Une pensée maîtresse du monde

Le 17 mars dernier au Sénat se tenait un colloque organisé par l’association Démocraties au cours duquel j’ai dit ces quelques mots :

Il m’a été proposé de travailler « L’argent et l’économie sont la création d’une pensée devenue maîtresse du monde ». Je ne peux que le constater et le déplorer. Je vais essayer de vous en proposer une explication.

L’oïkos, la maison en grec, a donné le préfixe éco à l’économie, l’action dans la maison, et à l’écologie, l’étude de la maison. Malheureusement l’expérience tirée de l’économie et la connaissance tirée de l’écologie n’ont pas réussi à s’associer au discernement pour faire vivre l’écosophie, la sagesse de la maison, dont le but est d’exprimer les problèmes et d’en explorer les réponses possibles.

Le siècle des Lumières a éveillé en Occident le « Yes we can » qui a fait florès depuis, et l’homme occidental s’est décrété encyclopédique. Il a cru avoir atteint la Vérité avec un grand V, l’etumos grec alors qu’il n’était, comme les autres, que dans l’aletheia, la vérité contingente, celle du groupe, celle qui devient erreur en franchissant les Pyrénées comme le disaient Montaigne et Pascal. Mais ce souffle de confiance en soi, marié au savoir universel Hégélien et à la puissance Nietzschéenne a donné corps à tous les rêves adolescents. Du premier rêve adolescent « Je suis le plus fort et le plus beau », nous avons fabriqué le fascisme. Du deuxième rêve adolescent « Personne ne me donne d’ordre », nous avons fabriqué le communisme car la dictature du prolétariat n’a jamais été qu’une étape vers l’absence d’Etat. Du troisième rêve adolescent « La vie est facile et tout m’appartient », nous avons fabriqué le capitalisme. Ces trois idéologies fondées sur la prétendue capacité de l’homme a tout résoudre, se sont voulues modernes, c’est-à-dire « à la mode », vecteur de progrès sans dire vers où, et universelles puisque ne supportant pas plus la contradiction qu’un rouleau compresseur. Toutes ces idéologies ont voulu faire croire qu’elles venaient du peuple alors qu’elles étaient venues de l’esprit d’intellectuels, certes brillants, pendant que le peuple était, lui, déjà condamné au concret. Elles ont développé au siècle dernier deux courroies de transmission, les médias pour séduire et l’administration pour maitriser. Dans les trois cas les médias ont glissé vers la propagande, et l’administration est devenue policière, ce qui a séparé encore davantage le peuple de ses élites qui ont eu du mal à réaliser que séduction et contrôle rendaient de plus en plus difficiles leur réconciliation avec le peuple.

Aujourd’hui l’Occident est divisé entre ses peuples et ses classes dirigeantes. Les peuples tentent de survivre et transforment leur peur de l’avenir en haine de soi (chacun doit avoir son psy) ou en haine des autres avec la montée de la violence. Les classes dirigeantes, malades de leur vanité font corps avec le capitalisme. Or le capitalisme, fort de la mort de ses deux concurrents, pense avoir réalisé leur rêve et avoir enfin réussi à construire cette tour de Babel qui transperce le ciel. Le capitalisme est convaincu d’avoir transformé sa médiocre vérité contingente en vérité universelle et mondialisée. La pensée occidentale se réduit jour après jour à une gestion des contradictions du capitalisme, à un « faire croire » sans y croire et à une immédiateté qui a peur d’un lendemain que personne ne voit plus. Comme tout ce qui est faible, la pensée occidentale se protège par des affirmations péremptoires. Nos élites sortent d’écoles où on leur a fait croire qu’elles étaient les meilleures et d’universités où, pour avoir leur diplôme, elles ont répété sans comprendre ce qu’elles ont entendu. La pensée occidentale a fortement décliné en discernement, en courage et même dans la perception de la réalité.

Les applications de ce constat difficile sont nombreuses. Les décisions fondées sur les fausses certitudes s’opposent à la vérité des faits comme des plaques tectoniques qui, s’avançant l’une vers l’autre, conduisent toujours aux séismes. La classe dirigeante appelle ces séismes « La crise » car cela lui donne l’impression que cela s’arrêtera de soi-même et surtout qu’elle n’en est pas responsable. Notre élite est perdue et n’arrive même plus à se l’avouer tellement il lui faudrait accueillir le fait de s’être trompée pendant des décennies. Les communistes ont fait ce deuil, avec difficultés, mais les capitalistes n’arrivent pas encore à réaliser que leur voie aussi est sans issue. Notre élite se repose unanimement sur un quadrige de fées qui doit tout résoudre. La fée innovation pour changer le temps, la fée Europe pour changer l’espace, la fée formation pour changer les hommes et la fée croissance qui doit fabriquer dès son retour prochain les richesses qui régleront tous nos problèmes.

Nous connaissons tous le conte d’Andersen « Les habits neuf de l’empereur » dans lequel des escrocs convainquent l’empereur, de la beauté d’un tissu que les imbéciles ne peuvent pas voir. Tout le monde, y compris l’empereur, admire la beauté du costume fabriqué par les escrocs avec ce merveilleux tissu jusqu’à ce qu’un enfant dise « Mais il est tout nu ! ». En 1971 le très sérieux New England Journal of Medecine publia un article intitulé « Syndrome des habits de l’empereur » dans lequel il expliquait qu’un diagnostic erroné peut être confirmé par plusieurs médecins par « contamination du diagnostic précédent ».

C’est ce qui se passe avec la science économique, tissu d’analyses erronées et terriblement contaminantes. Molière fait dire à Sganarelle à l’attention de ce benêt de Géronte : « Et voici pourquoi votre fille est muette » après un salmigondis incompréhensible. Les économistes et les politiques ne font pas mieux quand ils assènent à la méthode Coué qu’il faut aller chercher La croissance car elle seule nous sortira de La crise. Personne ne comprend mais personne n’a le courage de le dire. Faut-il qu’un enfant vienne réveiller les adultes ?

