Naissance, vie et mort de la richesse matérielle

La richesse est ce que l’homme trouve beau ou bon et elle est matérielle quand elle est palpable. Elle est le regard satisfait que l’homme porte sur sa production ou sur celle de la nature.

Mais comme tout ce qui est humain la richesse naît, vit et meurt et comme pour tout ce qui est humain, nous nous intéressons plus à sa naissance dont nous nous réjouissons qu’à sa mort que nous redoutons mais que nous feignons d’ignorer. La science économique, oubliant dogmatiquement qu’elle marche sur deux pieds, néglige volontairement la mort de la richesse, ce qui rend les économistes inefficaces et inutiles, voire dangereux quand on les écoute ou quand ils déforment des étudiants.

La mort de la richesse est pourtant la plupart du temps programmée. Soit elle est immédiatement consommée comme l’alimentation ou le conseil, soit c’est son obsolescence qui est programmée, soit elle est volontairement détruite par des bombardements, par des saccages ou par des grands projets à la Haussmann. Elle peut encore être accidentellement détruite par des incendies, des tempêtes ou des séismes. Reconstruire un château sur un château, une église sur une église, une ville sur une ville, est une constante humaine car le lieu primitivement choisi l’a toujours été pour de bonnes raisons. Cela fait naître une richesse nouvelle qui constate la mort de l’ancienne. Quand une civilisation se croit vivante, elle n’a cure de la destruction car pour elle la richesse créée est plus belle que la richesse détruite et elle se croit donc plus riche. C’est lorsqu’elle a un peu honte de ce qu’elle crée, lorsqu’une civilisation est fatiguée, qu’elle regrette les richesses détruites et qu’elle ne construit plus que pour l’immédiateté tellement elle a peur du futur, c’est à ce moment qu’elle se met à admirer les vestiges de ce qui a été détruit comme le mur des lamentations, dernier vestige du deuxième temple à Jérusalem ou à en vénérer ce qui a été conservé comme ses cathédrales, ses pyramides, ses dolmens, ses stupas ou ses châteaux.

C’est au travers d’une vision peu claire de la richesse matérielle que l’on voudrait aussi durable que la richesse intellectuelle que nous devons étudier le rapport entre la richesse matérielle et l’argent. Ce rapport est à la base de toute la science économique.

La richesse est un regard subjectif sur l’efficacité du travail humain alors que la monnaie est un véhicule concret, objectif et chiffrable de ce même travail humain. Mais si le lien entre richesse et argent est individuellement très bien compris, il est généralement beaucoup plus mal perçu au niveau global. La richesse matérielle se fait pourtant reconnaître comme richesse parmi les productions par son échange avec de la monnaie qui est une autre fabrication humaine précédemment reconnue comme une richesse par un groupe donné.

Monnaie et richesse aborde le même concept, la monnaie l’aborde quantitativement quand la richesse l’aborde qualitativement.

La monnaie étant un véhicule de l’énergie humaine que le groupe juge avoir été bien utilisée, elle mesure quantitativement une autre expression de l’énergie humaine bien utilisée d’après le groupe, à savoir sa richesse matérielle. La richesse matérielle d’un groupe et la quantité de monnaie, recouvrent donc toutes les deux le résultat de l’énergie humaine que le groupe juge avoir été dépensée intelligemment. Elles sont par définition identiques et la quantité de monnaie en circulation dans un groupe doit donc correspondre à la quantité de richesse matérielle vivante. Elle doit augmenter quand le groupe pense s’être enrichi, elle doit diminuer quand le groupe pense s’être appauvri.

On peut imaginer qu’à l’introduction d’une monnaie dans un groupe, on a évalué en la chiffrant la richesse matérielle de chacun, on a tout additionné, on en a tiré un chiffrage de la richesse collective du groupe sans oublier de chiffrer ce qui appartenait à la collectivité. C’est alors qu’on a fait une image de cette richesse, une image du travail déjà effectué, son double avec une matière rare, pérenne, transportable et divisible. Au départ les membres du groupe ont des biens, le groupe a des biens et de la monnaie. Le groupe, appelons-le l’État, ne garde alors que la monnaie correspondant à ses biens propres et distribue à chacun la monnaie équivalente à ce qu’il possède déjà, beaucoup à celui qui a beaucoup, rien à celui qui n’a rien. L’introduction de la monnaie ne change en rien la propriété des uns et des autres et celui qui n’a que son travail à vendre, voit simplement devenir concret le fruit de son effort. A la création de nouveaux biens reconnus comme richesse, le groupe augmente la monnaie, à la mort de ces biens, le groupe diminue la monnaie.

