Avons-nous encore une vérité ?

Nous subissons tous le matraquage médiatique de vérités « scientifiquement prouvées » dont le seul but est de ne pas ouvrir le débat. C’est le « Circulez, il n’y a rien à voir » de Coluche.

Pour les non-scientifiques le mot science est souvent un puits duquel la vérité sort toujours toute nue dans sa beauté resplendissante. Heureusement l’immense majorité des scientifiques est composée de chercheurs qui savent que l’histoire de la science est composée de multiples demi-tours, de remises en question et de reconnaissances d’erreurs. Bon nombre d’entre eux admettent qu’au-delà de leurs connaissances actuelles, aussi bien dans l’infiniment petit que dans l’infiniment grand, il y a un inconnu qu’il faut peut-être écrire Inconnu avec une majuscule.

Les Grecs avaient deux mots pour parler de la vérité: etumos et aletheia. En revanche, ils n’en avaient qu’un pour définir l’erreur, c’était pseudo. Les hellénistes expliquent que si l’erreur était volontaire, elle s’opposait à aletheia mais que si elle n’était pas voulue, elle était l’inverse d’etumos.

Pour être volontairement dans l’erreur il faut connaitre la vérité. Si on ne la connait pas, l’erreur ne peut être qu’involontaire. Cette approche permet de différencier ces deux types de vérités : celle, unique, que nous ne connaissons pas, que nous cherchons, la Vérité avec un grand V, l’etumos ; et celles multiples, qui définissent ce qui est la vérité avec un petit v, l’aletheia, la vérité d’un groupe, quel qu’il soit. Les définitions communes du vrai, du beau et du bien, sont en effet le lien social d’un groupe, son ciment, et elles n’ont toutes trois aucune portée universelle, pas plus que leurs composés deux à deux que sont le riche (beau & bien), le pur (vrai & beau) et le juste (bien & vrai). Toutes ces notions ne sont réputées vertus que dans le groupe auquel on appartient et la vérité y est une aletheia.

C’est de l’aletheia que parle Montaigne :

« Quelle vérité que ces montagnes bornent qui est mensonge au monde qui se tient au-delà ?

C’est encore l’aletheia que Pascal évoque quand il dit :

«Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».

Balzac enfonce le clou en mettant dans la bouche de l’usurier Gobseck :

« Rien n’est fixe ici-bas, il n’y existe que des conventions qui se modifient suivant les climats ».

Le psaume 84 dans la version hébraïque (85 dans la version latine) donne cette belle définition de l’aletheia : « La vérité germera de la terre ».

Et chez nous aujourd’hui, quelle est la vérité qui germe de notre terre ?

La construction d’aletheia nous donne la clé car le mot est composé d’un a privatif et de lêthe, l’oubli. L’aletheia est une absence d’oubli et sans participation profonde à un groupe, il ne peut y avoir d’aletheia. Si on oublie le groupe, on oublie ses notions du beau, du bien et du vrai et il n’y a plus d’aletheia. En ces temps d’affaiblissement de tous les groupes y a-t-il encore des aletheia vivantes ?

Du côté de l’etumos, cette vérité inconnue que nous tentons d’approcher, nous avons reçu l’étymologie qui est davantage que la quête de l’origine des mots. Elle est quête du sens pour se rapprocher de la Vérité sans jamais l’atteindre alors que certains « experts » scientifiques prétendent livrer La Vérité qui n’est pourtant que leur vérité du moment et de leur groupe.

Il est par ailleurs intéressant de noter que dans les quatre Evangiles qui ont tous été écrits en grec, le Christ ne parle que de l’aletheia, la vérité du groupe des humains qu’il fédère. Il laisse l’etumos à son Père.

Enfin nous sommes aveuglés par les trois totalitarismes matérialistes du XXème siècle qui ont essayé de nous faire croire que cette Vérité que nous cherchions était chaque fois leur idéologie. Le manque d’humilité, constante du fascisme, du communisme et du capitalisme, nous a fait abandonner cette recherche que nos aïeux faisaient à l’ombre des totems, des clochers, des minarets, de l’échelle de Jacob ou d’Yggdrasil. C’est pourtant cette recherche, souvent collective, qui leur apprenait à aimer leurs devoirs et à rester humble devant la tempête et le volcan en éruption. Qui cherche encore cet etumos indispensable, dans le dernier mondialisme à la mode, celui du capitalisme ?

Faut-il rappeler que sans vérité, au moins celle du groupe, il ne peut y avoir d’espoir ? Balzac rappelait fort justement que « L’espoir est une mémoire qui désire » et une mémoire, pour désirer, doit se nourrir de vérité. N’est-il pas temps de nous remettre à travailler l’etumos et à croire à notre aletheia ? Mais pour cela, ne faut-il pas commencer par savoir à quel groupe nous appartenons ?