La république ne se limite pas à la démocratie

Quatre ans après la St Barthélémy Jean Bodin écrit au XVIsiècle Les Six Livres de la République où il étudie la république, ce mot qui recouvre la souveraineté d’une société, la « puissance de donner et casser la loi ». Il y voit ses trois formes, de racines grecques, la monarchie quand cette puissance est confiée à un seul homme, l’aristocratie quand elle est confiée à un petit groupe et la démocratie quand elle est détenue par le peuple.

Il faut bien différencier l’aristocratie de l’oligarchie. L’oligarchie est le fait de confier le pouvoir à un petit nombre (oliga est le préfixe inverse de mega) alors que l’aristocratie est le pouvoir donné aussi à un petit nombre mais qui est supposé regrouper les meilleurs. L’oligarchie donne le pouvoir à une réduction quantitative alors que l’aristocratie le donne à une réduction qualitative. Ce ne sont que des mots mais autant les comprendre avant de s’en servir.

Aujourd’hui en Europe et peut-être dans le monde, le seul pays démocratique est la Suisse. Les autres pays européens se parent du mot démocratie qui plait aux peuples mais ils en habillent autre chose. L’Angleterre, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Norvège et la Suède sont des oligarchies déguisées en monarchie se prétendant démocratie. L’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal et les pays de l’Europe de l’Est sont des oligarchies qui se présentent aussi comme des démocraties. La seule vraie monarchie en Europe est la France où l’oligarchie française n’a que le pouvoir que le monarque lui concède. En revanche force est de constater que notre monarque prête allégeance à une oligarchie mal définie si ce n’est par sa localisation à Bruxelles et par la nuée de lobbyistes qui l’accompagne et la formate.

Tout ceci n’aurait pas une grosse importance si le monarque français et les oligarques européens étaient de vrais aristocrates, c’est-à-dire vraiment les meilleurs. En France la révolution a abattu une oligarchie qui ne méritait plus son nom d’aristocratie pour la remplacer par une nouvelle oligarchie qui n’était toujours pas composée des meilleurs. L’abbé Sieyes, révolutionnaire très représentatif de son temps a tenu à l’Assemblée le 7 septembre 1789 un discours où il vantait l’oligarchie sans jamais dire comment la choisir pour qu’elle soit composée des meilleurs :

« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »

Aujourd’hui personne ne s’intéresse encore sérieusement à savoir ce qu’il faut faire pour sortir du magma imbécile dans lequel nous sommes englués en tous domaines. Mais la bataille fait déjà rage pour savoir comment les décisions seront prises quand les sujets sérieux seront enfin abordés et que nous ne nous contenterons plus de vouloir être « puissants » pour parler d’égal à égal avec d’autres « puissants ». Les Gilets jaunes proposent la démocratie, une démocratie à la suisse par le RIC, le référendum d’initiative citoyenne. Tout le reste est heureusement contradictoire chez eux mais ils sont tous d’accord pour souhaiter l’introduction de la démocratie en France. Cela déplaît évidemment en face d’eux à tous les descendants de l’abbé Sieyès, à toutes les oligarchies qui ont montré leur inutilité en détestant la démocratie tout en s’en habillant, en jouant à l’aristocratie sans en avoir la qualité. Ces oligarchies dépensent « un pognon de dingue » pour que l’on n’aborde jamais les vrais sujets difficiles et qu’on les laisse jouer entre eux un spectacle qui n’amuse plus qu’eux.

Les questions à se poser avant de nous affronter à l’organisation de notre société, sont celles que se posait déjà Jean Bodin et auxquelles nous cherchons toujours les réponses. A qui confier la puissance de donner et de casser la loi.

Si c’est à un monarque, qu’il soit formé pour cela, que sa neutralité ne soit pas un simple empilement de « en même temps » contradictoires. Qu’il ne soit pas le fruit du mariage malsain de la lourdeur administrative de l’ENA et de la légèreté égoïste des banques mondialisées.

Si c’est au peuple, apprenons avec humilité de nos voisins suisses les qualités qui rendent la démocratie possible et que nous possédons mal.

Si c’est à une oligarchie, utilisons le tirage au sort si seule la diminution du nombre est le bon critère pour devenir représentant. Mais si nous voulons que cette oligarchie soit une vraie aristocratie, qu’elle soit composée des meilleurs, demandons-nous comment les déceler. La piste du permis de voter est, semble-t-il, une piste intéressante pour moins se tromper.

