ne lit jamais est plus cultivé qu’un homme qui ne lit que les journaux ».

Il avait sur le système bancaire et sur l’emprunt un regard acéré. Il a écrit en 1816 :

« Je crois sincèrement que les institutions bancaires sont plus dangereuses que des armées entières prêtes au combat; et que le principe de dépenser de l’argent remboursable par la postérité, connu sous le nom de financement n’est rien d’autre qu’une escroquerie de l’avenir à grande échelle ».

Ce grand humaniste écrivait : « Il y a une aristocratie naturelle, fondée sur le talent et la vertu, qui semble destinée au gouvernement des sociétés, et de toutes les formes politiques, la meilleure est celle qui pourvoit le plus efficacement à la pureté du triage de ces aristocrates naturels et à leur introduction dans le gouvernement ». Trouverait-il dans notre « un homme, une voix » tellement à la mode, une bonne application de son excellent principe ?

Et cerise sur le gâteau, il a dit : « Chaque homme de culture à deux patries : la sienne et la France ».

Qu’avons-nous fait de sa seconde patrie ? Et ne devons-nous pas réagir en travaillant une autre de ses phrases : « Le peuple est le seul sur lequel nous puissions compter pour préserver notre liberté » ?

 

La barque de Delphes

Petit à petit, les unes après les autres, toutes les planches de la barque ont été remplacées pour cause d’usure et, un jour, plus aucun élément d’origine ne subsiste. L’oracle de Delphes demandait au propriétaire de la barque si c’était toujours la même. Et bien sûr il répondait que oui.

Ainsi vont les peuples. Si le groupe n’est qu’un amas d’individus, il meurt à la mort des individus. Mais si le peuple s’appuie sur son histoire pour vivre au quotidien son économie, son éducation et sa politique avec un but qui le motive à le faire, alors il se prépare un futur.

Le « no future » tellement ravageur aujourd’hui ne viendrait-il pas d’un simple oubli de notre part ? N’aurions-nous pas oublié l’utilité de la barque ?