Raisonnements justes sur une base fausse

C’est au début du collège que l’on apprend que « plus par moins donne moins » mais on oublie vite que des raisonnements justes sur une base fausse donnent des résultats erronés. C’est ce que nous vivons aujourd’hui en économie où une multiplicité de raisonnements pour la plupart justes, se fracassent sur le fait trop mal perçu qu’ils s’appuient tous sur une base imaginaire, inexistante et donc irréaliste, fausse et pourtant partagée dans un malheureux consensus assez inexplicable.

Cette base erronée est la création collective de richesse quasiment unanimement admise, chiffrée par le PIB et donc accueillie comme une donnée solide par l’immense majorité d’entre nous.

Déjà l’idée même de chiffrer la richesse est curieuse puisque la richesse, comme la justice ou la pureté, sont des notions qualitatives et non quantitatives, ces trois notions n’étant que les assemblages, deux à deux, des trois notions qualitatives de base que sont le beau, le vrai et le bien. Le beau et le vrai donnent le pur ; le vrai et le bien donne le juste ; le bien et le beau donnent le riche.

Cherchant à faire partager nos propres regards par le plus grand nombre, nous avons mis en place des échelles de 0 à 100 pour tenter de comparer quantitativement les degrés de pureté, de richesse ou de justice. Leur accoler un pourcentage de réussite donne en effet une apparence d’objectivité au regard que nous portons sur ces notions totalement subjectives. Mais nous n’avons tout de même jamais osé faire croire que nous créions de la pureté ou de la justice, nous nous sommes toujours contentés de constater une pureté ou une justice plus ou moins réussie, plus ou moins aboutie.

Comment en sommes-nous arrivés à croire à une prétendue création de richesse, et même à nous croire capable d’utiliser cette nouvelle richesse imaginaire pour le bien commun qui se dit commonwealth en anglais et république en français ?

En français les trois regards qualitatifs de base sur le beau, le bien et le vrai se sont longtemps mélangés en tous domaines et ont donné des expressions les confondant presque : « C’est bel et bien lui », « au beau milieu du gué » ou « une bonne grippe » expriment par exemple toutes le vrai. Quant aux trois regards tout aussi qualitatifs du riche, du juste et du pur, ils se sont presque spécialisés, chacun dans son domaine de prédilection. Le riche a nourri le matériel, le juste a ensemencé le social et le pur a étoffé le spirituel. Chacun exprime à sa manière l’élément qui lui manque : la justice à qui il manque le beau, se rend dans des palais ; la pureté à qui il manque le bien peut reconnaître de purs salauds. Quant à la richesse, c’est le vrai qui est sa faiblesse et qu’elle revendique pourtant. La recherche de la réalité de la richesse motive l’homme depuis toujours car il aime posséder ce qui lui parait beau et bon.

L’étymologie du mot richesse est éclairante car, comme le mot allemand reich, il vient du mot franc riki qui veut dire pouvoir. C’est l’argent qui dirige le monde et, même s’il se déguise en démocratie, chacun peut constater qu’au niveau d’une nation, n’est élu que celui qui peut dépenser ce qu’il faut pour l’être. Les idées comptent beaucoup moins que l’épaisseur du portefeuille qui seul donne accès à toutes les formes de communication.

C’est la communication sur la richesse qui est actuellement une insulte à l’intelligence en laissant croire que ce qui est faux est simplement trop compliqué pour être compris par le commun des mortels. Pour affirmer que le faux est vrai, il suffit de le chiffrer et de veiller à ce que toutes les portes de la compréhension du chiffrage soient bien fermées. C’est merveilleusement réussi avec le PIB qui chiffre cette prétendue création de richesse. Il est donc indispensable d’ouvrir les portes de la compréhension du chiffrage pour en montrer la stupidité, pourtant faite (sur ordre ?) par les polytechniciens de l’Insee.

