L’économie virtuelle

Dans ce monde où personne ne veut voir que nous consommons nettement plus que ce que nous produisons, y a-t-il une autre solution que la guerre pour arrêter le système qui permet de trouver cela naturel ?

Cette question simple qui est inconsciemment en chacun d’entre nous est tellement difficile, complexe et désagréable que nous procrastinons tous en en reportant chaque jour l’étude au lendemain.

C’est sans doute en trois temps qu’il faut aborder le problème. D’abord comprendre la simplicité de l’économie réelle, ensuite analyser l’économie virtuelle et enfin observer comment l’éducation et la politique se sont mis au service du virtuel par paresse et veulerie.

L’économie, l’action dans la maison en grec, est très simple. La monnaie est l’énergie collective utilisable pour n’importe quoi à l’intérieur du groupe qui l’utilise, et le travail est la seule énergie individuelle connue. L’économie c’est l’échange entre de la monnaie et un bien ou un service créé par le travail. C’est aussi l’étude de cet échange. Chaque individu essaie de séduire par son travail un possesseur de monnaie pour échanger avec lui les énergies et transformer le fruit de son travail dont il ne sait pas très bien si ce fruit est richesse, embarras ou déchet, contre de la monnaie qui est une richesse objective sûre et stable. La monnaie est le seul bien qu’il est unanimement scandaleux de brûler. Tous les autres biens sans exception peuvent être des encombrements ou des déchets pour certaines personnes ou dans certains lieux ou à certains moments. Quel que soit le bien on trouvera toujours quelque part, quelqu’un qui aura envie à un moment donné de le détruire. Mais personne ne brûle des billets de banque. Les deux seules exceptions connues, Gainsbourg et Nicholson, sont deux beaux exemples du côté asocial des médias.

Le possesseur de monnaie s’appellera patron ou client. Les individus se regrouperont ou pas pour fabriquer des biens ou des services mais, seuls ou en groupe, ils seront toujours dans la séduction du possesseur de monnaie, à l’écoute de ce qu’ils doivent modifier pour mieux répondre à son attente. Dans l’économie réelle l’achat de l’affect du possesseur de monnaie par la publicité n’a pas encore fait ses ravages coûteux et on en reste à la remise en cause permanente de celui qui travaille pour être plus utile au groupe, plus reconnu par lui. L’économie réelle est toujours dans le don de soi et dans l’accueil de l’autre comme cela se passait avant l’introduction de la monnaie. L’économie réelle ne crée des biens et des services que pour vérifier qu’elle n’a pas perdu son temps et qu’elle peut échanger sa création subjective contre de l’argent objectif. Le prix est la mesure juste qui permet à la monnaie de circuler sans se dévaloriser. Sa multiplication intempestive s’appelle l’inflation, la masse monétaire qui enfle et qui génère la hausse des prix.

L’économie réelle sait qu’il faut des impôts et des fonctionnaires et que la difficulté est d’arriver à ce que tout fonctionne en limitant les deux, un bon fonctionnement avec peu d’impôts et peu de fonctionnaires. Dans l’économie réelle les fonctionnaires séduisent leur employeur, l’Etat, qui va chercher par l’impôt de quoi les payer et qui rend compte de sa gestion. Sa gestion consiste avant tout à garantir la valeur de la monnaie, cette énergie collectivement stockée et qui ne doit pas être gaspillée mais utilisée pour stimuler le travail de tout le peuple. Si la monnaie se dévalue, c’est qu’il y a inflation et l’Etat doit alerter son peuple sur ce qui ne va pas.

Toutes les civilisations ont vécu cette simplicité et dans celles qui avaient l’or pour monnaie, aucune n’a jamais dit que l’or ne valait plus rien. L’or ne s’est jamais dévalué.

Mais depuis deux siècles l’Occident a inventé l’économie virtuelle qui a elle-même inventé la création de richesse par un moyen simple, stupide mais qui a très bien marché : compter les échanges, les additionner et dire que c’est un produit, une création de richesses. Ça n’a aucun sens mais en le répétant des millions de fois cela a marché dans un monde qui ne filtre plus l’échange. Normalement l’échange est filtré par l’action qui montre l’impossibilité d’un fantasme et par la réflexion qui montre la déraison de la stupidité, les deux empêchant l’échange de n’être que du délire.

Mais la réflexion est abandonnée à ceux qui passent à la télé pour vendre leurs livres et y sont « suffisants et insuffisants » dans leurs péroraisons mais bien propres sur eux. Quant à l’action elle est sous-traitée à d’autres parties de la Terre  qui sont encore en économie réelle et qui ne rechignent pas au travail. Sans ce double filtre nous nous sommes laissés convaincre que le PIB est une création annuelle de richesses, une manne divine à nous distribuer.

Le plus fort est que nous nous sommes tous enrichis de cette manne divine grâce à l’emprunt fondé lui-même sur la création de richesses futures. Comme c’est totalement virtuel, l’appauvrissement indispensable au remboursement des emprunts devient une guerre sans merci entre les Etats, les entreprises et les citoyens qu’ils soient clients ou contribuables. Tous les coups sont permis dans tous les sens et cela ne fait que commencer.Cet échange de coups vicieux va devenir notre activité principale et l’économie virtuelle se frottera les mains de cette nouvelle richesse.

