Le PIB est-il l’argent en circulation ?

Comme j’affirmais dans l’article « Un emplâtre sur une jambe de bois » que le PIB était la mesure plus ou moins juste de l’argent en circulation, j’ai reçu par ricochet la réponse suivante que je recopie intégralement :

Alors LA !!! LA !!! Quand même, faut pas déconner. Ecrire « Le PIB étant la mesure, plus ou moins juste, de l’argent en circulation » et vouloir qu’on le lise, c’est un peu fort de café !!! Moi aussi je peux en faire des comme ça : l’électricité est faite avec du jus de frite, le verre des bouteilles vient de la lune, le ciment n’est pas utilisé dans le bâtiment mais pour repriser les chaussettes, et puis quoi encore ?
Une fois de plus, je conseille à toutes les personnes qui veulent parler d’économie de faire au moins l’effort de lire un manuel d’économie. Il y en a plein et même des pas chers.

Je remercie déjà ce contradicteur de s’exprimer ce qui me permet de lui répondre d’abord, d’analyser sa réaction ensuite.

Pour comprendre il faut partir de ce qu’écrit l’INSEE. Tout ce qui est en bleu est copié-collé du site de l’INSEE. Ce qui est en noir est de moi ainsi que le soulignage :

Les grands agrégats économiques associés au PIB sont le revenu national brut (RNB), la capacité ou le besoin de financement de la nation, les grandes composantes de l’équilibre entre les éléments de l’offre (PIB, importations) et de la demande (consommation, investissement, exportations), la ventilation des facteurs de production (emploi, stock de capital) par secteurs institutionnels (entreprises, ménages, administrations publiques considérés comme producteurs de richesses) et la valeur ajoutée qu’ils génèrent.

Le PIB y est présenté comme un élément de l’offre, exactement comme les importations. Mais cette offre n’est pas une offre d’argent mais une offre de marchandises ou de services. Tout le truc pour l’INSEE consiste à parler en volume et à traduire ce volume en argent à prix courants comme il l’explique lui-même :

Le produit intérieur brut est publié à prix courants et en volume aux prix de l’année précédente chaînés. Son évolution en volume (c’est-à-dire hors effet de prix) mesure la croissance économique.

Prenons l’exemple du kilo de tomate. Il peut être importé ou produit en France. C’est l’offre. Si je veux ces tomates je les demande et je les paye 5 € le kilo cette année alors qu’elles valaient 4 € l’année dernière. J’ai donc dépensé 5 € et ces 5 € sont évidemment arrivés dans ma poche par mon travail. Jusque là c’est simple. Mais pour avoir plus de tomates il va falloir que je travaille plus et ce n’est pas électoral. Il faut donc le présenter différemment.

L’INSEE (en fait les Politiques avec les Economistes) a trouvé la parade qui n’est évidemment qu’une apparence. Il dit  » Nous avons produit (le PIB) ou importé des tomates (on parle en volume) que nous traduisons en euros (à prix courants) qui valaient 4 € l’année dernière (aux prix de l’année précédente chainée), c’est l’offre. Mais pour ne pas mélanger croissance et hausse des prix l’INSEE précise bien que la hausse des prix de 4 à 5 € ne rentre pas en ligne de compte et que c’est simplement l’augmentation de la consommation de tomates qui aurait fait de la croissance (Son évolution en volume (c’est-à-dire hors effet de prix) mesure la croissance économique). Voila donc la croissance à la française, la croissance par la consommation. Si nous consommons deux fois plus de tomates cette année que l’année dernière nous aurons fait la croissance dont les Politiques ont tant besoin.

Mais revenons au PIB et à nos tomates. Je rappelle comment l’INSEE définit le PIB :

Définition

Agrégat représentant le résultat final de l’activité de production des unités productrices résidentes.
Il peut se définir de trois manières :
– le PIB est égal à la somme des valeurs ajoutées brutes des différents secteurs institutionnels ou des différentes branches d’activité, augmentée des impôts moins les subventions sur les produits (lesquels ne sont pas affectés aux secteurs et aux branches d’activité) ; Les 5 € sont la valeur ajoutée par le producteur de tomate.
– le PIB est égal à la somme des emplois finals intérieurs de biens et de services (consommation finale effective, formation brute de capital fixe, variations de stocks), plus les exportations, moins les importations ; J’ai dépensé 5 euros de tomates
– le PIB est égal à la somme des emplois des comptes d’exploitation des secteurs institutionnels : rémunération des salariés, impôts sur la production et les importations moins les subventions, excédent brut d’exploitation et revenu mixte. Ce sont 5 € que j’avais dans ma poche grâce à mon travail.

