Noël

Dans l’armée mexicaine des rédacteurs en chef du journal Les Echos, Daniel Fortin est rédacteur en chef « Idées et Enquêtes ».

Sur Europe1, ce jour de Noël, à la question de Pierre De Vilno « Il n’y a pas un vrai retour de la croissance. Pourquoi notre économie n’arrive-t-elle pas à décoller ? »  Daniel Fortin a eu la réponse lumineuse : « Ça, c’est le grand mystère ».

Pour ce spécialiste des idées et des enquêtes, l’économie aurait dû repartir avec « la chute des cours du pétrole, la baisse de l’euro ou encore le niveau incroyablement bas des taux d’intérêts », ce qu’il appelle même « l’alignement des planètes ». Avec en cerise sur le gâteau, les effets du pacte de responsabilité, l’économie devait repartir.

Le malheureux doit avouer qu’au lieu de favoriser la reprise « ça profite davantage aux importations qu’à nos propres producteurs ». Il se lance alors en bon journaliste dans l’explication du mystère et va chercher pour comprendre, le pape de l’économie française, Patrick Artus, X, ENSAE, Science-po, professeur partout, conseiller ailleurs, membre de conseils d’administration divers dont Total et farouche partisan de l’immigration et de la productivité présentées par lui comme les deux mamelles de la croissance. Daniel Fortin explique : « Plusieurs économistes dont Patrick Artus estiment que l’offre française n’est plus suffisamment adaptée à la demande moderne. Elles ont un problème de gamme. On parle aussi du vieillissement de nos usines qui seraient beaucoup moins robotisées que celles de l’Allemagne ou de l’Italie ». En bon serviteur du système Daniel Fortin conclut par la touche d’espoir indispensable, tempérée par un conditionnel prudent : « Le problème serait structurel donc plus long à traiter, ce qui explique le retard à l’allumage de la croissance ».

Comme Noël est le jour des cadeaux, j’ai décidé de lever le mystère pour qu’il puisse enquêter en 2016 les yeux ouverts. Je lui annonce sans vouloir l’attrister que le Père Noël n’existe pas et que si les parents ne travaillent pas pour gagner de l’argent, les enfants n’ont pas de cadeaux. C’est peut-être douloureux mais c’est l’explication de son mystère.

Comme tous ses congénères et comme l’armée politicienne qu’il sert, il s’est convaincu que le PIB est une création annuelle de richesses à se partager, alors qu’il n’est que la somme de toutes nos dépenses avec un argent que nous gagnons de moins en moins et que nous empruntons de plus en plus à des banques qui n’en ont pas et qui, faute de récupérer l’argent créé par elles, commencent déjà à déposer le bilan comme en Italie ou au Portugal en dépit du rachat par la BCE de toutes leurs créances douteuses sur des Etats qui ne peuvent rembourser qu’en empruntant davantage.

Mais de même que les enfants n’aiment pas apprendre que le Père Noël n’existe pas, les Français n’ont pas du tout envie d’entendre que la croissance n’a jamais été l’augmentation des richesses produites mais qu’elle n’est que l’augmentation des dépenses quelles qu’elles soient. Il est tellement agréable de croire vivre dans un pays riche, de se croire capable d’être généreux sans se restreindre, de penser à 20 ans qu’on sera riche à 40 ans parce qu’il est normal d’avoir sa part de la croissance.

Je sais qu’il y a dans mes lecteurs des gens honnêtes qui ont du mal à croire que le PIB n’est que la somme des dépenses tellement cela remet tout en cause. Qu’ils lancent le débat ici, je répondrai à tous et qui sait ? Je me mettrai peut-être à croire au Père Noël s’ils sont convaincants.

Je cherche la personnalité politique qui arriverait à dire aux Français que le Père Noël et le pays de Cocagne n’existent pas. Dans le système électoral actuel ce serait évidemment suicidaire. Allez tenter un scrutin  majoritaire sur l’existence du Père Noël chez des enfants de 6 ans et vous aurez le même résultat qu’avec des adultes français consultés sur le PIB qui est forcément une production et forcément une création de richesses.

Qui a encore envie de réfléchir et de s’intéresser vraiment aux générations suivantes ? A mes yeux sûrement pas Patrick Artus et Daniel Fortin.

Les économistes sont des jean-foutre

Ce qui est stupéfiant, c’est le côté révérencieux que tout le monde semble avoir vis-à-vis de la prétendue science économique qui habille des banalités affligeantes avec de la mathématique et dont les professeurs assènent des contre-vérités auxquelles il ne peuvent pas croire eux-mêmes. Ils ne donnent leurs diplômes qu’aux étudiants suffisamment fragiles pour répéter, sans vraiment comprendre, tout ce qu’on leur a embecqué.