Pendant ce temps, au lieu de prendre conscience du rapprochement inévitable de la guerre qui fait éclater en 5 minutes la bulle de l’économie virtuelle, nous perdons notre temps en discussions oiseuses et byzantines pleines de name-dropping sur la « valeur travail » en ayant oublié et ce qu’est la valeur et ce qu’est le travail. Ou nous devisons sur l’étalon or comme si le rattachement à une matière non dévaluée résolvait quelque problème de fond que ce soit.

Qui ne s’engage pas fermement aujourd’hui dans l’éclatement de la bulle des créations de richesses de l’économie virtuelle, fait le choix de la seule autre solution, la guerre qui sera d’abord civile avant d’être mondiale. La guerre dans son abominable côté concret, casse les reins en un instant à tout ce qui est virtuel. Allez emprunter sur richesses futures en temps de guerre !

Mais nos institutions politique et éducative ou plutôt ceux qui s’en sont arrogés les rênes sans donner l’impression de bien comprendre, ont fait le choix de se servir de l’économie virtuelle au lieu de la faire éclater. L’effondrement de leur popularité montre que le bon sens reste au peuple.

Bien voir, bien comprendre, bien agir

L’équilibre perdu

 

La notion de richesse est complexe car si la richesse n’est qu’un regard, les regards sont multiples.

Il y a le regard individuel qui répute riche tout ce qui fait envie, tout ce que l’on trouve personnellement beau et bien. Ce regard nous est personnel et en plus, varie dans le temps et dans l’espace. C’est ce regard-là que les entreprises cherchent à capter, voir même à générer par la publicité. Les entreprises, pour pouvoir distribuer à leurs salariés, à la collectivité et à leurs actionnaires, l’argent de leurs clients, doivent les séduire pour qu’ils voient en richesse, la production de l’entreprise. Ce regard-là est totalement subjectif. C’est le regard que nous allons porter sur un pain, une voiture, un château, un téléphone, un diamant ou un verre d’eau, sur un service ou sur une production palpable. C’est la richesse en nature (ou en volume comme le dit l’INSEE).

Il y a le regard collectif qui dépend du groupe, regard qui se voudrait objectif et qui veut être une référence stable commune. C’est la monnaie. Nous avons vu que la monnaie est de l’énergie humaine stockée et qu’elle n’est une référence commune que par la reconnaissance par tout le groupe de sa valeur. Il faut pour cela que le groupe existe et qu’il ait trouvé sa place entre l’individuel et le sacré.

Normalement l’équilibre se fait entre ces deux regards, entre ces deux richesses. Le vendeur de voiture s’enrichit en argent et s’appauvrit en voiture pendant que le nouvel automobiliste est content de sa nouvelle voiture même s’il s’est appauvri en argent.

Mais tout cela ne tient que si l’on a intégré que la monnaie est de l’énergie humaine stockée et qu’il faut donc la stocker avant de l’utiliser. L’argent ne peut exister que par le travail réputé utile par le groupe ou par la procréation qui est un travail réputé utile par le groupe (sauf en Chine). Si l’on se laisse bercer par la fable de la manne divine et de la création de richesses futures permettant aux banques de nous prêter de l’argent qui n’existe pas, si l’acheteur s’enrichit en volume sans s’appauvrir en monnaie en croyant que le PIB lui apportera de quoi rembourser la banque, l’équilibre est rompu et faire tourner le système devient le but de plus en plus prégnant du groupe qui ne s’aperçoit plus que ce but est impossible car le regard collectif n’existe plus.

On pourrait écrire des bibliothèques entières sur la façon dont les hommes ont tenté sans succès de s’affranchir du travail en cherchant à donner à l’argent une valeur objective. L’étalon or est une de ces tentatives, le bitcoin en est une autre presque opposée. Aucune ne peut réussir car tout est fondé sur une approche matérielle de la richesse.

Il nous faut revenir aux fondamentaux, réaliser que la richesse n’est qu’un regard et qu’il faut un groupe pour avoir un regard collectif. Comme disait Jean Bodin au XVIème siècle : « Il n’y a de richesses que d’hommes ».

Blanchir l’argent sale

On me demande souvent ce que la compréhension ou l’incompréhension de la monnaie change dans son utilisation concrète. Beaucoup me disent : « D’accord la monnaie est de l’énergie humaine stockée. Et alors ? »

Par ailleurs, même des gens sérieux comme Etienne Chouard disent que la monnaie créée par les banques lors d’un prêt est détruite lors de son remboursement.

Il n’en est malheureusement rien car le bon argent, créé par le travail de l’emprunteur qui a stocké son énergie dans cet argent, n’est pas détruit. Il est venu remplacer à la banque la fausse monnaie qu’elle avait créée par la double écriture au moment du prêt.

La banque crée de la fausse monnaie et la blanchit en l’échangeant contre de la vraie monnaie, stockage d’énergie humaine.