Parmi les analyses défectueuses de la science économique, la plus criante est probablement celle de la monnaie et, si l’on comprend les angles de vues réduits d’Adam Smith et de Karl Marx, on comprend plus difficilement qu’ils n’aient jamais été remis en cause. A en croire la science économique « au début était le troc et un jour c’est devenu trop compliqué et on a inventé la monnaie ». Si elle avait raison dans sa vue matérialiste et si le troc était au début de tout groupe et avait précédé la monnaie, maman ne ferait l’amour que contre le chèque des courses et papa n’emmènerait les enfants à l’école que s’ils avaient débarrassé la table et fait leurs lits. C’est évidemment faux et pourtant chacun se soumet. Dans la réalité un groupe se constitue pour une raison d’être ensemble. Les individus se rassemblent pour survivre, pour se défendre, pour attaquer, pour se reproduire, pour grandir ou pour voyager. Ce qui réunit les membres du groupe c’est leur vision commune de leur lendemain commun, c’est leur lien social. A l’intérieur de ce lien social on va tout naturellement constater à la fois l’émergence d’une direction, d’une tête, individuelle ou collégiale, ainsi qu’une répartition du travail à faire où chacun fera naturellement ce qu’il sait faire le mieux. Chacun, mu par sa conscience ou par son désir, donnera le meilleur de lui-même et accueillera les autres comme ils sont. L’organisation du groupe se fera autour de la répartition du travail, ce qu’Adam Smith et Karl Marx étudiaient comme la division du travail. Ils le voyaient comme un échange des biens et des services alors qu’il est beaucoup plus fondamentalement un échange des êtres, un don de soi à la collectivité et un accueil de tous les autres. Tout naturellement le groupe s’organisera pour que les besoins divers des uns soient satisfaits par le travail des autres et réciproquement. Chacun contribuera sans rien chiffrer à la réalisation du lien social, à l’harmonie du groupe. Si telle fonction essentielle n’est pas remplie spontanément, la direction utilisera son autorité pour qu’elle ne manque plus. Le groupe ne sera pas dans le troc, il ne sera pas dans l’échange des avoirs mais dans l’échange des êtres, dans le don de soi et dans l’accueil des autres. Il sera dans l’efficacité d’être ensemble, efficacité complexe dont l’échange des biens et des services n’est qu’un regard superficiel. On observe encore aujourd’hui cette sorte de constitution dans toutes les nouvelles associations loi de 1901.

Chacun apportera à la collectivité sa personne, ce qu’il saura faire, ce que son travail passé lui aura appris et ce que son travail présent lui fera réaliser. Il recevra pour cela la part de l’œuvre collective à laquelle il aura droit sur le chemin commun de la réalisation du lien social, du but commun. S’il se relâche plus que de raison, la direction du groupe le rappellera à l’ordre.

Ce don de soi, le don de son énergie individuelle, de son travail, manuel et intellectuel, crée un échange d’énergie entre les membres. Cet échange d’énergie renforce le lien social et soude encore davantage le groupe. Limiter l’échange d’énergie à l’échange des biens et des services est dangereusement réducteur. C’est en réalité beaucoup plus complexe que cela puisqu’il s’agit d’un échange d’énergie humaine.

Les énergies individuelles sont comptabilisées dans la mémoire du groupe et la stabilité sociale exige que l’énergie produite par chaque membre soit équilibrée par rapport aux autres et bien répartie entre chacun. A titre d’exemple, dans une famille on dira à un enfant : « Dis donc, tu pourrais aider ! Tu ne fais rien, tu laisses tout faire aux autres, mets la table et range ta chambre ». L’harmonie du groupe se maintient parce que le pouvoir veille à ce que chacun se dépense. Le pouvoir a la mémoire du travail de chacun.
Mais quand le groupe devient important en nombre, la mémoire du pouvoir perd de son efficacité et la réalité du travail de chacun est de plus en plus difficilement contrôlable. Alors le pouvoir, laxiste ou débordé, se sentant incapable de surveiller la réalité de l’apport de chacun, invente la monnaie La monnaie sera en effet la mémoire du travail passé des membres du groupe. La racine du mot monnaie tout comme le mot monument vient du grec mnêmosunê, « dont on se souvient ». Martin Litchfield West, professeur émérite au All Souls College d’Oxford, nous en explique même la forme causative dans son livre Indo-european poetry and myth paru en 2007 à l’University Press d’Oxford.

« Moneta désigne, nous dit-il, la déesse qui monet, c’est à dire qui fait se souvenir, moneo étant une forme causative de la racine *men-. »

Moneo étant une forme causative, la cause du monument comme de la monnaie est de se souvenir.
Pour ce faire le pouvoir a choisi des matière recherchées, pérennes, rares, divisibles et transportables comme de petits coquillages peu communs, du sel ou plus tard, du bronze, du cuivre, de l’argent ou de l’or. La monnaie sera également la preuve du travail présent car la monnaie force à chiffrer les biens et les services et contraint chacun à gagner son argent. La monnaie devient l’énergie commune, l’énergie sociale.

Cette énergie sociale n’existe que par la reconnaissance par le groupe que la monnaie est accumulation collective des énergies individuelles, cumul du travail des membres du groupe. Chacun sait que l’énergie est toujours très difficilement stockable mais l’homme a réussi à stocker son énergie personnelle dans la monnaie. La monnaie est énergie sociale, substitut de l’énergie humaine. Mais comme ce substitut n’est au départ reconnu que par les membres du groupe, la monnaie est aussi le symbole du lien social dont le pouvoir est garant, ce qui donne à ce dernier le droit de battre monnaie.

Mais battre monnaie ne peut se faire que si parallèlement il y a davantage d’énergie humaine à stocker. Le pouvoir doit vérifier que l’énergie humaine du groupe a véritablement augmenté par le travail ou la procréation. Si ce n’est pas le cas cette fausse monnaie sera automatiquement annulée par deux impôts que le peuple paye : la dévaluation pour ceux qui gardent leur argent et la hausse des prix pour ceux qui le dépensent. M. Asselain, professeur d’économie à Bordeaux IV a donné au ministère des finances le 4 février 2002 une conférence où il rappelait que le franc Poincaré de 1910 n’avait rien perdu pendant plus d’un siècle sur le franc Germinal de 1802 alors que lors du passage à l’euro le franc avait perdu 99,95 % de sa valeur Poincaré. Le XXème siècle a été le siècle de la fausse monnaie occidentale.

Le système capitaliste réussit alors un coup fabuleusement pervers : il fait de ses victimes ses complices. L’épargnant, pour ne pas voir ses économies dévaluées va les placer à intérêt et fabriquer à son tour de la fausse monnaie qui créera une nouvelle dévaluation et une nouvelle hausse des prix. Le consommateur, voyant les prix monter et sachant que son épargne sera dévaluée, va tout dépenser pour le plus grand bonheur du système et qui le félicitera de faire la croissance tant attendue pour enrichir l’Etat et donner de l’emploi.