Le PIB chiffre simplement les achats et les ventes, tous les échanges faits entre d’un côté un bien ou un service et de l’autre de l’argent. L’Insee le calcule de trois manières : en chiffrant ce qui est vendu au prix des dernières ventes, en comptant ce qui a été dépensé pour acheter et enfin en détaillant l’origine de l’argent dépensé. Cette troisième façon de calculer qui ne rajoute absolument rien est une première application du fameux théorème probablement apocryphe de Charles Pasqua « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien ». On a visiblement appris à Polytechnique à appliquer ce théorème.

A force d’avoir tout fait pour que personne ne comprenne plus rien à rien en incluant par exemple le commerce extérieur dans la deuxième façon de calculer le PIB mais pas dans les deux autres tout en prétendant trouver le même résultat, l’Insee a réussi à ce que la plupart des observateurs se contentent du premier calcul en l’appelant très finement « valeur ajoutée » avec son odeur de création de richesse. Ce mode de calcul additionne toutes les ventes des entreprises et en enlève  ce qu’elles ont payé en amont pour ne pas le compter deux fois. C’est en effet une valeur ajoutée par et pour l’entreprise mais comme elle est réalisée, avec toutes les valeurs ajoutées en amont, par ce que dépensent ses clients, la valeur ajoutée globale est toujours strictement égale à zéro en économie nationale.

Le PIB est et n’est que le chiffrage des productions nationales en nature transformables en monnaie. La façon la plus simple de le calculer est la seconde façon de l’Insee à savoir l’addition de toutes les dépenses sans distinguer si elles sont intelligentes ou stupides. Les investissements catastrophiques d’Anne Lauvergeon chez Areva ont fait du PIB comme les augmentations de fonctionnaires en nombre ou en rémunération, ou encore la prostitution et la consommation de drogues illicites. Le PIB chiffre aussi heureusement mais en les mélangeant avec les stupides, les dépenses intelligentes de nourriture, d’investissement utile ou simplement raisonnables.

L’Insee détaille la répartition des dépenses (présentée bien sûr comme la répartition du PIB) entre les dépenses faites par les ménages, les administrations publiques (APU) et les sociétés financières et non financières.

Source : Insee, comptes nationaux

Mais c’est la confusion entre dépense et création de richesse qui fausse absolument tout et que peu de gens acceptent de regarder en face tellement cela bouleverse tout. La dépense était une preuve de prospérité lorsque la monnaie était une richesse reconnue comme l’or ou liée à une richesse reconnue. Mais aujourd’hui où 90 % de la monnaie en circulation est une monnaie scripturale créée par les banques commerciales sous le principe « les crédits font les dépôts », les dépenses ne sont plus du tout des preuves de prospérité comme aux temps maintenant lointains où les dépôts faisaient les crédits. Aujourd’hui on crée de l’argent à partir de rien et, en le dépensant nous fabriquons mathématiquement du PIB que les médias, les politiques et les universitaires s’acharnent avec une bonne foi à vérifier, à nous présenter comme des créations de richesses. Pour les administrations publiques, ce qu’elles coûtent nous est présenté comme « une production non marchande » comme la sueur ou l’urine. Plus elles coûtent, plus elles produisent, nous affirme-t-on. Pour les ménages, admirons le contorsionnisme de ChatGPT qui reprend l’explication officielle en quoi nos dépenses sont des créations de richesses : « la consommation des ménages contribue au PIB en stimulant la demande de biens et de services dans une économie, ce qui encourage la production et la création de valeur ajoutée, et donc la croissance économique ». On se raccroche aux branches de la « valeur ajoutée » des entreprises qui est nulle en macroéconomie puisqu’uniquement créée par la valeur retranchée aux portefeuilles des clients. Pour revenir au « camembert » du PIB fait par l’Insee, les 60 % de PIB fait par les sociétés non financières, sont en réalité principalement des dépenses des ménages mais le saut permanent entre ce qui est en nature et ce qui est en monnaie dans les échanges entre les deux, seuls constitutifs du PIB, permet toutes les embrouilles.