Si le PIB est à la fois la somme de l’argent dépensé, la somme de l’argent distribué et la somme de ce que l’on a acheté avec, je maintiens qu’il est la mesure plus ou moins juste (à cause de l’épargne) de l’argent en circulation.

J’en arrive maintenant à l’analyse de la réaction de mon contradicteur qui, en plus, à le lire, doit être très sympathique. Il navigue de bonne foi dans un système qui est faux et qui s’habille de mathématiques.

Je me souviens en 1ère année d’HEC avoir fait remarquer à mon prof d’économie dans le grand amphi que pour démontrer que A était égal à C il n’avait peut-être pas besoin de 4 tableaux quand il prenait comme hypothèses que A était égal à B (hypothèse en haut à gauche du 2ème tableau) et que B était égal à C (hypothèse en bas au milieu du 3ème tableau).

Il est faux de dire que le troc a précédé la monnaie, il est faux de dire que le PIB est autre chose que la somme des dépenses publiques et privées, il est faux de dire que la croissance apporte des richesses quand on est incapable de différencier une richesse d’un encombrement et d’un déchet. En revanche il est vrai que le prêt à intérêt est un impôt privé payé par la dévaluation et la hausse des prix. Il est dangereux de vouloir changer le temps avec la recherche, changer l’espace avec l’Europe et le mondialisme, changer les hommes par la formation et tout attendre de Dieu par la croissance, cette manne imbécile que l’on voudrait divine et dont nous constatons évidemment l’absence.

Mais cela va être aussi difficile à faire rentrer dans les esprits que quand Copernic a osé dire que la Terre tournait autour du soleil ou quand Semmelweis a osé dire aux médecins de se laver les mains.

Cela s’appelle un changement de paradigme. Sa nécessité s’appelle la crise. Sa réalisation se fait par l’intelligence ou par la guerre qui remet en un instant les yeux en face des trous.

La valeur ne se chiffre pas

Toute la science économique est fondée sur le chiffrage de la valeur et, comme chacun a pu le constater, si la parole ouvre le débat, le chiffre le ferme. Les discussions d’économistes sont tristes car elles sont très souvent des querelles de chiffres que personne ne peut ni vérifier ni contester puisqu’ils viennent d’autres économistes réputés impartiaux et qu’ils sont l’aboutissement d’un labyrinthe inconnu que personne ne peut réellement explorer.

Or la valeur se marie mal avec la mathématique. La valeur n’est qu’un regard. A chacun son regard qui peut d’ailleurs varier dans l’espace et dans le temps. Le regard que l’on porte sur un verre d’eau ne sera pas le même en plein Sahara, à côté d’un torrent alpin ou dans une soirée mondaine. Le regard porté sur l’homosexualité va être liberté à Paris et crime à Téhéran. « Quelle est cette vertu que trajet d’une rivière fait crime ? » disait Montaigne. Telle activité ou tel objet n’aura pas la même valeur à 20 ans et à 60 ans. L’or et l’argent n’avaient pas la même valeur dans l’Europe de Christophe Colomb et chez les indigènes des Amériques.

Si deux personnes portent le même regard sur le même objet au même moment et au même endroit, ils lui donneront la même valeur et si l’un veut le vendre et l’autre l’acheter, ce sera le prix de cet objet entre eux deux, à ce moment-là et à cet endroit-là. Il n’y a rien à en tirer d’autre si ce n’est que pour celui qui achète ce sera une valeur d’usage puisqu’il va s’en servir, et pour celui qui vend une valeur d’échange puisqu’il va en tirer de l’argent. Mais s’il n’y a pas à cet instant-là volonté de s’en séparer et volonté d’acquérir, ce sera simplement une valeur, un regard personnel éventuellement partagé.