Le capitalisme n’a jamais accepté l’évidence qu’une énergie ne se multiplie pas d’elle-même. Il est aussi impossible de fabriquer de l’électricité avec de l’électricité que de faire de l’argent avec de l’argent. Toutes les sagesses nous le disent depuis des siècles. Aristote écrivait dans la Chrématistique : « J’ai vainement cherché sur une pièce de monnaie ses organes reproducteurs ». L’Islam condamne la riba, l’intérêt du prêt, l’usure, comme le christianisme et le judaïsme. Luther écrit dans son grand sermon sur l’usure : « Il y a usure dès que l’on demande plus qu’on a prêté ». Les papes Benoit XIV et Grégoire XVI ont mis dans une encyclique : « Si une personne a reçu plus qu’elle n’a donné, elle est tenue à restituer le trop perçu ». Nous, nous avons préféré changer le sens du mot usure et laisser un monde financier lever un impôt privé. Nous commençons à payer notre erreur.

Le bon sens serait de marier l’énergie humaine stockée qu’est la monnaie avec l’énergie humaine vive qu’est le travail pour créer des richesses aux yeux du groupe. L’Etat, pouvant lever l’impôt, pourrait même financer par des prêts à intérêt les activités utiles au groupe. Ce serait moins grandiose que le rêve capitaliste mais tellement plus réaliste.

L’incompréhension de ce qu’est la monnaie entraîne bien d’autres non-sens comme le PIB présenté comme un produit alors qu’il n’est qu’une addition de toutes les dépenses qu’elles soient utiles ou inutiles. On nous fait croire qu’un pays à fort PIB est un pays riche. Ce n’est qu’un pays dont les habitants dépensent beaucoup. Et quand c’est avec de l’argent emprunté à des banques qui le créent, cela fait un pays plus stupide que riche.

Voila pour l’économie mais les contradictions de la pensée occidentale ne se limitent pas à l’économie et la plaque tectonique de notre vanité s’oppose en tous domaines à celle de la réalité.
Pour la gouvernance des peuples « Un homme une voix », base théorique de la démocratie, s’oppose à l’observation que c’est la façon la plus efficace de donner définitivement le pouvoir à l’argent sans possibilité de retour en arrière.
Concernant l’éducation, on l’a limitée à l’instruction alors qu’une accumulation de connaissances savamment sélectionnées n’a jamais généré le discernement qui manque cruellement et qui n’intéresse pas les tenants du système prétendument éducatif.

Ce qui est surprenant c’est que la plupart des dirigeants de la Terre, déformés dans les universités occidentales, se coupent de leurs peuples et de leurs cultures en tentant de suivre notre chemin sans issue parce qu’on les achète avec notre fausse monnaie qu’ils viennent d’ailleurs dépenser chez nous.

Partout les révolutions couvent car les peuples ne peuvent suivre les idéologies mondialistes. Les peuples savent inconsciemment que si nous voulons tous le même pétrole et la même viande nous nous entretuerons pour les posséder dès que le faux argent aura fait long feu. Chaque culture devrait chercher en elle-même comment sauver son peuple de la bêtise capitaliste et de ses valeurs prétendument universelles. Quant à nous la vraie difficulté va être de reconnaître que nous sommes dans un paradigme impossible et que nous avons emprunté une voie sans issue depuis plus d’un siècle. La fuite en avant de notre fausse élite et le bon sens populaire que le concret conserve, vont s’affronter comme on commence à le voir en Grèce. Pour éviter que cela ne se termine en fleuve de sang, nous devons convaincre nos contemporains qu’il est grand temps de se réveiller.

Il m’intéresserait d’avoir des commentaires afin de comprendre pourquoi rien ne bouge.

La richesse n’est qu’un regard

Le XXème siècle, a été le siècle du triomphe éphémère des trois idéologies fasciste, communiste et capitaliste. Il nous a habitués à tout chiffrer car le chiffre, la plupart du temps asséné et invérifiable, donne un vernis scientifique et coupe court à toute discussion. Les politiques sont passés maîtres dans l’art de jouer avec les chiffres. Ils se lancent avec talent  dans ces fameuses batailles de chiffres qui feraient presque croire à leur sérieux.

Si la parole ouvre le débat, le chiffre le ferme et arrête la réflexion. C’est probablement la raison pour laquelle les idéologies aiment tout chiffrer.

L’exemple de la richesse est révélateur. Nous savons que riche vient du mot franc rikki qui veut dire pouvoir et le pouvoir se chiffre mal. J’ai souvent pris l’exemple du crottin de cheval qui est richesse pour le jardinier, déchet pour le cheval et encombrement pour le promeneur. Nous pouvons prendre aussi l’oxygène, excrétion du règne végétal et richesse du règne animal. L’antiquaire, le brocanteur ou le ferrailleur ne ramassent-ils pas les déchets et les encombrements des uns pour les proposer comme richesses aux autres ? Le siècle des grandes découvertes a enrichi l’Occident de métaux précieux, d’épices et de tissus admirables que nos ancêtres échangeaient contre ce qu’ils appelaient de la pacotille. Ils souriaient de la naïveté de leurs partenaires … qui devaient en faire autant ! Une maison construite sans permis sur un littoral corse est-elle une richesse, un encombrement ou un déchet à faire disparaitre ?

La richesse n’est qu’un regard et le triple drame économique du capitalisme est d’avoir voulu la chiffrer, la croire universelle et la décréter objective.

L’incroyable imbécilité du PIB qui additionne nos dépenses pour nous les présenter comme des richesses, est stupéfiante dans tous les sens du terme. L’INSEE qui tente de calculer le PIB ne se demande même pas si ces dépenses sont utiles ou stupides, si elles sont faites avec de l’argent économisé ou de l’argent emprunté. Nous dépensons donc nous sommes riches et il faut dépenser toujours davantage. On fait la même croissance en dépensant l’argent des autres grâce à l’exportation comme l’Allemagne ou en dépensant un argent que l’on emprunte pour acheter ce que l’on importe comme la France.

Faut-il vraiment parler de crise ? Ne faudrait-il pas mieux constater le chant du cygne d’une idéologie qui ne cherche même plus à s’expliquer ? Comme l’ont fait avant elle ses grandes sœurs, les idéologies fasciste et communiste, l’idéologie capitaliste recule les échéances de son déclin en envoyant toujours davantage son clergé dans les médias pour séduire et en alourdissant en permanence  le fardeau qu’elle fait supporter au peuple par, au choix, la dévaluation, la hausse des prix ou le chômage.

Chez les policiers et chez les politiques y aurait-il des mal polis?

