Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme

Il y a un peu plus d’un an, en octobre 2017, j’écrivais Lorsque l’orage menace… qui était introduit par ce chapeau qui annonçait les Gilets jaunes:

Lorsque l’orage menace, le troupeau se rassemble. Le problème n’est pas alors de savoir quoi faire mais de le faire ensemble, de savoir avec qui le faire, de ne plus être seul à ne pas savoir quoi faire. Partager son angoisse avec ses congénères est l’instinct grégaire habituel des mammifères dont les humains.

Aujourd’hui la question se pose de comprendre cette angoisse ou de la laisser ravager les êtres de l’intérieur jusqu’à ce qu’elle nous submerge tous par la guerre dont les protagonistes aléatoires se choisissent au dernier moment sous n’importe quel prétexte tellement ils ont peu d’importance. L’important est de s’entretuer pour trouver un coupable à l’aveuglement collectif. La guerre est abominable pour ceux qui la vivent mais elle a l’immense avantage de remettre à plat tout ce que les dirigeants ont été incapables de faire par refus de regarder la réalité du problème. Elle peut être civile entre citoyens ou militaire entre soldats mais elle fait toujours son travail. Elle seule a généré les républiques depuis que nous avons réduit ce mot à l’une de ses formes en lui retirant son sens simple de « chose publique » admirablement décrit  au règne d’Henri III, le dernier des Valois, par Jean Bodin en 1578 dans Les six livres de la république classés en monarchie, aristocratie et démocratie. La première république française est née de la révolution, la deuxième, des émeutes parisiennes de 1848, la troisième, de la guerre de 70, la quatrième, de la seconde guerre mondiale et la cinquième, de la guerre d’Algérie.

L’angoisse actuelle qui construit si l’on n’y prend garde la prochaine guerre, vient d’une prise de conscience intuitive du peuple que, s’il n’a pas la solution, ses élites autoproclamées ne l’ont pas non plus. La classe qui dirige le pays n’a rigoureusement rien compris à l’économie tout en s’entêtant à se croire seule depuis deux siècles à la comprendre. Ce magma informe et sans cesse en croissance, mélange politico-médiatico-publicito-universitaire de plus en plus coûteux, improductif et citadin, continue à croire et à faire croire que nous créons chaque année des richesses et que la seule question est d’en produire davantage et de mieux les partager. Pour s’occuper et pour ne pas regarder la réalité en face, elle se divise entre ceux qui accusent l’État d’être obèse et ceux qui accusent « les riches » de tout accaparer. Comme évidemment personne n’accapare ce qui n’existe pas, les deux parties se sont artificiellement  et mutuellement montés en mayonnaise pour tenter de prouver toutes les deux que l’on a créé beaucoup de richesses, que l’on va en créer encore davantage et que Lavoisier avait tort de dire « Rien ne se perd rien ne se crée, tout se transforme« .

L’État avec son administration de plus en plus nombreuse tellement la tâche est ardue, a comme activité quasiment unique de reprendre au peuple les richesses imaginaires qu’il a annoncé lui avoir procurées et que le peuple a cru avoir gagnées. Il le fait par la montée sans fin des normes, des obligations et des interdictions qui rendent tout plus coûteux et par la montée tout aussi illimitée du jeu subtil entre les taxes identiques pour tous et les impôts plus individualisés. Tout naturellement, étant tellement absorbé par cette tâche qui coûte très cher, il ferme les postes, les hôpitaux, les gares, les gendarmeries, les commissariats, les tribunaux et les casernes.

De leur côté « les riches » se rachètent mutuellement entre eux à des prix de plus en plus délirants les parts qu’ils détiennent sur ce qu’ils affirment être leur richesse, en actions, en immobilier, en médias et en œuvres d’art. Cela permet de rendre jaloux le bon peuple à qui l’on fait croire que très peu de personnes détiennent la quasi totalité des richesses mondiales mais cela permet surtout à ces riches de dépenser ostensiblement l’argent créé par les banques pour bien prouver qu’ils sont riches.

