L’équilibre perdu

 

La notion de richesse est complexe car si la richesse n’est qu’un regard, les regards sont multiples.

Il y a le regard individuel qui répute riche tout ce qui fait envie, tout ce que l’on trouve personnellement beau et bien. Ce regard nous est personnel et en plus, varie dans le temps et dans l’espace. C’est ce regard-là que les entreprises cherchent à capter, voir même à générer par la publicité. Les entreprises, pour pouvoir distribuer à leurs salariés, à la collectivité et à leurs actionnaires, l’argent de leurs clients, doivent les séduire pour qu’ils voient en richesse, la production de l’entreprise. Ce regard-là est totalement subjectif. C’est le regard que nous allons porter sur un pain, une voiture, un château, un téléphone, un diamant ou un verre d’eau, sur un service ou sur une production palpable. C’est la richesse en nature (ou en volume comme le dit l’INSEE).

Il y a le regard collectif qui dépend du groupe, regard qui se voudrait objectif et qui veut être une référence stable commune. C’est la monnaie. Nous avons vu que la monnaie est de l’énergie humaine stockée et qu’elle n’est une référence commune que par la reconnaissance par tout le groupe de sa valeur. Il faut pour cela que le groupe existe et qu’il ait trouvé sa place entre l’individuel et le sacré.

Normalement l’équilibre se fait entre ces deux regards, entre ces deux richesses. Le vendeur de voiture s’enrichit en argent et s’appauvrit en voiture pendant que le nouvel automobiliste est content de sa nouvelle voiture même s’il s’est appauvri en argent.

Mais tout cela ne tient que si l’on a intégré que la monnaie est de l’énergie humaine stockée et qu’il faut donc la stocker avant de l’utiliser. L’argent ne peut exister que par le travail réputé utile par le groupe ou par la procréation qui est un travail réputé utile par le groupe (sauf en Chine). Si l’on se laisse bercer par la fable de la manne divine et de la création de richesses futures permettant aux banques de nous prêter de l’argent qui n’existe pas, si l’acheteur s’enrichit en volume sans s’appauvrir en monnaie en croyant que le PIB lui apportera de quoi rembourser la banque, l’équilibre est rompu et faire tourner le système devient le but de plus en plus prégnant du groupe qui ne s’aperçoit plus que ce but est impossible car le regard collectif n’existe plus.

On pourrait écrire des bibliothèques entières sur la façon dont les hommes ont tenté sans succès de s’affranchir du travail en cherchant à donner à l’argent une valeur objective. L’étalon or est une de ces tentatives, le bitcoin en est une autre presque opposée. Aucune ne peut réussir car tout est fondé sur une approche matérielle de la richesse.

Il nous faut revenir aux fondamentaux, réaliser que la richesse n’est qu’un regard et qu’il faut un groupe pour avoir un regard collectif. Comme disait Jean Bodin au XVIème siècle : « Il n’y a de richesses que d’hommes ».

6 réflexions sur « L’équilibre perdu »

  1. Très intéressant texte qui me rappelle cette phrase que j’emprunte à Oscar Wilde « Les gens connaissent aujourd’hui le prix de tout, et la valeur de rien ». (Aphorismes)
    Mais la proposition de revenir au regard collectif est belle mais était elle réaliste ? Dans nos sociétés ou l’opinion du groupe passe par les médias et est donc subtilement détournée, utilisée ? Et ou la notion de groupe est dévalorisé par rapport a la notion d’individu ?

    • Certes nous sommes dans une civilisation qui a perdu l’humilité de se limiter intellectuellement à son groupe et qui croit vivre en délirant dans des échanges qui ne sont filtrés ni par la réflexion ni par l’action.

      Mai la question de fond reste : pour retrouver l’harmonie perdue entre l’individuel et le collectif, peut-on se passer du sacré?

  2. Si 1 % de la population mondiale détient 99 % des biens de ce monde, n’a-t-il pas le monopole absolu sur le regard et donc sur la valeur des choses ? Que se passerait-il si ce 1 % donnait 99 % de la monnaie qu’il croit détenir et dont il n’a évidemment pas besoin pour vivre, au reste du monde ?

    • Les vrais biens sont sous-évalués au profit des faux biens comme les actions qui sont totalement surévalués puisqu’ils ne sont évalués que par rapport au prix que l’on peut en tirer le lendemain.

      C’est 99% de ces fausses valeurs qui appartiennent à 1% de la population. Grand bien leur fasse ! Et cela permet à tant de gens d’épanouir leur jalousie. N’y perdons pas trop de temps et n’oublions jamais qu’un regard ne se chiffre pas.

  3. Pourquoi les média ne reprennent-ils pas cette analyse sur le regard ?
    Nous allons être confronté à un inéluctable et imminent effondrement global de la bourse pour cause soit, d’une part, de la fin de la garantie du prix des exploitations du gaz de schiste aux USA face au prix de pétrole fin juin prochain et, d’autre part, par l’explosion des emprunts en Chine qui gonfle une bulle hallucinante et incontrôlable dénoncée par JP Morgan, soit les deux en même temps. Mais surtout ils permettraient à de plus en plus d’entre nous de comprendre comment et pourquoi nous en sommes arrivés-là et surtout sur quelles bases solides construire le système du monde durable de demain sur un équilibre stable …

    • Je ne peux répondre à la seule question posée, à savoir celle sur l’incurie des médias, mais sans doute peut-on répondre : « parce que trop peu de citoyens s’intéressent à l’économie ayant accepté l’idée qu’ils ne sont pas assez intelligents pour comprendre ». J’ai du mal à croire que « de plus en plus d’entre nous (vont) comprendre comment et pourquoi nous en sommes arrivés là ». La vie quasiment sans efforts que les Politiques nous proposent pour être eux-mêmes réélus, nous a flattés, séduits, embobinés et formatés. Le pouvoir a acheté notre soumission par université et par médias avec de l’argent qu’il n’avait pas.

      Il faut réinventer Utopia, cette île créée par St Thomas More, chancelier d’Angleterre décapité pour avoir refusé de renoncer à lui-même. Sommes-nous assez forts et assez construits pour aller à la décapitation intellectuelle en résistant à l’intelligence camouflée en intellectuels, incarnée en Jacques Attali ou Bernard-Henri Lévy?

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