Parler de « création de valeur » ou de « taxe à la valeur ajoutée » n’a aucun sens (sauf le mot taxe) car le même objet peut être vu comme une richesse, un encombrement ou un déchet. Le crottin de cheval est richesse pour le jardinier, encombrement pour le promeneur et déchet pour le cheval. Il n’a pas de valeur unique.

La valeur est une notion philosophique. Vouloir la chiffrer c’est faire de la mathématique sur de la philosophie et c’est rigoureusement impossible.

Lorsque les Politiques parlent de leurs valeurs, ils savent qu’ils parlent de leurs regards qui sont toujours tournés avec ornières vers la prochaine élection. Il faut faire saliver les électeurs mais surtout ne pas être précis car certains recracheraient. Les Politiques savent que les valeurs ne se chiffrent pas.

Plus sérieusement la valeur étant un regard, elle est le vrai, le bien et le beau. Elle est ce que je crois vrai, ce que je répute être le bien et ce que je considère comme beau. La valeur est le lien entre des personnes qui, ayant le même regard, constituent un groupe avec une même vision du futur à construire sur des bases assez semblables.

Aujourd’hui la valeur a été kidnappée, au singulier par les économistes, au pluriel par les politiques. Il serait bon de prendre conscience qu’un regard commun sur le beau, le bien et le vrai nous manque dramatiquement. Chacun se replie sur soi et attend le choc. Essayons au moins de comprendre pourquoi.

Un emplâtre sur une jambe de bois

A force de faire semblant, on sombre dans le ridicule le plus abouti. Le rapport Gallois prône une augmentation de la TVA et la baisse des charges sociales des entreprises. Partant de ce rapport le gouvernement Ayrault dans son « pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi » tourne déjà le dos aux promesses électorales de François Hollande et veut augmenter la TVA et réduire de 20 milliards d’euros la fiscalité sur les entreprises sans baisser les charges sociales pour ne pas augmenter, plus que de sa raison personnelle, le trou déjà béant de la sécurité sociale. Les écologistes s’étranglent, l’autre bord approuve et s’amuse de voir Jean-Marc Ayrault appliquer le programme de Sarkozy.

Les uns comme les autres ne font qu’augmenter l’impôt en réussissant à faire croire qu’ils le diminuent en le ressortant sous d’autres formes. Les charges sociales sont un impôt comme la TVA, la CSG et les radars sur les routes. Tout cela parce qu’on s’entête à croire que la croissance enrichit et que les deux seules questions sont « Comment la stimuler, la faire revenir, l’implorer et la retenir ? » et « Comment se partager équitablement cette manne laïque dans le désert des idées ? ».

Toute la classe dirigeante se perd en discussions profondes sur le meilleur remède entre le cautère, l’emplâtre ou le cataplasme, sans réaliser que le problème est la jambe de bois et non pas les simagrées d’illusionniste que chacun invente pour faire espérer que la jambe va prendre vie.

Le crédit d’impôt est un cautère, l’augmentation de la TVA est un emplâtre, la diminution des charges sociales est un des multiples cataplasmes qui tous, ne sont qu’augmentation ou diminution des prélèvements pour faire tomber la manne et donner l’illusion que la jambe de bois est vivante.

Hélas, trois fois hélas ! le dogme de l’église économique qui nous gouverne est faux. La croissance s’achète, pardon ! se finance, parce qu’elle n’est que dépense.

Lorsque l’INSEE écrit dans ses définitions que le PIB est un produit et donc que sa croissance enrichit, il utilise un tour de passe passe qu’il faut décortiquer.

Tout part de l’observation que si un client achète un kilo de tomates à un marchand, le marchand s’appauvrit en tomates et s’enrichit en argent pendant que le client s’appauvrit en argent mais s’enrichit en tomates. Le PIB étant la mesure, plus ou moins exacte, de l’argent en circulation, cette mesure peut se faire, comme le dit l’INSEE, en additionnant toutes les dépenses ou en additionnant à un moment donné tout ce qu’il y a dans les différentes mains, en additionnant les distributions. Mais comment faire croire que de l’argent circulant est une production que nous allons pouvoir nous partager ? Les économistes ont trouvé le truc : il n’y a qu’à parler en tomates. En achetant des tomates, je m’enrichis en tomates et bien que ce soit une dépense, je vais dire que ma femme s’est enrichie en soins dentaires, et mes amis se sont enrichis en voiture japonaise ou en téléviseur chinois. Nous avons fait de la croissance en nous enrichissant de tout cela et l’INSEE va pouvoir dire que le PIB est une production puisque nous avons produit des tomates, des soins dentaires, des voitures et des téléviseurs. Le génie de l’INSEE va être d’appeler « valeur en volume », la tomate et le téléviseur que j’ai maintenant entre les mains et de les chiffrer en euros « à prix courants » comme ils disent. Génial non ? Il va suffire maintenant de savoir qui paye mais cela s’appelle financer la croissance. Ne riez pas ! C’est ça le PIB que l’INSEE va additionner aux importations pour avoir nos ressources. On comprend mieux que ça coince forcément et que la crise était écrite depuis longtemps.

