Peut-on résoudre un problème mal posé ?

Chacun attend la relance de l’économie et le redémarrage de la croissance comme d’autres attendent le Messie. Peu de gens réfléchissent aux deux blocages qui sont la confusion entre production et richesse et l’oubli du fait que la monnaie est une créance-dette.

Le temps perdu en faux débats

Depuis les années 70, depuis la fin de ce que l’on nous a dit être les trente glorieuses, les politiques se déchirent pour savoir s’il faut relancer l’économie par l’offre ou par la demande. Cette question est l’un des faux débats dont l’Occident se repaît depuis qu’il a renoncé à regarder en face son problème. Faut-il être de droite ou de gauche ? Libre-échangiste ou protectionniste ? Libéral ou social ? Souverainiste ou mondialiste ? Dirigiste ou démocrate ? A qui faut-il donner la priorité entre l’ordre et la justice ? A chaque fois la bonne réponse est qu’il faut combiner les deux et que c’est justement l’harmonisation des deux qui est la voie de la réussite par le moyen de la difficulté vaincue. Mais la facilité ambiante qui sous-traite à la guerre le soin de nous remettre les yeux en face des trous, nous impose scandaleusement d’être unijambistes, borgnes et manchots.

C’est sans doute en économie que cette amputation est la plus dramatique car elle nous a conduit à l’impasse dans laquelle nous sommes. La monnaie est devenue impotente car on a décidé qu’elle était une marchandise comme une autre et donc qu’elle n’avait qu’un pied alors qu’elle en a deux, qu’elle était un stock alors qu’elle est un flux.

Une production n’est richesse que si elle trouve acheteur

C’est par la comparaison avec l’électricité que l’on réalise le mieux l’étendue du problème. Nous avons tendance à croire que l’électricité est une énergie alors qu’elle ne fait que capter et transporter les énergies renouvelables, fossiles ou atomiques. Sans l’origine de l’énergie, que ce soit une énergie renouvelable, fossile, atomique ou simplement la gravitation, il n’y a pas d’électricité, mais sans sa consommation, pas d’électricité non plus puisque nous ne savons pas réellement la stocker. Nous sommes obligés pour ne pas perdre l’électricité produite de la vendre en urgence même à perte à un pays étranger qui en a l’usage ou de la consommer en en sauvant 70% par la technique du STEP, du pompage-turbinage qui remonte l’eau dans les barrages. L’électricité n’est pas une énergie mais une circulation entre une production d’énergie et sa consommation. L’électricité est sur deux pieds et pas sur un seul. La collectivité est maîtresse de cette circulation d’énergie et a le pouvoir d’en choisir les bénéficiaires. Elle contrôle à la fois la captation de l’énergie et ses utilisateurs, ce qui lui donne le pouvoir. Mais s’il est aisé de comprendre que sans source d’énergie il n’y a pas d’électricité, il est moins connu mais tout aussi vrai que sans consommateurs, il n’y a pas non plus d’électricité. L’électricité est l’exemple probablement le plus clair qu’une production n’est richesse que si elle trouve son utilisateur. Les dépenses faramineuses en publicité et en commercial pour trouver des acheteurs arrivent de plus en plus difficilement à convaincre que certaines productions sont encore des richesses alors qu’elles ne sont que des embarras.

La monnaie est un vecteur d’énergie humaine

Il en est de même pour la monnaie qui marche aussi sur deux pieds. Rappelons qu’au début n’a jamais été le troc, échange des avoirs, mais le don et le contre-don, échange des êtres, comme l’a si bien montré l’anthropologue et professeur au Collège de France Marcel Mauss. Il a même souligné que le « donner-recevoir-rendre » nourrissait le lien social et était un « fait social total » à dimensions culturelle, économique, religieuse, symbolique et juridique. Lorsque la monnaie a remplacé le contre-don pour vérifier sa réalité en le rendant simultané, elle a gardé les dimensions culturelle, économique, religieuse, symbolique et juridique qu’avait le contre-don mais nous l’avons complètement oublié. La monnaie est, comme l’électricité, un transporteur d’énergie mais l’énergie qu’elle transporte est de l’énergie humaine. La monnaie est, de ce fait, un fait social total. Elle n’existe que parce qu’il y a à son origine une énergie humaine et à son extrémité une décision humaine de consommation. Jean Rémy dans son interview sur TVlibertés parle même avec talent de « vecteur » pour bien montrer que la monnaie marche sur deux pieds comme l’électricité avec une origine et une destination. La monnaie véhicule l’énergie humaine du donneur envers qui elle a une dette, vers le lieu et le moment de son échange avec l’énergie du contre-donneur sur lequel elle a une créance. Même les banques qui créent la monnaie ont conscience qu’elle est une créance-dette puisqu’elles écrivent simultanément le même montant à leur actif comme créance sur monsieur Dupont et à leur passif comme dette vis-à-vis du même monsieur Dupont.