Polis en grec, c’est la cité, c’est le groupe. La politique, c’est la bonne marche du groupe. Le politique l’imagine, le policier la met en pratique et veille à son application. Le citoyen poli s’y soumet, l’impoli et le malpoli s’y refusent et la police les polira. Le polisson s’y soustraira.

Mais tout part du politique qui imagine la bonne marche du groupe et qui a donc une vision de l’avenir du groupe et de la façon d’y arriver. Mais lorsque l’on regarde les politiques occidentaux, on cherche vainement leurs visions. Nous les entendons plus parler des difficultés à mettre les chaloupes à la mer que de la destination de notre paquebot. Il se battent pour être sur la passerelle mais ils passent leur temps à réparer les avaries et l’on peut légitimement se demander s’ils n’ont pas perdu leurs cartes maritimes. On leur a appris qu’ils étaient les meilleurs, la nouvelle aristocratie au sens étymologique du terme. Et si « On » s’était trompé ? Et si cette fausse aristocratie ne s’intéressait qu’à son propre avenir en se moquant éperdument de l’avenir de leurs peuples qui ne serviraient qu’à les maintenir au pouvoir ?

Ne devrions nous pas exiger de chaque politique qu’il dévoile sa vision de l’avenir, son apocalypse puisque apocalypse en grec veut dire « soulever le voile » ?

Depuis qu’il devient difficile de trouver un politique sans sa journaliste, ne devrions-nous pas aussi demander aux médias qu’ils cessent de nous distribuer ce subtil mélange de bonne humeur et de préparation au désastre qu’ils savent si bien cuisiner ? Ils pourraient demander aux politiques, non pas comment ils comptent nous plaire mais où ils pensent nous emmener.

Et accessoirement nous dire qui nous sommes, quel est notre groupe à l’intérieur duquel nous devons nous polir pour former une cité, une Polis.

Nous pourrons entamer alors le triple effort de nous reconnaitre, de nous protéger, et enfin de nous meuler les uns aux autres.

Vaste programme !

Le cycle politique

Il y a 5 ans en 2007, j’avais écrit « Le quadrige des fées » et en le retrouvant j’observe avec tristesse que je pourrais le réécrire aujourd’hui sans en changer un mot. Toute la classe dirigeante dit aujourd’hui qu’en 2007 personne ne pouvait prévoir les problèmes actuels. C’était l’époque où l’on était si fier qu’un Sarkozy vienne enfin faire bouger les lignes. J’ai envie de reproposer mon article quand un Hollande vient enfin faire bouger les lignes. Je pense le reproposer dans 5 ans à un Copé ou à un Valls quand il viendra enfin faire bouger les lignes si la grande violence ne l’a pas fait avant.

Le quadrige des fées

Si j’entends bien les médias il y a unanimité pour aller chercher la croissance qui nous manque, et investir massivement dans la recherche et dans la formation pour rentrer enfin dans la culture de l’innovation et répondre ainsi aux défis de notre temps.

De plus grâce au traité simplifié, nous allons redonner force à l’Europe dont nous avons tellement besoin pour peser, face aux poids lourds mondiaux, présents et futurs.

La droite comme la gauche, le gouvernement comme l’opposition, le patronat comme les syndicats, le public comme le privé, les acteurs comme leurs détracteurs ne se différencient que sur la façon de faire venir la croissance, de construire l’Europe, d’investir dans la formation et de ne pas lésiner sur la recherche. J’ai beau écouter de toutes mes oreilles je n’entends rien d’autre pour nous sortir de ce que quelques fous continuent à appeler notre déclin.

Tout va aller mieux grâce à ce quadruple moteur qui va nous emmener vers demain. Personne ne conteste que la croissance, la formation, la recherche et l’Europe soient les propulseurs de notre succès futur, le quadrige qui nous mènera vers un demain prometteur. On ne se bat que pour diriger ce quadrige, que pour en être l’aurige.

Mais alors pourquoi toute une génération de quadras qui se sent sacrifiée par la génération soixante-huitarde, prépare-t-elle ses enfants à quitter la France ? Mais pourquoi donc ceux qui ne peuvent ou ne veulent la quitter se replient-ils sur le monde associatif et sur leur quotidien en s’évadant dès que possible dans les week-ends, les antidépresseurs ou la première coupe du monde venue ? Pourquoi les quelques-uns qui tentent de bouger, patinent-ils en niant même leur sur-place qu’ils ne comprennent pas ?

Ces quatre moteurs pourraient-ils être de simples fées dont les baguettes entrecroisées soutiendraient nos dirigeants comme la corde soutient le pendu ? La croissance, la formation, la recherche et l’Europe sont-elles des fées Mélusine ou des fées Carabosse ?

La première fée à implorer est la croissance que personne ne définit autrement que comme l’augmentation des richesses ou du PIB et dont il nous manquerait le point que notre Président va aller chercher avec les dents.

Il est dommage que personne n’ait envie de voir qu’entre une richesse, un encombrement et un déchet, il n’y a qu’une différence de regard. Un déchet et une richesse ne se différencient que par la subjectivité qui les regarde. Le jardinier, le cheval et le promeneur ne voient pas le crottin de la même manière. Richesse de l’un, déchet de l’autre, encombrement du troisième.

Qui ose dire que le PIB est une imbécillité qui ne veut rigoureusement rien dire sinon qu’il bouge chaque fois que l’on dépense de l’argent ? Personne n’a envie de voir que la croissance n’est que la dépense et que nous y mélangeons indistinctement les consommations intelligentes et les destructions stupides, les investissements judicieux et ceux qui sont absurdes, les créations de richesses et les créations de déchets. Sous prétexte que certaines dépenses sont utiles et donnent vraiment des fruits, ils en ont tous conclu que toute dépense est porteuse de fruits. Comme nous ne savons plus discerner collectivement ce qu’est une dépense intelligente d’une dépense stupide, nous glissons tout naturellement vers l’augmentation des dépenses stupides qui font autant de croissance que les dépenses intelligentes qui sont par nature plus difficiles à mettre en place.

Les politiques aiment la croissance car elle donne des emplois, enrichit l’Etat et évite les questions difficiles sur les dépenses à faire et celles à éviter. A force de s’entredéchirer sur la consommation ou l’investissement qui sont deux dépenses, tout le monde se moque de savoir qui paie la croissance. Détruisons les maisons que nous venons de construire et nous ferons de la croissance. Envoyons un Erika par semaine sur nos côtes et nous ferons de la croissance. Augmentons le prix du tabac et les accidents de la route et nous ferons de la croissance. Arrêtons de nous promener en famille en forêt et allons au cinéma, au restaurant ou devant une télévision et nous ferons de la croissance. Achetons notre vie au lieu de la construire et nous ferons de la croissance.