C’est là où les banques et les universitaires sont mis a contribution. Les banques fabriquent de la monnaie en faisant monter sans fin la dette et les universitaires, suivis par leurs étudiants et par les médias, expliquent sans rire que dépenser c’est s’enrichir. Le PIB, somme annuelle de toutes les dépenses publiques et privées est présenté doctement comme une création annuelle de richesse et sert de référence à une flopée de schémas ineptes qui tournent en boucle. Les imbéciles qui, lorsqu’on leur montre la lune regardent le doigt, répètent que si le PIB n’est pas parfait c’est au moins un indicateur.

Regardons de plus près ce fleuron du magma qu’est Emmanuel Macron. Quand, du sommet de son Olympe, il disait à Davos le 24 janvier 2018 « La situation est très claire: il faut rendre la France plus compétitive, plus novatrice pour pouvoir financer justement un système juste », il condensait en une courte phrase toutes ses erreurs d’analyse. Sa seule excuse était d’avoir un but assez sympathique, un système juste qui est un but final louable. Encore eut-il fallu qu’il dise ce qu’est pour lui un système juste et si l’intention est louable, la voie choisie est aussi stupide que les moyens pour y arriver. Il est navrant d’avoir à l’expliquer.

D’abord regardons son but, financer. Financer c’est normalement simplement mener à bonne fin. Mener à bonne fin c’est se servir de l’énergie de tous nos compatriotes en les sortant du chômage pour utiliser leurs capacités telles qu’elles sont et nous enrichir de ce qu’ils savent faire, comme le fait n’importe quelle famille. Mais financer est devenu dans la tête et la parole du magma, mener à bonne fin non pas grâce à l’énergie des Français mais uniquement grâce à l’énergie monétaire depuis que cette énergie n’a plus de source. Chacun peut observer que les banques fabriquent de l’argent sans vergogne pour répondre aux demandes de moyens venues de toutes parts et que cette avalanche de monnaie ne fait que faire monter la dette et les prix en dévaluant la monnaie dont l’énergie se disperse. Financer tel que les composants du magma le comprenne c’est appauvrir le peuple et lui vendre en même temps tout plus cher. C’est une double peine.

Ensuite regardons ses moyens pour avoir cet argent qui lui est si précieux. Rendre la France... Il ne dit pas « les Français » mais « la France ». Comment parler de la France quand on la découpe en macro-régions arbitraires à l’allemande, soumises à la nouvelle Sainte Trinité, Bruxelles Strasbourg Luxembourg, sous l’égide d’un quelconque poivrot de service que de braves âmes sont obligées de soutenir quand il est de sortie ? Sa France à lui est destinée à mourir pour que son rêve s’accomplisse et les Français ne peuvent pas bien le vivre.

Continuons. Rendre la France plus compétitive est la première ânerie martelée par le magma qui ne veut pas voir l’incohérence globale de son système et rêve de le financer en faisant payer les autres par une balance commerciale excédentaire non rééquilibrée normalement par un réajustement des monnaies. Son idée est qu’il faut faire mourir les entreprises des autres pays pour que les autres achètent enfin nos produits et finance notre système. Il n’ose pas vraiment le dire comme ça car tous ceux qui se retrouvent à Davos disent la même chose à leurs peuples. Il claironne qu’il faut rendre la France plus compétitive alors qu’il faut d’abord utiliser toutes ses énergies par une collaboration interne intelligente au travers peut-être de sociétés d’économie mixte embauchant tous les sans-emplois de France pour leur faire faire ce qu’ils savent déjà faire. C’est le principe de l’avantage comparatif de Ricardo que le magma impose bêtement à l’extérieur en oubliant aussi bêtement de l’appliquer à l’intérieur. Il faut évidemment abandonner le long formatage à grand frais de notre système éducatif destiné principalement à une utilisation à peu de frais de matériau humain indifférencié par les entreprises. Il faut en revanche reconnaître en espèces sonnantes et trébuchantes l’utilité de tous les Français et c’est le premier rôle d’un gouvernement qui n’y est qu’aidé par les entreprises dont ce n’est pas la vocation première alors que c’est la sienne. La lâcheté du magma à se décharger de l’emploi sur les entreprises en profitant du formatage général à l’aveuglement, est aussi stupéfiante qu’inacceptable.