Les petits malfrats, y compris les grands trafiquants de drogue, perdent beaucoup d’argent en blanchissant leur argent sale. Ils récupèrent toujours moins en propre que ce qu’ils mettent en sale quelle que soit la méthode de blanchiment.

Les grands malfrats font beaucoup mieux. Ils récupèrent en argent propre grâce à l’usure, pardon ! à l’intérêt, plus d’argent que l’argent sale qu’ils ont créé.

Voila à quoi peut servir la compréhension de la monnaie.

La prospérité vient-elle du travail ou de l’échange ?

L’incompréhension générale de ce qu’est la monnaie et la croyance que l’on crée objectivement de la richesse sont les deux pieds très enracinés du blocage économique que les commentateurs politiques et médiatiques ont réussi à nous faire appeler la crise.

Si l’on ne se contente pas de rejeter la responsabilité de la crise sur l’extérieur en attendant béatement l’embellie alors que le drame ne fait que commencer, il faut tout d’abord ne pas confondre la monnaie collective qui se chiffre et qui est pérenne, avec la richesse qui n’est qu’un regard individuel qui ne se chiffre pas et qui peut changer.

Si tout était normal la monnaie serait limitée et se chiffrerait par la quantité d’énergie humaine reconnue comme stockée par le groupe. La richesse serait le regard inchiffrable du groupe et de ses membres sur l’alliage du beau et du bien qui est le riche.

Si tout était normal nous retrouverions le don de soi et l’accueil des autres, l’échange des êtres, à l’intérieur d’un lien social qui serait un but commun.

La vie, et en particulier la vie humaine, est échange d’énergie. La vie sociale est échange d’énergie humaine.

L’échange d’énergie humaine peut se faire par voie directe (travail, amour, sport, discussion, guerre,…) ou par voie de l’énergie stockée qu’est la monnaie.

Pour qu’il y ait échange il faut que chacun ait l’impression de s’enrichir à chaque échange, la richesse n’étant qu’un regard. L’échange qui se fait librement est un double contentement et donc un double enrichissement.

Tout échange est une photo de deux regards différents sur les mêmes biens ou les mêmes services en un lieu et un temps donnés L’un voit une richesse là où l’autre voit un encombrement, voire un déchet et réciproquement. C’est l’équilibre entre ces deux regards qui génère l’échange. Si l’énergie stockée qu’est l’argent est un élément de l’échange, ce n’est jamais un déchet et l’échange ne se fait que si l’acheteur considère que la quantité d’argent à échanger devient, à ses yeux, un encombrement par rapport à la richesse qu’est, à ses yeux, ce qu’il va recevoir en échange de son argent.

Tous ces regards sont instantanés et si, au moment de l’échange, chacun a subjectivement l’impression de s’enrichir, la réalité du groupe est que l’échange est objectivement neutre. Il n’y a pas de création objective de richesse qu’un autre regard verra d’ailleurs comme un encombrement ou même comme un déchet. La richesse est instantanée parce qu’un regard peut évoluer et est d’abord individuel.

Le groupe ne s’enrichit nullement de cet échange et pourtant, si l’un des termes de l’échange est l’argent, cela va curieusement faire du PIB, de la croissance et sera malhonnêtement présenté comme un enrichissement que certains vont croire pouvoir se partager.

L’erreur fondamentale du libéralisme si on l’approuve ou du capitalisme si on le désapprouve, est de confondre l’échange avec la prospérité. Si ça tourne c’est que ça va. Nous sommes dans la société de l’apparence qui ne peut être que dans l’immédiateté car l’apparence ne peut durer. .

Pour que le peuple vote bien, on s’interdit de traiter les causes qui mettrait le dit peuple face à ses contradictions avec des chances de le voir choisir. On va se contenter de donner l’illusion de traiter les conséquences que chacun perçoit. On va dire se préoccuper de la dette, du chômage et de la balance commerciale déficitaire en appelant ça la relance ou la reprise économique.

Pour ne pas mettre le peuple en face de lui-même, ce qui serait évidemment anti-électoral au possible, on va faire l’inverse ce qu’il faudrait faire.

Au lieu de faire travailler le peuple par un protectionnisme intelligent pour qu’il ait l’argent nécessaire aux achats de ce qu’il produit, on va importer de quoi vendre et prêter de quoi acheter puisque l’activité est l’apparence de la prospérité. Comme il faut bien payer nos importations on va vendre notre technologie façon vente d’armes à l’ennemi (passible de mort en temps de guerre). On ne vend plus un avion ou un train sans abandonner à l’étranger notre savoir-faire en misant tout sur ce que notre intelligence supérieure trouvera demain.

On pense résoudre le chômage en faisant payer par l’Etat de mille façons différentes, la non-occupation du peuple.

Quant à rembourser la dette, personne n’y pense sérieusement et il s’agit surtout de continuer à pouvoir s’appuyer sur un monde financier dont on a tant besoin pour tenir la communication et le vote du peuple. On se contentera d’envisager de freiner l’augmentation de la dette !

Il est tellement reposant de ne pas regarder le fond des problèmes. Mais en cette période de solstice d’hiver où la lumière va être de plus en plus présente, ne pourrions-nous pas la laisser nous éclairer un peu ?