Le PIB est présenté par l’INSEE sur son site de la façon suivante le 1er octobre 2012 (la colorisation m’est personnelle)  :

Produit Intérieur Brut (PIB) et grands agrégats économiques
Les comptes de la Nation – Base 2005
Date de mise à jour : 15 mai 2012
Le produit intérieur brut (PIB) est le principal agrégat mesurant l’activité économique. Il correspond à la somme des valeurs ajoutées nouvellement créées par les unités productrices résidentes une année donnée, évaluées au prix du marché.
Il donne une mesure des richesses nouvelles créées chaque année par le système productif et permet des comparaisons internationales.
Le produit intérieur brut est publié à prix courants et en volume aux prix de l’année précédente chaînés. Son évolution en volume (c’est-à-dire hors effet de prix) mesure la croissance économique.
Les grands agrégats économiques associés au PIB sont le revenu national brut (RNB), la capacité ou le besoin de financement de la nation, les grandes composantes de l’équilibre entre les éléments de l’offre (PIB, importations) et de la demande (consommation, investissement, exportations), la ventilation des facteurs de production (emploi, stock de capital) par secteurs institutionnels (entreprises, ménages, administrations publiques considérés comme producteurs de richesses) et la valeur ajoutée qu’ils génèrent.

Sur cette base de création de richesse, tous les raisonnements tendent à faire venir cette croissance, cette augmentation du PIB que nous allons nous partager. C’est beau comme l’antique et on se laisserait presque prendre à cet hameçon séduisant si le même INSEE dans ses définitions ne nous apprenait pas, toujours au 1er octobre 2012, que :

Produit intérieur brut aux prix du marché / PIB
Définition
Agrégat représentant le résultat final de l’activité de production des unités productrices résidentes.
Il peut se définir de trois manières :

– le PIB est égal à la somme des valeurs ajoutées brutes des différents secteurs institutionnels ou des différentes branches d’activité, augmentée des impôts moins les subventions sur les produits (lesquels ne sont pas affectés aux secteurs et aux branches d’activité) ;

– le PIB est égal à la somme des emplois finals intérieurs de biens et de services (consommation finale effective, formation brute de capital fixe, variations de stocks), plus les exportations, moins les importations ;

– le PIB est égal à la somme des emplois des comptes d’exploitation des secteurs institutionnels : rémunération des salariés, impôts sur la production et les importations moins les subventions, excédent brut d’exploitation et revenu mixte.

Il faut d’abord nettoyer ces définitions d’un charabia destiné à ne pas être dérangé par tous ceux qui ne font pas partie de l’Eglise économique. On dit «Formation brute de capital fixe» et «Emplois finals intérieurs de biens et de services» car «Investissements» et «Dépenses» risqueraient d’être compris par les gens simples. En fait l’INSEE rappelle discrètement dans ses définitions que le PIB est soit tout ce qui est produit, soit tout ce qui est dépensé, soit tout ce qui est distribué. Mais il doit avoir comme mission de ne donner qu’un éclairage valorisant, celui de la production. Dire qu’il suffit de dépenser pour faire de la croissance fragiliserait ceux qui voulaient aller la chercher avec les dents ou ceux qui veulent l’intégrer à un pacte européen.

Pour bien comprendre la « production » dont parle le PIB, imaginons un SEL (Système d’Echange Local) d’une centaine de personne qui crée une monnaie qu’il appelle piastre, il en fabrique une certaine quantité qu’il va distribuer à ses adhérents qui vont s’acheter les uns aux autres les biens et les services dont ils ont besoin. Imaginons même que nous soyons au mois d’août et qu’aucun autre habitant que les membres du SEL ne soit présent et que l’euro ne soit pas utilisé. Les piastres tournent et tout ce qui est produit dans le SEL est évidemment égal à tout ce qui est dépensé dans le SEL et est aussi évidemment égal à tout ce qui a été distribué aux membres du SEL si l’on a fabriqué juste ce qu’il fallait de piastres. Nous avons les trois définitions du PIB de l’INSEE et nous voyons même que l’INSEE oublie la 4ème définition de ce même PIB qui est l’argent circulant. Le PIB est en effet la quantité d’argent en circulation que l’on peut voir comme l’argent créé pour le groupe multiplié par sa vitesse de circulation, comme la production effectuée par le groupe traduite en argent, comme l’argent dépensé par le groupe et enfin comme l’argent circulant entre les membres du groupe. Ces quatre regards ont évidemment le même chiffrage et personnellement j’opte pour le calcul du PIB le plus simple : additionner toutes les dépenses publiques et privées.