Continuons. Rendre la France plus novatrice est la seconde ânerie qu’utilisent tous les charlatans pour décrire sans risque, et en se faisant payer très cher, des lendemains qui chantent. J’ai un problème? Demain le résoudra ! Nous avons des chômeurs ? Vous n’imaginez pas les nouveaux emplois que l’innovation va créer ! Vous êtes malade ? Ma potion est miraculeuse !

Henri Queuille qui a été ministre un nombre incalculable de fois et trois fois chef du gouvernement, a prédit Emmanuel Macron et ses prédécesseurs 60 ans à l’avance en expliquant parfaitement la politique du magma qui était pourtant à l’époque encore très minoritaire:

« Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout ».

« La politique ne consiste pas à faire taire les problèmes mais à faire taire ceux qui les posent ».

« Toute réforme fiscale consiste à supprimer des impôts sur des choses qui étaient taxées depuis longtemps pour les remplacer par des nouveaux plus lourds, sur des choses qui ne l’étaient pas ».

« Quand vous êtes embêtés embrouillez tout ».

Tant que le magma continuera à croire et à faire croire que les entreprises créent des richesses parce que les banques fabriquent de la fausse monnaie pour transformer leurs productions en richesses en faisant monter la dette, tant que les gouvernements n’auront pas envie de créer des structures permettant à tous les chômeurs d’enrichir la France par leur savoir-faire, tant que, nous croyant riches, nous alimenterons l’immense armée d’inutiles qui ne vivent que sur le petit nombre qui travaille encore et qui succombe, l’angoisse se diffusera, la violence prospérera et le ridicule se montrera chaque jour davantage.

9 réflexions sur « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »

  1. Voila un « article » diagnostic encore plus strident, profond et flagrant que les précédents mais qui n’atteindra toujours pas les sourds et aveugles élus, fonctionnaires et dirigeants formatés, même ceux « à l’insu de leur plein gré ».
    Merci de diffuser largement cet article afin d’apporter une explication à tous ceux qui sont légitimement en colère et, bien que se croyant incapable d’exprimer cette analyse à la tribune du Collège de France, sont tout à fait capable d’apprécier cette explication de leur constat d’une société absurde qui nous asphyxie de toute part. Ceci étant constaté chaque jour, parfois même de façon stupéfiante, lors de mes échanges avec des citoyennes et des citoyens anonymes mais plein de bon sens alors que considéré par notre élite comme des moutons grincheux décérébrés.
    Le réveil citoyen est en train de se mettre debout !
    2019 va être une belle année de renaissance de la France !

    • Je crois en effet que l’angoisse s’amoindrit quand on la comprend car cela ouvre des perspectives d’action.

      Faire remonter l’analyse dans le débat qui s’ouvre pourrait avoir son intérêt. Qui se sent capable de faire parvenir ce billet à Chantal Jouanno ?

  2. J’aime beaucoup « L’État avec son administration de plus en plus nombreuse tellement la tâche est ardue, a comme activité quasiment unique de reprendre au peuple les richesses imaginaires qu’il a annoncé lui avoir procurées et que le peuple a cru avoir gagnées. »

  3. Je crois bien avoir appris jadis que « Rien ne se perd, rien ne se crée » (formulé en latin « at quoniam supra docui, nihil posse creari de nihilo, neque quod genitum est, at nil revocari ») est une phrase de Descartes… Cela figurait en ces termes dans mon livre de…mathématiques en « Math’élem », en 1953.

    • C’est Anaxagore à ma connaissance qui a dit le premier « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau ».

      Mais vous avez sûrement raison et je me suis laissé allé à croire sans la vérifier la rumeur qui attribue cette phrase à Lavoisier.