La seule chose qui parait de plus en plus évidente est que la puissance de donner et de casser la loi n’est pas actuellement en de bonnes mains.

 

 

République et Démocratie

Les mots de république et de démocratie sont aujourd’hui les « Sésame ouvre-toi »  de la vie publique.

La définition de la démocratie par Abraham Lincoln, reprise comme principe par les constitutions de la République Française de 1946 et de 1958, « gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple », est belle, elle sonne bien mais que recouvre-t-elle ?

La démocratie était à Athènes le vote sur une colline des citoyens regroupés en ecclésia. Les affaires de la cité étaient décidées à la majorité des gens intéressés s’ils étaient des hommes, s’ils étaient libres, s’ils n’étaient pas étrangers à Athènes et s’ils possédaient du blé, du vin ou de l’huile. Sur environ 250.000 Athéniens, il n’y avait guère que 40.000 citoyens dont à peine 6.000 se retrouvaient sur la colline de la Pnyx.

Le mot démocratie, disparaît pendant 20 siècles et réapparaît en 1576 quand Jean Bodin, qui disait avec un immense discernement qu’ « il n’y a de richesse que d’hommes », publie « Les six livres de la République ». Il la définit  comme «  un droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine ». Il voit trois formes de Républiques : la Monarchie où la souveraineté est à un seul prince, la Démocratie dans lequel tout le peuple a part à la souveraineté et l’Aristocratie si « une moindre partie du peuple » y a accès. Bodin ramène toutes les autres formes de républiques à ces trois là. Il prend la république dans son sens latin littéral de res publica, de chose publique, mais qui comprendra aujourd’hui que l’on présente l’aristocratie, la démocratie et la monarchie comme trois formes de république ? C’est pourtant une évidence même si elle est soigneusement cachée.

Le mot démocratie resurgit des deux côtés de l’Atlantique à la fin du XVIIIème siècle, chez des extrémistes violemment combattus par les Républicains américains et les Révolutionnaires français au pouvoir. Que ce soit les Présidents américains ou les Révolutionnaires français, Robespierre ou Sieyès, aucun n’a de mots assez durs pour qualifier la démocratie. Mais un journal de Boston explique en 1850 que « le peuple aime tellement le mot démocratie qu’un parti qui ne l’utiliserait pas n’aurait aucune chance d’être élu ». En France la révolution de 1848 impose aussi le mot qui rentre dans le camp du bien avec une absence de précision qui arrangera tout le monde. Il rejoint sur l’Olympe le mot moderne qui a déjà oublié qu’il ne veut dire qu’« à la mode ».
Aujourd’hui la république est présentée vêtue des valeurs républicaines qui seraient la liberté l’égalité et la fraternité. Ces trois mots ont été petit à petit renforcés par la Déclaration des droits de l’Homme, par la laïcité et par le principe un homme une voix. Mais qui explique que la liberté n’est pas l’individualisme, que l’égalité n’est pas l’identité et que la fraternité n’a rien à voir avec la solidarité ? Qui démontre que la monarchie et l’aristocratie ne seraient plus des formes de République ? Sûrement pas De Gaulle qui disait lors de sa 10ème conférence de presse le 31 janvier 1964 : « Il est vrai que l’autorité indivisible de l’Etat est déléguée toute entière au président par le peuple qui l’a élu, et qu’il n’y en a aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne puisse être conférée ou maintenue autrement que par lui. ». Sommes nous dans la république de tous, dans la république de certains ou dans la république d’un seul ?

Sur le consensuel flou actuel peut-on construire autre chose qu’une campagne électorale ? Cet ectoplasme non défini pourrait-il vraiment être le roc sur lequel construire durablement ?

Historiquement la démocratie est née à Athènes et la République à Rome. Mais le mot grec et le mot latin ont été récupérés par le XXème siècle pour tisser ensemble une toile de mots, piège à électeurs, fondée sur la séduction et la peur.

Une des trois formes de république vues par Jean Bodin est pourtant particulièrement intéressante, c’est celle qu’il appelle l’Etat populaire et la Démocratie. Elle n’a jamais été véritablement inventée et est à la fois une utopie géniale et un outil méprisable que la classe politique utilise pour tromper le peuple.

Il serait fantastique d’inventer la démocratie, une vraie représentation du peuple qui prendrait les décisions.  Mais il n’y a malheureusement que deux axes de réflexion possibles pour avancer vers ce rêve : le tirage au sort et le permis de voter.  Les deux donneraient vraiment le pouvoir au peuple. C’est pour cela qu’ils ne sont même pas étudiés.