Le plus simple n’est plus en effet de calculer l’argent créé depuis que les banques ont créé tellement d’argent virtuel par la double écriture que personne ne peut avoir une idée chiffrée de l’argent créé. Le plus simple n’est évidemment pas non plus de faire ce que fait l’INSEE sur ordre, à savoir l’éclairage production, car étant incapable de chiffrer ce que peut produire l’admin istration, l’INSEE utilise l’éclairage dépense pour trouver la production : l’administration rapporte ce qu’elle coute. Plus elle coûte plus on fait de croissance. Mais les politiques n’aiment pas qu’on leur rappelle que pour faire de la croissance il suffit de dépenser davantage.

Le PIB n’est donc qu’une quantité de monnaie en circulation qui n’a rien à voir avec une production réelle. La croissance du PIB a pourtant deux gros intérêts pour les politiques : elle constate l’emploi donné en dépensant et elle enrichit l’Etat qui pompe sur tout mouvement qu’il ne fait pas lui-même. Décembre 1999 a donné beaucoup de travail pour nettoyer les côtes du pétrole de l’Erika et pour réparer les dégâts des deux tempêtes qui ont traversé la France. Cela a terriblement enrichi l’Etat qui grâce à la TVA s’est constitué une « cagnotte » dont il était un peu gêné. Keynes proposait que la moitié de la population creuse des trous que la seconde moitié reboucherait. Quelle croissance ! Sur la TVA et sur les charges sociales des boucheurs déboucheurs, l’Etat ferait fortune. Le seul problème, et c’est celui de la croissance, c’est de savoir qui la paye. Qui a payé la fabuleuse croissance de décembre 1999 dont nous nous serions bien passés ? Il était piquant de voir Nicolas Sarkozy critiquer François Hollande et ses centaine de milliers de fonctionnaires supplémentaires alors qu’embaucher des fonctionnaires augmente le PIB puisque, rappelons-le, pour l’INSEE l’administration rapporte ce qu’elle coute. C’est moins intéressant pour l’Etat car il n’y a pas de TVA mais l’emploi et la croissance s’y retrouvent.

Les politiques et les « économistes » n’osent pas demander qui paye la croissance. Ils disent « Il faut la financer » et pour tenir dans ce monde aberrant ils ont besoin de partenaires qui sont le système bancaire international qui tient le rôle d’usurier en prêtant l’argent qui fait croire que nous sommes riches et que la croissance crée des richesses comme a le culot de l’écrire l’INSEE. Jean-Luc Mélenchon disait lors de sa campagne que la France n’avait jamais été aussi riche de toute son histoire. En réalité elle n’est riche que de ses dettes et elle s’est vendue au système financier mondial pour permettre à la SPP (Société Protectrice des Politiques) de sauver la classe politique droite et gauche confondues. Ils veulent tous la croissance et donc qu’il faut dépenser plus. Mais ils disent tous qu’il faut rembourser les prêts et donc qu’il faut dépenser moins.

Ils continuent tout de même à se différencier pour pouvoir se combattre et apporter au peuple ces jeux du cirque qu’il affectionne. Ceux qui se disent de gauche prétendent qu’il faut dépenser plus pour dépenser moins (consommation moteur de la croissance) pendant que ceux qui se disent de droite affirment qu’il faut dépenser moins pour dépenser plus (investissement moteur prudent de la croissance). Il n’y a que François Bayrou à vouloir faire les deux.

Ils veulent tous revenir à l’intelligence suprême de Maastricht qui est de ne dépenser que 103 % du PIB sachant que Guy Abeille haut fonctionnaire à la direction du budget avoue dans le Parisien du 28 septembre 2012 avoir sorti à l’époque de son chapeau ces 3% « chiffre né sur un coin de table » à la demande de Mitterrand qui voulait « une règle facile qui sonne économiste ». Il dit avoir choisi un pourcentage du PIB parce qu’en « économie tout le monde se réfère au PIB ». Bonjour Panurge ! Dès que l’on comprend que le PIB est la dépense, on comprend que nous nous sommes engagés, droite et gauche confondues, à ne pas dépenser plus de 103 % de… ce que nous dépensons.

Ce système aberrant est pourtant farouchement défendu par la classe politique car il permet de faire croire au peuple que le fait de vivre mieux que nos grands-parents est dans l’ordre naturel des choses. Ils sont tous farouchement opposés au protectionnisme qui nous mettrait en face de nous-mêmes et de nos contradictions. Je regrette déjà le conditionnel de ma phrase car c’est un futur inéluctable. Le protectionnisme nous mettra en face de nous-mêmes et de nos contradictions. Soit en douceur et avec intelligence, soit en un instant par la guerre.