Mais il est tellement agréable de croire qu’une nouvelle manne divine nous est donnée, surtout si nous ne croyons pas en Dieu, que tous ceux qui ont besoin du peuple pour survivre, continueront à prétendre que le PIB chiffre notre création annuelle de richesse et que leur énergie est bien utilisée à toujours mieux la répartir. Ils sont tellement nombreux à tourner en rond et à créer des normes pour tout compliquer et se croire utiles, que ceux qui sont vraiment utiles, les paysans, les ouvriers, les artisans et ceux qui sont à leur service comme les médecins, les vétérinaires, les architectes, les comptables ou les instituteurs, devront disparaître comme on le constate déjà, pour que la montée sans fin de la dette les fassent tenir un peu plus longtemps, croient-ils !

Les tensions vont croître tant que l’essentiel ne sera pas abordé : la corne d’abondance existe-t-elle ?

Nous vivons une période charnière où Politiques, universitaires et médias flattent la foule pour tenir encore un moment pendant que le peuple est partagé entre son bon sens qui le met debout et ses ressentis qui l’incitent à devenir foule.

L’erreur fondamentale que l’on a mis dans la tête du peuple et qui le rend foule, c’est que nous créons des richesses. C’est devenu une évidence pour quasiment tous et il est devenu normal de gagner plus d’argent au fur et à mesure de sa « carrière » professionnelle, de s’acheter sa maison à transmettre à ses enfants, d’avoir des retraites justes remerciements des contributions à la richesse nationale collective. De ce qu’ils appellent la droite à ce qu’ils appellent la gauche, personne ne remet en cause cette création de richesse et tous les raisonnements tournent autour de son augmentation et de sa répartition. Même des intellectuels indépendants comme Onfray et Zemmour parlent de richesse créée. Nous sommes un pays riche, c’est une donnée indiscutable puisque nous créons des richesses.

Or pendant les millénaires qui nous ont précédés, aucune civilisation n’a jamais parlé de création de richesse. L’ascenseur social apportant des richesses ne se faisait que par la rapine guerrière ou seigneuriale, ou par l’appauvrissement volontaire de ses semblables ce qui explique sa rareté et sa difficulté. Aujourd’hui ce serait devenu tout simple, normal, facile parce que la fausse élite a besoin que le peuple y croit pour qu’il ne soit que foule et qu’il la maintienne au pouvoir.

L’invention de la création de richesse a été déguisée en progrès et elle a été justifiée par l’avancée de la connaissance. Il faut la décortiquer car elle fausse l’ensemble des raisonnements. Elle fausse évidemment les raisonnements des gens de Davos, du FMI, de l’ONU, du premier cercle d’apporteurs de capitaux à Macron qui leur a proposé de démissionner pour se faire réélire rapidement. Elle fausse l’UE, la BCE et les intellectuels mais elle fausse aussi les raisonnements de la jeunesse et de la foule qui aiment les jolies histoires. Elle est dramatique parce qu’inattaquable puisque personne ne prend même la peine de la défendre, la création de richesse étant passée dans le domaine de l’évidence. Elle ne tient pourtant que parce qu’elle est accompagnée  de son chien d’aveugle indispensable, l’éternel « Je ne suis pas économiste » qui permet au peuple de rester foule et aux économistes de survivre dans le n’importe quoi, habillé, comme pour les médecins de Molière, par un vocabulaire volontairement incompréhensible qui leur permet de s’occuper en se chamaillant et en se Nobélisant.