La bonne quantité de monnaie qui doit rester en permanence le chiffrage par le groupe de sa richesse matérielle du moment, dépend donc de cinq facteurs. Trois sont évidents, sa création (augmentation de la quantité de monnaie en circulation), sa circulation (sa capacité à reconnaître plusieurs fois de la richesse) et sa destruction (diminution de la quantité de monnaie en circulation). Deux le sont moins mais ont autant d’impact, sa consommation (on consomme de la monnaie en détruisant des richesses) et sa dissimulation (l’épargne).

Une première réflexion s’impose suivant que la monnaie est déjà perçue comme une richesse en soi comme l’or ou l’argent ou qu’elle n’est qu’un symbole comme le papier-monnaie ou l’argent virtuel. Dans le premier cas l’or ou l’argent fait partie de la richesse du groupe et la monnaie est une valeur reconnue pouvant par simple fonte redevenir richesse. L’inconvénient est qu’en frappant monnaie, on stérilise une partie de la richesse du groupe pour en faire de la monnaie, mais l’avantage est que le rééquilibrage entre richesse et monnaie est très facile à faire. Pour garder l’égalité entre la monnaie et la richesse il suffit, si la richesse monte, de frapper de nouvelles pièces, et si elle descend d’en fondre. En revanche avec du papier-monnaie ou de la monnaie virtuelle, il n’y a que la confiance en ses fabricants qui garantit qu’il n’y aura pas plus de monnaie que de richesses, ce qui dévaloriserait malhonnêtement la monnaie.

Nous pourrons nous demander dans un prochain billet s’il n’y aurait pas un lien de ce type entre ces coïncidences constatées : La crise de la tulipe est arrivée au XVIIe siècle à la fin de la guerre ruineuse « des quatre-vingts ans » entre les sept provinces protestantes du nord des Pays-Bas et l’Espagne catholique ; le système de Law (que l’on prononçait Lasse) est arrivé au XVIIe siècle quand le Régent n’arrivait plus à payer les guerres de Louis XIV ; les assignats sont apparus quand la république française se battait contre toute l’Europe; la catastrophe du mark de Weimar a suivi le défaite allemande de 1918 et le change flottant depuis 1971 n’a fait que constater l’échec des accords de Bretton Woods en fin de deuxième guerre mondiale sans faire le lien avec la fin catastrophique de tous ses prédécesseurs. Depuis 1971 tous les gouvernements occidentaux ont en plus inventé, pour plaire au peuple et garder le pouvoir, la notion de croissance économique qui justifierait qualitativement, mais évidemment pas quantitativement même si elle était réelle, la fabrication de monnaie. Tant que le peuple accepte de faire semblant d’y croire, il ne fait que laisser, toute honte bue, les drames de l’explosion à ses enfants. N’y aurait-il pas un lien avec le fait qu’il fait de moins en moins d’enfants et qu’il laisse la place ?

De tous côtés les petits maîtres abondent qui apportent leur solution miracle en évitant la question essentielle. Mais cette question ne pourra être sérieusement abordée que lorsque nous aurons reconnu que la richesse matérielle meurt comme elle naît et que la monnaie n’en est que l’image transportable aussi volatile qu’elle. Ce n’est pas du tout ce qui est enseigné dans nos universités.

9 réflexions sur « Naissance, vie et mort de la richesse matérielle »

  1. Encore un approfondissement de plus dans l’analyse des faux repères qui rendent le bon sens à chaque instant plus discutable pour ceux qui veulent tenter de comprendre pourquoi on s’enfonce dans l’absurdité. Merci.
    Cependant le peuple ne fait pas semblant d’y croire, il croit que ce qu’on lui dit est la vérité et que c’est lui qui n’est pas capable de comprendre, puisqu’il n’a pas le « niveau », et la partie du peuple qui se doute qu’il y a une « incohérence dans tout ça » ne s’autorise pas, pas encore, à dire « stop ! » Mais il y a une partie du peuple, chaque jour plus importante, qui comprend bien qu’il y a un « truc qui ne va pas », une incohérence chaque jour plus stridente, dans notre système sans pour autant considérer qu’il dispose des moyens intellectuels pour le comprendre. Tout est une question de temps et donc d’engagement et d’investissement de chacun pour faire comprendre aux autres, en toutes occasions. En de telles circonstances, le bon sens devient alors évident.
    Cher Marc, pourrait-on avoir une précision sur la phrase : « N’y aurait-il pas un lien avec le fait qu’il fait de moins en moins d’enfants et qu’il laisse la place ? » en fin du dernier § !