Alors que nous attendons tous les fruits de la croissance comme la manne divine, la question non posée est : qui la paie ? Comme l’augmentation du PIB est l’augmentation de la partie achetée de notre vie, on comprend mieux, en attendant Godot, la montée sans fin des emprunts des ménages, des entreprises et des Etats.

La formation est la seconde fée qu’il est bon de révérer. Ses lévites sont les enseignants qui vont nous fabriquer des hommes et des femmes tellement diplômés que la terre entière va nous acheter très cher ces êtres d’exception que seule la France sait produire.

La difficulté, c’est que toute la formation académique n’est fondée que sur la régurgitation des connaissances qui ramène à l’instruction publique, ce qui n’a jamais été que dans les mots l’Education Nationale.

L’Education Nationale répond admirablement au problème du XIXème siècle qui était le manque de connaissances mais ne s’intéresse pas au discernement qui est le problème du XXIème siècle. Les formateurs sont aussi ces démiurges de la formation qui vont transformer tous les « laissés pour compte » de plus en plus nombreux de notre société, en actifs parfaitement adaptés à une société que l’on appelle « civile » depuis qu’on ne la comprend plus et que le militaire est sorti des esprits.

Mais dans les faits, sans l’harmonieux tissage entre l’amour ferme des parents, l’accompagnement puissant des entraîneurs, et l’enseignement rigoureux des professeurs, il n’y a pas d’éducation efficace, de formation raisonnable. Or tous ces adultes ignorent les lendemains vers lesquels ils sont supposés conduire.

Qui pourrait les taxer d’incompétence ? Les médias et l’administration qui nous gouvernent n’ont aucune vision. Personne ne peut dire où nous serons dans dix ans.
On a assassiné les entraîneurs après les avoir ridiculisés. Il n’y a plus de chefs scouts, d’adjudants de carrière, de moniteurs de colonies de vacances, de maîtres d’apprentissage pour accompagner le développement des êtres, leur épanouissement. Les familles se décomposent pour pouvoir se recomposer et l’amour ferme nécessaire à la croissance ne se trouve plus que dans des personnalités isolées et suspectées. On demande tout aux professeurs qui bien évidemment devraient être des génies pour ne pas tout rater. Nous formons des diplômés qui n’intéressent pas grand monde car il leur manque le discernement qui est la vraie rareté recherchée.

Une éducation nationale qui n’harmonise pas connaissance, expérience et discernement, ne mérite pas son nom et en tous cas, ne mènera pas loin. Malheureusement une école de discernement est un lieu clos, contradictoire et obligé où l’on se meule les uns aux autres mais nous avons décidé que notre liberté était justement de pouvoir fuir les écoles de discernement.

La première fée doit nous apporter la manne et la deuxième va nous transformer d’une façon indolore. A deux, elles vont résoudre simultanément, de deux coups de baguettes magiques, les problèmes complexes de l’avoir et de l’être. Les deux dernières fées n’auront plus qu’à s’occuper du décor.

La troisième et la quatrième fée nous projettent dans le temps et dans l’espace, là où l’herbe est évidemment plus verte. Cette croyance en une amélioration sans effort par un simple changement de temps et de lieu est éternelle. En 1968 la mode était de prendre son sac et d’aller à Katmandou mais une fois sur place, en ouvrant son sac, chacun retrouvait évidemment ses problèmes.

La recherche nous emmène vers un beau lendemain et l’Europe nous construit un ailleurs merveilleux.

J’aimerais croire à l’efficacité de la recherche mais lorsqu’on voit des chercheurs chevronnés obligés d’émigrer outre atlantique pour continuer à travailler quand la France veut les mettre d’office à la retraite, comment ne pas être dubitatif ? Quand on voit les domaines de recherche du CNRS, de l’INSERM ou de l’INRA, comment ne pas être sceptique ? On ne cherche que pour trouver ce qui coûtera encore plus cher avec de moins en moins d’efforts.

J’aimerais croire à l’Europe que nous fabrique la Société Protectrice des Politiques mais il faut constater qu’ils l’ont abandonnée au début des années 70 en renonçant à 6 à une harmonisation fiscale et sociale qui seule pouvait être la colonne vertébrale de l’Europe. Ils ont tous préféré, pour ne pas affronter leur peuple, une Europe sans épine dorsale qui ne peut tenir qu’en s’étalant. L’Europe qu’on nous propose a comme seule constante de n’avoir aucune harmonisation fiscale et sociale. Elle peut s’étendre jusqu’à l’Irak, elle n’est qu’une juxtaposition d’égoïsmes qui veulent faire payer les autres. Comment faire une baignoire d’eau claire avec des bouteilles d’eau trouble ?

Ce quadrige onirique, ces quatre fées qui nous bercent ne nous aveuglent-elles pas au fond pour que nous ne prenions pas conscience du désastre dans lequel nous entraînons nos enfants. Cet aveuglement pour ne pas voir et ne pas avoir à affronter n’est pas nouveau. Il est en l’homme et était déjà décrit dans la Bible.

La Bible nous rapporte en effet que dans la ville de Sodome, les habitants « étaient mauvais, étaient des scélérats » (Gn 13-13). Ce côté mauvais des habitants de Sodome n’était-il pas simplement comme actuellement chez nous, la pensée dogmatique, la pensée unique dont ils voulaient que chacun soit pénétré ? Or les anges rendirent aveugles tous les habitants. « Ils frappèrent de cécité les gens ….. depuis le plus petit jusqu’au plus grand… » (Gn 19-11). L’histoire de Sodome nous rappelle que lorsque tout marche sur la tête, l’aveuglement général précède la grande violence et l’effondrement.

Pour ne reprendre que le siècle dernier, la Belle Epoque et le pacifisme dogmatique ont précédé la grande guerre, les Années Folles et la certitude que nous avions subi la « der des der » nous ont amenés à la deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui l’optimisme public est de rigueur même si, en privé, tous les penseurs politiques expriment une vraie angoisse. La sortie du tunnel que nos dirigeants nous annoncent depuis si longtemps sans jamais nous y mener, doit s’atteindre d’après eux par le quadrige des fées car les vrais moyens sont trop difficiles pour être proposés au peuple.

Les vrais chemins sont pourtant connus mais ils sont tellement difficiles que par lâcheté on les répute impossibles, et que par vanité on les trouve ridicules.