Donner tort à ceux qui disaient « Il faut une bonne guerre »

C’est parce que nous avons oublié ces vérités de base que nous ne comprenons plus l’économie. D’un côté nous confondons production et richesse et de l’autre nous rêvons à la monnaie hélicoptère ou au revenu universel. Comme aucune solution ne marche et ne peut marcher quand le problème est mal posé, nous avons besoin de trouver des boucs émissaires responsables de tous nos maux. Ces pelés, ces galeux, sont toujours ceux d’en face dans les faux débats que nous affectionnons tant.

Faut-il vraiment se résigner au fait que seule la guerre est assez puissante pour nous remettre les yeux en face des trous ?

 

5 réflexions sur « Peut-on résoudre un problème mal posé ? »

  1. Article exceptionnel auquel je ne changerai rien, à un bémol près. Si la monnaie doit marcher sur ses deux jambes, il n’est pas démontré que de créer de la monnaie (par l’intermédiaire d’un pouvoir d’achat non associé à de l’énergie humaine) soit nécessairement pire que de de distribuer des allocations reposant sur des critères fort disparates. Pour reprendre la comparaison avec l’électricité, lorsque celle-ci est produite, il vaut mieux la consommer que la laisser perdre dans la nature. C’est sans doute vrai aussi pour la production, pour éviter qu’elle ne devienne déchet, non?
    J’en profite pour souhaiter à tous, croyants ou non, un joyeux Noël. Oui, nous avons tous besoin du Messie!

  2. Oui, encore un article qui approfondit l’explication du diagnostic fondamental de l’origine de l’effondrement actuel du « système » de fonctionnement de notre société.

    Cher Bruno, sous réserve d’une méprise de ma part, tu compares deux choses différentes dans ta première question : « … il n’est pas démontré que créer de la monnaie soit … pire que de distribuer des allocations… ». D’abord tu pourrais relire d’autres articles de Marc D. qui explique tout ça de différentes manières. En suite, d’une part il s’agit de la production de monnaie qui circule dans le groupe, donc de ce qui est la bonne quantité de monnaie qui doit circuler selon l’activité et la composition du groupe. Et d’autre part ce que l’on pourrait distribuer comme allocations ! donc distribuer une partie de cette monnaie du groupe sans contre-partie de la part de ceux qui la reçoive ! ? Puisque que nous sommes dans le don et le contre-don il faut bien que cet équilibre existe. Pour moi ces deux points ne peuvent être comparés, l’un est global, l’autre est une partie du tout.

    De même que tu avances que nous devrions consommer ce qui est produit parce que c’est produit donc il faut le consommer pour que ce soit une richesse sinon ce serait un déchet, je ne suis pas d’accord. Car justement, nous ne devons produire que s’il y a nécessité, donc un besoin, donc il y aura des acheteurs, ce qui fera que cette production sera une richesse parce qu’il y aura des consommateurs. Et cela devrait être la seule condition qui motive une production, quelle qu’elle soit. Or aujourd’hui produire des encombrants ou des déchets fait augmenter le PIB, d’autant plus avec ce que l’on dépense pour nettoyer tout ça… etc.

    A mon tour, Joyeux Noël, pour cultiver l’Espoir, mais si…

    • Bonjour Jean-François

      Tu supposes peut être le problème résolu quand tu dis, à juste titre, qu’il ne faudrait produire que ce qui va être utile. Produire sur commande en quelque sorte. La société actuelle en est bien loin.

      Un début de réponse, peut être: on pourrait déjà produire tout ce qui est importé en vue d’être consommé, puisque si on l’achète c’est sans doute que l’on en a besoin.

      Sur le Revenu d’existence, ce n’est sans doute qu’un pis aller, mais plutôt que de distribuer des allocations diverses à la tête du client, le distribuer uniformément ne me semble pas stupide. Mais, tu as raison, c’est un autre problème.

      Amitiés à tous, et bonne fêtes de Nouvel An et surtout, pour certains, bonnes fêtes de la Sainte Famille et de l’Épiphanie.

  3. Merci Marc pour cet article. En posant le problème convenablement, tu offres un très bon préambule à une réflexion lucide et d’autant plus nécessaire. Les seules perspectives énoncées se résument souvent en une attente : l’apocalypse. Cette attente s’exprime à travers l’idée de l’arrivée d’un Messie comme sauveur ou l’idée de la guerre comme destructeur. Dans les deux cas, on pense à la destruction car généralement les Messies sont le fruit ou bien l’instigateur de l’apocalypse. Nous voyons à quel point notre société est malade. Le système immunitaire de notre corps s’est résolu à sa propre destruction par sa propre masse. Notre Histoire est à un tournant, probablement une nouvelle Renaissance s’annonce mais le Sauveur n’existe que dans la fiction. L’Histoire des Hommes comme celle de la Nature nous montre que la destruction est créatrice mais que la création est aussi destructrice. Un organisme complexe en bonne santé sait trouver cette harmonie.
    Encore merci Marc de remettre les yeux en face des trous, de combler le vide de notre réalité avant que la guerre ne s’en charge. Merci d’insister sur la logique d’équilibre et d’harmonie sans laquelle la réalité ne peut s’appréhender sans tomber dans les apparences où la réalité est bien souvent manichéenne.

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