      Merci de cette rectification mais je pense qu’au cours des siècles beaucoup d’hommes ont compris que la création n’est pas œuvre humaine et que l’homme comme la nature ne savent que transformer. D’ailleurs après une rapide recherche votre citation latine viendrait du tome I de « La nature des choses » de Lucrèce. Comme quoi le bon sens est éternel. Merci en tout cas de l’intérêt que vous portez à ce blog.

  4. Il y a beaucoup de vrai dans cet article qui exprime parfois des vérités premières, mais que l’on avait plus guère l’habitude d’entendre, parfois une pensée originale, mais à laquelle on souhaite adhérer, exprimée de façon concise et percutante. Quelques questions cependant restent en suspens, ou en découlent, au moins pour l’esprit limité de l’homme politique que je suis. Par exemple :
    1. Si ceux qui répètent que, « si le PIB n’est pas parfait, c’est au moins un indicateur », sont « des imbéciles qui, lorsqu’on leur montre la lune regardent le doigt », est-ce-à dire qu’il faut renoncer à toute quantification statistique de la production, ou de la consommation, de biens et de services ? Et, si on peut les quantifier, selon quelle méthode et quels critères ?
    2. Si le plein emploi est de la responsabilité première de l’Etat, et non des entreprises, comment, en dehors de la formation, peut-il assumer cette responsabilité, notamment vis-à-vis des personnes que les entreprises, à tort ou à raison, ne souhaitent pas embaucher ? Faut-il par exemple créer de toutes pièces des emplois publics pour les occuper ? Faut-il créer un organisme sur le modèle des Ateliers Nationaux de 1848, dont l’expérience fut un échec ? Ou quoi d’autre ?
    Merci de faire en sorte que l’élu sourd et aveugle que je suis, selon l’expression de M. Harel, se mette à voir et à entendre…

    • Faut-il renoncer à toute quantification statistique de la production, ou de la consommation, de biens et de services ?

      La quantification est très utile si l’on est capable de quantifier après avoir clairement qualifié ce que l’on veut quantifier . Nous qualifions parfaitement les étoiles mais reconnaissons être incapables de les quantifier. Par ailleurs il faut être aussi prétentieux et intéressé que le GIEC pour quantifier ce qu’il est incapable de qualifier clairement.

      En économie, la quantification ne pourra s’envisager que lorsqu’on aura clarifié les rapports entre la production, la richesse et la monnaie. La quantification étant faite pour être utilisée, devons-nous additionner, soustraire, multiplier ou diviser ce qui produit de la pollution, ce qui produit du blé et ce qui produit des voitures ? Ne quantifions-nous pas uniquement pour nous rassurer en nous donnant l’impression d’être objectifs?

      La deuxième question est le sujet de fond de la politique. Imaginons un pays sans banques où l’État serait obligé de créer la monnaie de son peuple, monnaie toujours fondée sur une reconnaissance de dette de la collectivité. L’argent existant a permis la création d’entreprises qui, par leurs productions, font circuler l’argent de leurs clients vers leurs salariés, leurs fournisseurs et leurs actionnaires tout en en restituant au passage une partie à l’État. Mais le groupe croît et a besoin d’argent supplémentaire qui doit rester une reconnaissance de dette pour ne pas se dévaluer comme au XXe siècle. Les entreprises remplissent leur rôle de circulation de la monnaie existante mais c’est le rôle de l’État de s’occuper de tout ceux dont l’énergie n’est pas utilisée par les entreprises. Il doit les rendre créanciers du groupe pour pouvoir créer de la monnaie et la leur donner sans la dévaluer. Pour les rendre créanciers du groupe, il doit les faire travailler pour le groupe. Les formes peuvent être diverses et la société d’économie mixte utilisant l’initiative personnelle et la puissance publique est sans doute l’axe de réflexion le plus intéressant et qui est en effet sur le même axe intellectuel que les Ateliers Nationaux.

      Mais tout cela n’est envisageable qu’en retrouvant le bon sens de la création monétaire par l’État et jamais par des entreprises privées appelées banques qui ont tué dans l’œuf les Ateliers Nationaux.

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