    • Je crains qu’il y ait un lien entre la diminution flagrante du nombre d’enfants et la peur d’un futur que tout le monde, sauf les immigrants, ne voit plus comme un eldorado.

  2. Vous écrivez : « En revanche avec du papier-monnaie ou de la monnaie virtuelle, il n’y a que la confiance en ses fabricants qui garantit qu’il n’y aura pas plus de monnaie que de richesses, ce qui dévaloriserait malhonnêtement la monnaie. »
    Or, il y a une lourde tendance à remplacer pour les échanges marchands la monnaie-papier par la monnaie virtuelle, les écritures par voie électronique, carte, etc, qui sont peut-être de la matière dans la mesure où il y a transfert d’octets ? Cette monnaie virtuelle est extrêmement facile à falsifier, à bloquer si besoin.
    Auriez-vous l’obligeance d’en étudier les effets ?

    • Les effets sont malheureusement une inflation dans son vrai sens de monnaies qui enflent et ne valent objectivement plus rien. Nous sommes dans le système de Law, dans les assignats, dans le mark de Weimar avant leur effondrement. Nos dirigeants, par manque de courage et de discernement, ne se préoccupent que de retarder l’effondrement en le rendant chaque jour potentiellement plus catastrophique.

      • Cher Marc, je ne pense pas que ce soit un manque de discernement, ni même de courage. Nos « dirigeants » se moquent complètement du bien commun, et encore plus de l’avenir. Est-ce un pur hasard que ni Macron, ni May, ni Merkel (trois « M ») n’aient de progéniture. après eux, le déluge.

        • 3M, n’est-ce pas le spécialiste de ce qui colle au doigt, façon sparadrap du capitaine Haddock ?

          Plus sérieusement les vrais responsables de ce refus de regarder la réalité en face, sont là où les rémunérations sont les plus fortes : banque, politique, sport, médias, publicité. Et comme ils vivent en circuit fermé ( un Darmanin n’a jamais fait autre chose que de la politique), ils se convainquent mutuellement que leurs rêves sont la réalité.

          N’ayant aucune vision sincère du bien commun, ils n’ont d’autre choix que le spectacle et l’apparence; le tout avec la complicité du peuple qui n’a pas très envie de se réveiller. Ils ont besoin des trois esclavages du mondialisme, de la dette et de l’immigration pour leur tenir un moment la tête hors de l’eau. C’est la complicité du peuple qui laisse songeur.

          • Marc, tu as raison de dire que les gouvernants ne pensent qu’à eux, et aussi de t’étonner sur ce que tu appelles la « complicité » du peuple.
            Mais en tant qu’issu d’une grande école toi-même, tu connais le poids des diplômes, des élites, des pseudo-sachants. Si un « expert » l’a dit, et si, en plus c’est « vu à la télé », comment lutter contre ce type de propagande, quand le système financier, le système politique, les médias (pour faire simple, le fric et la com.) véhiculent le même message: « dormez tranquilles les gueux » (on les appelle autrement, bien sûr) nous veillons sur vous, nous vous disons ce qu’il faut savoir, ce qu’il faut faire.

  3. Cher Marc,

    Et si l’hédonisme était clef du hiatus entre valeur, monnaie, richesse ?
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    Il me semble que le rapport entre monnaie et richesse doit être analysé, aujourd’hui, au travers de la spécificité du libéral-libertarisme, c-à-d de la phase actuelle et peut-être ultime du libéralisme. Jusque dans les années 1970-80, le capitalisme vivait encore sur ce que Castoriadis (dans « La montée de l’insignifiance ») appelait des « types anthropologiques » hérités du passé, à commencer par les ouvriers et artisans soucieux de la belle ouvrage. L’entrepreneur, seule création anthropologique du capitalisme, était le passionné décrit par Schumpeter, tout entier tendu vers l’élargissement de l’entreprise au moyen de l’avancée technique et des nouvelles méthodes de conquête du marché.

    Mais en perpétuelle révolution, le capitalisme détruit cette anthropologie : il ne veut plus de métiers, mais des emplois, autrement dit plus d’activités stables où le travailleur peut s’épanouir, mais des activités provisoires pour des nomades du travail, car désormais la mobilité est valorisée, pendant que l’enracinement devient de la « frilosité », de la « peur face au changement ». Plus de frontières entre les pays, entre les hommes, entre les métiers, juste un grand terrain vague qui n’entrave en rien l’accumulation du capital.