Ridicule et impossible de faire comme le Brésil qui met 100% de droits de douane sur les produits importés alors qu’il n’y a aucun autre moyen durable de donner du travail à ceux qui le demandent et qui sont en droit de le demander ? Continuons à ne surtout pas nous protéger puisque nous ne pourrions plus vendre nos Ariane, nos Airbus, les intelligences que nos professeurs vont fabriquer par millions et nos inventions que nos chercheurs vont trouver par milliers grâce à l’argent que nous allons leur distribuer à tous. Ne tentons pas de convaincre notre peuple de consommer au prix où il est capable de fabriquer lui-même. N’affrontons ni les avantages acquis des salariés ni ceux des multinationales qu’elles appellent mondialisation. Continuons à délocaliser à tout va, on verra bien qui s’occupera de baisser le niveau de vie des Français ou de financer par l’emprunt celui de l’électeur consommateur téléspectateur, ce mouton vénéré que l’on appelle le public.

Ridicule et impossible de demander à l’Education Nationale de lever le pied sur la connaissance pour s’intéresser au discernement ? Le discernement est le domaine réservé des gouvernants qui savent comment sortir du tunnel, des médias qui savent ce que nous devons entendre et des inspecteurs généraux qui savent ce qu’il faut mettre dans les programmes et ce qu’il faut supprimer pour faire de la place aux nouvelles connaissances. Continuons à tresser des couronnes de laurier aux élèves et aux étudiants qui répètent fidèlement sans toujours bien comprendre, ce que les professeurs disent et qui ne comprendront pas, une fois diplômés, leur difficulté à trouver un emploi.

Ridicule et impossible de toucher au suffrage universel direct que l’on confond scandaleusement avec la démocratie alors qu’il induit naturellement la ploutocratie, le pouvoir aux riches ? Continuons à faire semblant de croire qu’en mettant cent personnes au milieu de la rue, nous découvrirons la vérité sur n’importe quel sujet par l’avis majoritaire sans vérifier préalablement la compétence et l’engagement des interviewés.

Ne serait-il pas temps de quitter l’âge de la croyance aux fées, de nous réveiller collectivement pour affronter avec humilité mais détermination les difficultés que nous n’aimons pas regarder ?

Il n’y a malheureusement pas d’autre moyen pour éviter la destruction de Sodome. Mais le quadrige des fées nous donne la possibilité de vivre agréablement en laissant les problèmes à nos enfants.
C’est une ministre de la République qui utilisait le terme « dégueulasse », non ?

Nauséabond

Les journalistes adorent ce mot ! Il permet en effet de classer n’importe quoi dans le camp du mal sans avoir à s’expliquer sur le pourquoi. C’est la liberté d’expression du journaliste qui cherche à imposer une idée de rejet sans dire le moindre mot sur les raisons de sa hargne personnelle.

La période électorale lamentable que nous venons de vivre a étalé sur la place publique tous ces mots porteurs de morale dans un monde qui n’en a plus. La classe dirigeante a compris que personne n’est élu sur la raison et que ce sont les sentiments et les besoins qui font l’élection. A partir de là les mots vides de sens que l’on va charger positivement ou négativement, seront les véhicules de la non pensée et de l’affect besogneux.

Nauséabond va généralement avec un rappel plus ou moins discret au nazisme : « Cela nous rappelle les heures les plus nauséabondes de notre Histoire », « en entonnant le refrain nauséabond du « elle n’est pas d’ici » ». Le militant de base recevra 5 sur 5 et dessinera sur les affiches une mèche et une moustache pour exprimer sa compréhension du message. On n’a rien eu à lui dire. Le mot creux a suffi à réveiller son cœur.

Un mot creux peut-être aussi par définition positif et j’ai eu l’occasion sur ce blog de reprendre les explications de Jean Bodin qui au XVIème siècle écrivait que la monarchie, l’aristocratie et la démocratie étaient les trois formes fondamentales de la république, de la chose publique. Mais aujourd’hui nos archontes ont habillé République en y mettant une majuscule et en ont fait la gouvernance non définie mais parfaite puisqu’ils en tiennent les rênes. Si quelqu’un a l’audace de dire que la monarchie est une forme de république, on ne dira pas de lui qu’il est nauséabond car il est difficile de faire un lien avec ce pauvre Adolf, mais on veillera à ce qu’il ne soit pas entendu.

Le mot peut aussi ne pas être creux mais éclairer sans discussion possible la même idée avec une notion de bien ou une notion de mal. Une différence sera distinction si on l’approuve, discrimination si on la désapprouve. Aucun besoin de prendre le risque d’expliquer pourquoi. La seule utilisation du mot permet d’atteindre le sentiment en écartant la raison.

Le pompon est atteint avec les mots « droite » et « gauche » qui ont l’immense avantage de parler au peuple sans rien dire, de créer des guéguerres bien commodes pour occuper le terrain électoral sans prendre le risque d’affronter la réalité. Si nous savons tous que « vita in motu », que la vie est dans le mouvement, nous savons tous aussi que l’harmonie est nécessaire et qu’un équilibre instable comme un château de cartes durera moins qu’un équilibre stable comme un étendage. La raison nous dit que le mouvement et l’harmonie sont à la fois indispensables et inséparables mais il est tellement facile d’aguicher nos rêves et nos peurs et ne voyant l’harmonie que sous la forme de la mort en l’appelant la droite, ou en ne voyant le mouvement que sous forme de désordre en l’appelant la gauche. La mort et le désordre réveillent l’affect et permettent d’inventer des clans avec des fantassins appelés militants qui vont se battre sans savoir qu’ils ne le font que pour le plus grand bonheur de leurs maîtres qui se repassent les postes, « une fois toi, une fois moi ». Et ils ont l’audace d’appeler cela la démocratie ! On comprend pourquoi démagogue n’a plus le même sens que pédagogue.

Et ça, cela donne vraiment la nausée et cela explique que la violence monte et que la classe dirigeante en porte la responsabilité pour une lourde part. Mais je vais être traité de « populiste ». Personne ne m’expliquera pourquoi « populaire » est bien alors que « populiste » est mal, mais on nous aura prévenu : le premier qui dit la vérité doit être exécuté.

République et Démocratie

Les mots de république et de démocratie sont aujourd’hui les « Sésame ouvre-toi »  de la vie publique.

La définition de la démocratie par Abraham Lincoln, reprise comme principe par les constitutions de la République Française de 1946 et de 1958, « gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple », est belle, elle sonne bien mais que recouvre-t-elle ?