On va donc payer des milliers de fonctionnaires pour ne pas se contenter d’additionner simplement toutes nos dépenses ou toute la monnaie mise en circulation pour calculer le PIB, mais pour chiffrer les objets et les services que les acheteurs payent. C’est  pratiquement « mission impossible » car comment chiffrer ce qu’apporte un prêtre ou un fonctionnaire mais cela donne de l’emploi à des gens que l’on rémunère et, plus ils mettent de temps à chiffrer tout ça, plus cela coûte cher et plus cela fait de la croissance. L’INSEE va appeler cette « production », la « valeur ajoutée », « à prix courants et en volume ». Personne ne comprend mais on peut enfin dire que le PIB est un produit et que nous allons l’augmenter par la croissance et nous le distribuer ! On parle en volume et on additionne des tomates, des diagnostics, des voitures, des prières, des livres et des efficacités de fonctionnaires. Pour faire bonne mesure puisque l’on parle volume, on va faire de la croissance avec nos importations puisque cela va nous permettre de consommer, pendant que les Allemands font de la croissance avec leurs exportations. Mais si les Allemands s’enrichissent des euros qu’ils perçoivent, nous, nous nous enrichissons des produits asiatiques que nous achetons ! L’INSEE met en ressources les importations et le PIB. Il met en emplois nos dépenses et notre exportation.

Tout cela pour ne pas à avoir à dire au peuple que, s’il y a des inégalités honteuses dans la distribution de notre monnaie, nous vivons en moyenne au-dessus de nos moyens. La réelle pauvreté de certains est trop compensée par l’opulence scandaleuse de certains et par la vie trop dépensière de la majorité. A force d’attendre la manne laïque, nous avons oublié que seul le travail produit réellement des richesses et qu’à force de nous partager une pseudo richesse qui n’est que de l’argent emprunté nous rêvons d’un monde qui n’existe pas et auquel nous voulons tout de même croire. Mais qui veut réellement affronter ce problème ? Pas nous ! Nous sommes complices de nos dirigeants car nous n’avons pas envie de nous réveiller. Pas les Politiques ! Ils n’ont pas non plus envie de nous réveiller puisque nous devons bien voter le jour où nous sommes devant une urne et ils savent que le réveil sera douloureux. Et pour cela ils ont besoin de beaucoup d’argent et sauveront donc en premier le système financier qui les fait vivre. Pas les grandes entreprises ! Elles n’existent que par l’agitation économique et par la réduction de la durée de vie de ce qu’elles font produire. Pas les médias ! Ils ne vivent que par le financement des précédents.

Alors les impôts ne peuvent que monter car il faut payer, en décalage et tout est dans ce mot, la vie trop facile qu’en moyenne nous avons. En plus des impôts classiques on a inventé la dévaluation pour faire payer les épargnants et la hausse des prix pour faire payer les consommateurs. Aujourd’hui la classe dirigeante fait s’épanouir un nouvel impôt, la compétitivité qui est un mot inventé en 1960. Il faut fournir plus et d’une manière ou d’une autre travailler plus pour gagner moins; mais surtout ne pas le dire et combattre becs et ongles le protectionnisme qui nous mettrait en face de nous-mêmes et de nos contradictions. Il est pourtant totalement nécessaire  que nous réalisions la supercherie dans laquelle nous vivons mais c’est tellement difficile à accepter que nous préférons inconsciemment laisser venir, par lâcheté, le protectionnisme par sa voie royale : la guerre.