    Plus d’entrepreneurs façon Schumpeter non plus, ces gens-là sont trop stables. Aujourd’hui, place aux « managers » qui « managent » les « ressources humaines » comme les matières premières et les stocks de production. Place aux « managers » qui considèrent l’entreprise elle-même comme une marchandise : OPA, spéculations boursières, mécanos de fusion-scission rapportent plus et plus vite que de s’échiner dans de classiques travaux d’entreprises.
    Alors, monnaie, richesse, qu’est-ce que cela signifie désormais ? Pourquoi y aurait-il un lien entre elles ? Ce lien de bon sens correspondait à un paradigme qui n’existe plus. Mai 68 a symboliquement liquidé ce qui restait de l’anthropologie ancienne. Symboliquement, parce que le mouvement de fond est bien sûr parti des Etats Unis. C’est l’alliance entre la « French Theory » (Bourdieu, Lacan, Lévi-Strauss, Deleuze, Althusser) et la « gauche » américaine sous Clinton qui a vraiment lancé la mécanique libéral-libertaire. Cohn-Bendit et ses copains hippies américains ne sont que les porte-parole d’une société qui veut bénéficier des promesses du capitalisme. Ce que j’ignore, c’est si cette société avait bien compris que cela l’entraînerait vers la destruction de tous les obstacles au pouvoir de l’Economie. Une destruction que l’individu-roi (mais un roi nu), manipulé par le nouveau Système, accomplira, armé de son hédonisme libéral-libertaire.

    Hédonisme. voilà peut-être une clef du hiatus entre valeur, monnaie, richesse. Michéa a, je crois, décrit parfaitement la « société du spectacle » que le libéral-libertarisme instaure. Le « Spectacle », selon lui, est l’état d’une société (la nôtre) où la valeur d’échange n’est plus fixée en référence à une valeur d’usage, mais se prend elle-même pour objet d’échange. Concrètement, j’achète un objet non pas (ou non plus exclusivement) pour son utilité, pour sa beauté ou sa rareté, mais pour sa valeur d’échange. Autrement dit, j’achète la consommation elle-même, le signe qu’elle représente. Entendons-nous bien : ce n’est pas comme acheter un château ou une Ferrari pour montrer sa réussite, son amour du beau ou les deux à la fois ; c’est acheter le dernier Iphone, les dernières godasses Nike pour montrer que je suis un consommateur, que je suis statutairement dans le monde de la Consommation.

    Dans ces conditions, le capitalisme de consommation (né, martelons-le, du mariage du libéralisme économique et du libertarisme sociétal) a besoin du travail pour produire de la valeur et non, comme naguère, pour produire des objets dont la valeur dépend de leur utilité ou de leur beauté. Ces derniers peuvent encore exister (au moins les utiles) mais utilité et beauté sont désormais insuffisantes pour créer la valeur. Il faut que ces objets soient, en plus et nécessairement, ressentis comme de la consommation visible par le nomade inculte. Le génie d’un type comme Steve Jobs est d’avoir compris cela mieux que quiconque : il suffit de voir la ruée des nomades dans les magasins à la sortie du dernier « I-machintruc »…

    Tu dis : »La richesse est un regard subjectif sur l’efficacité du travail humain alors que la monnaie est un véhicule concret, objectif et chiffrable de ce même travail humain. » Plus aujourd’hui. Hélas. Les paradigmes ont changé, parce que la civilisation est en train de changer dans un mauvais sens. Elle se fout de l’efficacité du travail humain, même s’il demeure nécessaire : la richesse du nomade est dans la consommation de l’objet qu’il détruit en consommant. Et la monnaie chiffre non pas le travail humain, mais le désir hédoniste de consommation du nomade.

    • Je suis ô combien d’accord avec toi Pierre et j’écris ce qui devrait être et non, hélas ce qui est.

      Comment trouver en nous le courage de nous regrouper pour remettre le bon sens dans la tête de nos concitoyens ? La guerre remet certes tout d’aplomb, les managers et tous les « sans métier » n’y ont pas leurs places; le courage, le bon sens et l’humilité y retrouvent droit de cité. Mais pour éviter la guerre et tout de même se retrouver debout il n’y a que la prise de conscience que l’hédonisme est ravageur.

      Mais l’hédonisme est tellement attrayant et les adolescents comme les vingtenaires tellement plus désireux de profiter de la vie que de la construire ! Tant que les médias nous sont interdits et que nous n’avons le droit que de crier dans le désert ……. nous pouvons au moins écrire. Cela reste.

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