La démocratie était à Athènes le vote sur une colline des citoyens regroupés en ecclésia. Les affaires de la cité étaient décidées à la majorité des gens intéressés s’ils étaient des hommes, s’ils étaient libres, s’ils n’étaient pas étrangers à Athènes et s’ils possédaient du blé, du vin ou de l’huile. Sur environ 250.000 Athéniens, il n’y avait guère que 40.000 citoyens dont à peine 6.000 se retrouvaient sur la colline de la Pnyx.

Le mot démocratie, disparaît pendant 20 siècles et réapparaît en 1576 quand Jean Bodin, qui disait avec un immense discernement qu’ « il n’y a de richesse que d’hommes », publie « Les six livres de la République ». Il la définit  comme «  un droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine ». Il voit trois formes de Républiques : la Monarchie où la souveraineté est à un seul prince, la Démocratie dans lequel tout le peuple a part à la souveraineté et l’Aristocratie si « une moindre partie du peuple » y a accès. Bodin ramène toutes les autres formes de républiques à ces trois là. Il prend la république dans son sens latin littéral de res publica, de chose publique, mais qui comprendra aujourd’hui que l’on présente l’aristocratie, la démocratie et la monarchie comme trois formes de république ? C’est pourtant une évidence même si elle est soigneusement cachée.

Le mot démocratie resurgit des deux côtés de l’Atlantique à la fin du XVIIIème siècle, chez des extrémistes violemment combattus par les Républicains américains et les Révolutionnaires français au pouvoir. Que ce soit les Présidents américains ou les Révolutionnaires français, Robespierre ou Sieyès, aucun n’a de mots assez durs pour qualifier la démocratie. Mais un journal de Boston explique en 1850 que « le peuple aime tellement le mot démocratie qu’un parti qui ne l’utiliserait pas n’aurait aucune chance d’être élu ». En France la révolution de 1848 impose aussi le mot qui rentre dans le camp du bien avec une absence de précision qui arrangera tout le monde. Il rejoint sur l’Olympe le mot moderne qui a déjà oublié qu’il ne veut dire qu’« à la mode ».
Aujourd’hui la république est présentée vêtue des valeurs républicaines qui seraient la liberté l’égalité et la fraternité. Ces trois mots ont été petit à petit renforcés par la Déclaration des droits de l’Homme, par la laïcité et par le principe un homme une voix. Mais qui explique que la liberté n’est pas l’individualisme, que l’égalité n’est pas l’identité et que la fraternité n’a rien à voir avec la solidarité ? Qui démontre que la monarchie et l’aristocratie ne seraient plus des formes de République ? Sûrement pas De Gaulle qui disait lors de sa 10ème conférence de presse le 31 janvier 1964 : « Il est vrai que l’autorité indivisible de l’Etat est déléguée toute entière au président par le peuple qui l’a élu, et qu’il n’y en a aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne puisse être conférée ou maintenue autrement que par lui. ». Sommes nous dans la république de tous, dans la république de certains ou dans la république d’un seul ?

Sur le consensuel flou actuel peut-on construire autre chose qu’une campagne électorale ? Cet ectoplasme non défini pourrait-il vraiment être le roc sur lequel construire durablement ?

Historiquement la démocratie est née à Athènes et la République à Rome. Mais le mot grec et le mot latin ont été récupérés par le XXème siècle pour tisser ensemble une toile de mots, piège à électeurs, fondée sur la séduction et la peur.

Une des trois formes de république vues par Jean Bodin est pourtant particulièrement intéressante, c’est celle qu’il appelle l’Etat populaire et la Démocratie. Elle n’a jamais été véritablement inventée et est à la fois une utopie géniale et un outil méprisable que la classe politique utilise pour tromper le peuple.

Il serait fantastique d’inventer la démocratie, une vraie représentation du peuple qui prendrait les décisions.  Mais il n’y a malheureusement que deux axes de réflexion possibles pour avancer vers ce rêve : le tirage au sort et le permis de voter.  Les deux donneraient vraiment le pouvoir au peuple. C’est pour cela qu’ils ne sont même pas étudiés.

L’étoile et le ver de terre

Dans un entretien au Monde.fr  le 10 mai 2012

( http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/05/10/jouanno-tout-rapprochement-avec-le-fn-serait-la-mort-de-l-ump_1699618_823448.html ),

Chantal  Jouanno, sénatrice UMP de Paris,  ne croit pas au repli de la France sur elle-même. La formule est plaisante et l’image est parlante.

Madame Jouanno est en plus une personne intelligente et modérée dont les paroles sont écoutées. Ce qui est intriguant c’est le formatage qui a fait d’une jeune sportive normande, karateka internationalement reconnue, une personne enfermée dans les vérités de son clan. Le formatage est exemplaire : BTS de commerce international, EDF, Sorbonne, Sciences Po, ENA, administrateur civil, sous-préfète, rédactrice des discours puis directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy, présidente de l’Ademe, ministre et enfin sénatrice. A 42 ans, elle réussit à rendre ridicule l’expression « train de sénateur » car entre toutes ses activités, elle a pris le temps de trouver Hervé, un mari parfait dont elle prend humblement le nom en abandonnant son nom de jeune fille et qui lui fait trois enfants aux prénoms recherchés de Sybille, Côme et Sixtine.

Comment défendre le rabougri que le repli de la France sur elle-même évoque, devant une telle addition de vitesse, de force, d’intelligence et de réussite. Bref comment la limace ose-t-elle regarder l’étoile ?

Je vais tout de même m’y risquer car, à regarder de près son parcours, on voit mal où madame Jouanno a glané le discernement. Je vais donc commettre le crime de lèse majesté en susurrant : « et si Chantal Jouanno se trompait ? ».

Un corps social puissant harmonise en son sein trois rapports :

–          Le rapport à lui-même de chacun de ses membres afin qu’il découvre la liberté par le combat contre lui-même et l’amour de ses devoirs.

–          Le rapport aux autres à l’intérieur du groupe qui fait découvrir à chacun que l’égalité n’a rien à voir avec l’identité, qu’elle est don de soi et accueil de l’autre, qu’elle est reconnaissance de l’apport de chacun et qu’elle est accueil du risque de dépendre des autres.

–          Le rapport à ce qui dépasse les êtres, individuellement et collectivement, le volcan, la tempête, la nature, ce que beaucoup appellent Dieu et qui génère un vecteur commun de l’effort sur soi. C’est ce qui fait aimer les devoirs, découvrir l’humilité et la fraternité par la reconnaissance de puissances supérieures à  l’humanité que l’Occident a tenté de nier depuis deux siècles. L’Occident a inventé les valeurs de la République, la laïcité, l’écologie et la solidarité pour pallier le manque de supports de l’effort sur soi. Mais on pourra toujours être solidaire  d’un bloc de béton, sans jamais pouvoir lui être fraternel.