Qui créerait la richesse ? Les entreprises évidemment. Or les entreprises ne font que produire avec l’aide de leurs fournisseurs, de leurs salariés, de leurs actionnaires et de leurs machines. Une simple observation d’un potager ou d’une vache montre que le potager produit à la fois des légumes et des mauvaises herbes et la vache du lait et des bouses. N’importe quel entrepreneur connait bien l’anxiété que sa production ne trouve pas preneur et ne soit donc pas une richesse. Production n’est pas richesse. Pour qu’une production soit richesse il faut à la fois qu’elle soit désirée et que le désir soit en capacité d’acheter, de perdre une richesse généralement monétaire pour obtenir cette production. Sans désir, sans capacité et sans perte de richesse équivalente, la production n’est qu’un embarras avant d’être un déchet. Pour qu’elle soit richesse, la production doit être échangée avec une richesse reconnue identique et préexistante, ce qu’est la monnaie. Ou plutôt ce que devrait être la monnaie si elle n’était abominablement trafiquée depuis plus de 50 ans pour que le peuple reste foule qui croit à la corne d’abondance en exigeant sa part, et pour que la fausse élite reste au pouvoir en achetant l’affect de la foule.

Il a fallu cacher que la monnaie n’a été inventée dans toutes les civilisations, que pour prévenir la tendance à oublier de rendre, dans le donner-recevoir-rendre, connu et vécu dans chaque famille et très bien décrit par l’ethnologue, professeur au Collège de France quand cela avait encore une vraie valeur, Marcel Mauss. C’est la prise de conscience que les belles promesses n’engagent que ceux qui y croient, et que seul un travail préalablement reconnu utile par la collectivité ou l’État peut être une nouvelle richesse concrétisée par de la monnaie créée par cette collectivité à partir d’une matière unanimement reconnue comme une richesse : le blé, le sel, le bétail, l’or, le cuivre ou même des plumes d’oiseau très rare. La reconnaissance unanime que cette monnaie est une richesse fait qu’elle devient un titre de créance sur n’importe quel membre du groupe, titre qui peut être échangé avec n’importe quoi. Cette monnaie, ce titre, devient une énergie qui transporte, chauffe, nourrit, loge, habille et distrait car elle est un vecteur d’énergie humaine.

L’idée aussi géniale qu’abominable de créer une monnaie fiduciaire, fondée sur la foi, sur la croyance, a permis à la fois de fonder une nouvelle religion remplaçant les religions existantes malades, et à la fois de fabriquer à la pelle de la monnaie pour qu’elle reconnaisse comme richesse les productions continues de machines de plus en plus coûteuses consommant de plus en plus de matières premières. « Du pognon il y en a » comme dit stupidement Jean-Marc Jancovici qui refuse de voir que c’est par la limitation de la monnaie qu’on limitera la consommation des réserves naturelles. Parallèlement à cette économie totalement factice, s’est mise en place naturellement une économie réelle fondée sur la consommation façon gavage et sur l’esclavage. Gavage par la publicité. Esclavage dans le temps par la dette, esclavage dans l’espace par le mondialisme qui a oublié que libre échange est d’abord échange, et esclavage ici et maintenant par la paupérisation des classes moyennes, le chômage et l’immigration.

Pendant que la fausse élite mondiale caricaturée par Davos veut faire sa grande réinitialisation qui ne va être qu’une tentative de gouvernement mondial pour tenir encore quelques décennies fondées sur le trépied de la bêtise, du gavage et de l’esclavage, il est à espérer que les peuples continueront à se réveiller, à vaincre en eux leur côté foule tellement agréable et tellement complice de leurs maîtres.

C’est debout que chaque peuple, retrouvant sa spécificité et son histoire, pourra organiser son économie en réunissant toutes les bonnes volontés sur le constat refusé par la fausse élite mondiale que la corne d’abondance n’existe pas.

La bataille sera très rude car il s’agit de la survie de la fausse élite mondiale à qui nous avons confié le pouvoir, les médias, l’éducation et la violence légitime. Rassembler l’éparpillement des bonnes volontés est la première difficulté à vaincre car elle ne peut se faire que sur le refus motivé de la nouvelle religion de la fausse élite mondiale qu’est la monnaie fiduciaire et la création de richesse. Cela force la foule que l’on voudrait que nous soyons à redevenir un peuple avec son propre bon sens.