Cette harmonisation essentielle ne peut se faire sur la terre entière car l’ensemble de l’humanité aurait alors la même notion du beau, du bien et du vrai. Les hommes auraient les mêmes désirs, voudraient  les mêmes choses que la Terre ne pourrait pas donner. Aller vers une uniformisation des désirs de l’humanité, c’est tenter ce que les totalitarismes précédents, fascisme et communisme, ont déjà tenté par ce mondialisme imbécile que tous les totalitarismes imposent pour se donner l’impression d’avoir raison par l’élimination de toutes les autres cultures. Ils ne gagneront heureusement jamais mais si par malheur le capitalisme réussissait ce que le nazisme et le communisme ont heureusement raté, ce serait une tuerie générale pour savoir quelle serait la minorité qui aurait le pétrole, l’uranium et la viande de bœuf.

Il faut revenir au respect des autres cultures et à la construction de la sienne.  Accepter le verbe « revenir » c’est accepter d’être faillible et d’avoir pu se tromper. Le mondialisme est une folie mais l’Europe aurait pu être le lieu de construction d’une culture commune si les 6 classes politiques des 6 pays de la CEE ne l’avaient pas tuée unanimement dans l’œuf au début des années 70 en refusant une constitution commune par peur d’affronter leurs 6 peuples. Elles ont préféré faire rentrer l’Angleterre et construire une fausse Europe qui ne peut tenir qu’en s’étalant et qui n’agrège qu’un nombre croissant d’égoïsmes. L’Europe actuelle n’est plus qu’une SPP (Société protectrice des politiques).

En revanche La France reste un espace cohérent dans lequel nous pouvons ensemble reconstruire une cohérence perdue. C’est l’inverse d’un recroquevillement.

Je me sens humainement beaucoup plus proche de Chantal Jouanno que de Marine Le Pen mais quand c’est Marine Le Pen qui a raison, faut-il la rejoindre ou demander à Chantal Jouanno de changer d’avis ?

Mon vote blanc est-il vraiment nul ?

Hier dimanche 6 mai 2012 j’ai découpé un bulletin blanc que j’ai mis dans l’enveloppe que j’ai glissé dans l’urne.

Puis j’ai vu le soir la joie et la tristesse de tous ceux qui croyaient à l’importance de ce vote. Ils avaient tous été préalablement « chauffés » à coup de dizaines de millions d’euros pour que l’affectif les amène au bon choix à un moment précis, le dimanche 6 mai 2012, ni avant, ni après.

Quinze jours plus tôt, nous avions éliminé tous les porteurs d’une bribe de vérité, les Mélenchon, les Dupont-Aignan, les Poutou, les Le Pen, les Cheminade, les Arthaud et autres Joly. Certes aucun d’entre eux ne prenait suffisamment de hauteur pour prendre le problème dans son ensemble mais au moins chacun disait à sa manière des bouts de vérité en les habillant d’affectif pour glaner le maximum de voix.

Les seuls qui étaient restés consciencieusement et exclusivement dans l’apparence et dans le faire croire, c’était les trois qui se voyaient une vraie chance de rentrer ou de rester à l’Elysée. En bons professionnels ils s’offraient à intervalles de plus en plus rapprochés, les sondages qui leur montraient l’efficacité de leurs investissements publicitaires fabuleux. Les investissements étaient systématiquement renouvelés là où les sondages montraient des faiblesses dans le « En dire le moins possible mais faire croire au plus possible ».

Leurs mentors grassement rémunérés leur rappelaient en permanence que nous, petits électeurs, avions tous, trois centres de décision que l’on peut symboliser par le cerveau, le cœur et le ventre qui représentent respectivement la raison, le sentiment et le besoin. Ils leur expliquaient que pour gagner une élection « un homme, une voix » il faut faire abstraction de la raison, et faire croire que les besoins seront satisfaits et les désirs comblés. Si nous savons tous que « plaire ou conduire, il faut choisir », la règle du jeu pour l’élection est de plaire. Chacun a donc fait faire la liste de tous nos besoins et de tous nos désirs pour pouvoir faire croire qu’ils seront assouvis. Cerise sur le gâteau, leurs conseillers en communication leur ont bien précisé que le faire croire devait être renforcé par une apparence de réalisme et de modestie. Il faut être « normal » et bien répéter qu’ « on ne peut pas tout faire ».

Le moins riche a été éliminé avec les porteurs de fragments de vérité puisque la règle qu’ils ont établie est qu’il ne doit en rester que deux pour le deuxième tour. Et comme il faut être économe et ne pas gaspiller son argent, il est inutile de dépenser plus que nécessaire. Dépasser juste un peu la barre des 50% est suffisant et il serait niais de dépenser des fortunes pour obtenir un 60% totalement inutile dès l’instant où l’on reste entre soi. Si par accident un Le Pen ou un Mélenchon arrive au deuxième tour, c’est une belle économie car il fait immédiatement gagner son adversaire qui n’a même plus besoin de dépenser tellement nous sommes formatés à croire que les porteurs d’illusions détiennent la vérité.

Sarkozy et Hollande avaient pourtant rigoureusement le même programme :

–          Diminuer la dette en empruntant davantage pour financer la croissance qui remboursera, parait-il, la dette.

–          Formater toujours davantage les individus en leur faisant croire qu’une accumulation de connaissances sanctionnée par des diplômes leur donnera un emploi qu’ils ne garantissent jamais en dépit du préambule de la constitution de 1958 qui reprend le préambule de la constitution de 1946 dont l’article 5 commence par « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ».

–          Faire croire que nous sommes dans un système de gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple et faire oublier que nous sommes dans une monarchie élective où chacun a sa chance s’il accepte de rentrer dans le moule politique qui est une oligarchie ploutocratique, une caste où le pouvoir est à l’argent.

Où est le discernement ? Où est la simple raison ? Faut-il éternellement se soumettre à l’affectif sans voir qu’il mène au lynchage et aux excès ? Le plus grave n’est même pas là. Le plus grave est que nous avons à la tête de l’Etat des professionnels de l’élection, pas de la politique à laquelle ils ne comprennent pas grand-chose et surtout, qui ne les intéresse pas vraiment. Ils ont même réduit le joli mot de politique, la « bonne marche de la cité » à un électoralisme ravageur et castrateur. Ils ont bâti par l’affect, une droite et une gauche afin qu’un bord récupère toujours ce que l’autre a perdu.

Quand s’intéresseront-ils au peuple autrement que pour obtenir ses suffrages au bon moment ?