L’absurdité des raisonnements économiques

Les yeux bandés personne ne voit rien et personne ne s’en étonne. En économie personne ne comprend, y compris ceux qui l’enseignent ou qui l’apprennent et tout le monde feint de savoir ou de s’en étonner ou de jouer à la fausse humilité.

La raison en est pourtant très simple : on a changé le sens du PIB, le produit intérieur brut, en laissant croire que c’est encore un produit alors qu’au départ ce n’est qu’un échange dont un des termes est la monnaie. C’est un achat pour l’acheteur, une vente pour le vendeur. L’achat peut être désiré comme c’est habituellement le cas. Il peut aussi être imposé comme l’assurance de sa voiture ou les frais du compte bancaire obligatoire. Il peut enfin être subi comme les soins ou les réparations après un accident. Dans tous les cas il est comptabilisé dans le PIB que l’INSEE calcule de trois façons différentes : la somme de tout l’argent qui a été dépensé, la somme de tous les biens et services qui ont été vendus en les calculant au mieux, et la somme de toutes les transactions, les trois modes de calculs donnant évidemment la même chose si on ne s’est pas trompé.

Cela avait un sens tant que l’argent dépensé était le fruit d’un travail déjà effectué car si le PIB a toujours été la somme de toutes les dépenses publiques et privées, il était aussi au départ, lorsqu’il a été imaginé après la deuxième guerre mondiale, la somme de tout ce qu’un peuple était capable de produire d’intéressant. L’intérêt était prouvé par une dépense d’argent préalablement gagné.

Cela est resté vrai tant que les prêts étaient des prêts sur gage, réservés à ceux qui avaient obtenu préalablement le gage qu’ils apportaient en garantie.

Mais tout a explosé quand les banques se sont mises par la double écriture (créance  à l’actif identique à la dette au passif) à prêter de l’argent qu’elles n’avaient pas. Ne leur coûtant rien, elles se sont mises à prêter non plus sur gage préexistant mais sur richesse future à créer. La fabrication de fausse monnaie légale  était enclenchée et s’est emballée à partir du 15 août 1971, lorsque Nixon a déconnecté le dollar de l’or alors que les accords de Bretton Woods liaient toutes les monnaies au dollar.

On a continué à calculer le PIB de la même manière sans rien différencier et le PIB est bien évidemment resté la somme de toutes les dépenses publiques et privées. Mais il a cessé d’être la somme des productions utiles. Par le biais de l’argent emprunté on a additionné aux productions utiles, les productions futures que l’on a toutes supposées utiles. On a additionné la réalité et l’imaginaire pour en faire une fausse réalité. Ce décrochage de la dépense et de la production utile n’a jamais été pris en compte par l’économie. Si la réalité et le calcul du PIB sont bien restés la somme de toutes les dépenses publiques et privées, financées de plus en plus majoritairement par l’emprunt, le discours économique, politique et médiatique a continué à considérer le PIB comme un produit et comme une création de richesse.

Le grand écart entre la réalité du PIB, somme de toutes les dépenses, et son interprétation par les économistes comme une création de richesse a sapé à la base l’Union européenne en 1992 avec le traité de Maastricht qui impose un déficit public inférieur à 3% du PIB et une dette publique inférieure à 60% du PIB. Cela avait un sens quand le PIB était une création annuelle de richesse reconnue. Cela n’en a plus aucun depuis que le PIB n’est plus que la somme de toutes nos dépenses. Il suffit de dépenser plus en empruntant pour avoir le droit de dépenser encore plus et d’emprunter encore davantage. Qui osera éclater de rire d’abord et se scandaliser ensuite ?

On a atteint des sommets en appelant croissance économique et carrément croissance tout court, l’augmentation du PIB, c’est à dire l’augmentation des dépenses. Pas un politique ne nous épargne le rabâchage que seule la croissance nous fera sortir du tunnel. Faut-il être énarque pour comprendre que si l’on règle apparemment en effet beaucoup de problèmes en dépensant de l’argent que l’on n’a pas, cela ne fait que reporter les problèmes en les aggravant. Mais si l’on dit que la dépense est création de richesse, tout devient possible, il n’y a qu’à emprunter. C’est ce que nous faisons sur toute la Terre. Les gouvernements par prudence augmentent tout de même tous (sauf le nôtre) leur budget militaire car l’issue est connue de tous même s’il faut endormir les peuples.

A titre d’exemple intéressons-nous à Jean-Claude Trichet pour ne pas avoir à ressusciter ce pauvre Michel Camdessus.

Jean-Claude Trichet est sans doute actuellement l’expert des experts. Énarque bien sûr, socialiste à 20 ans comme eux tous, conseiller de Giscard à l’Elysée, directeur de cabinet de Balladur au ministère des Finances, directeur du Trésor, gouverneur de la Banque de France, président de la Banque centrale européenne, il a écrit fin 2018 un article étonnant : Un succès historique : l’euro dans lequel il affirme entre autres « La zone euro est un succès en termes de croissance d’ensemble de l’économie réelle, mesurée depuis sa création jusqu’à aujourd’hui ». Il y expose son raisonnement :

Pour que la comparaison entre les États-Unis et la zone euro soit aussi sûre que possible, je m’en tiendrai aux chiffres du Fonds monétaire international. Selon le FMI, le produit intérieur brut par tête de la zone euro était, en 1999, de 22 310 dollars comparé à 34 600 dollars aux États-Unis. Selon les prévisions actuelles, les produits intérieurs bruts par tête en 2018 devraient être respectivement de 42 070 dollars et 62 150 dollars. Les dollars sont les dollars courants sur la période. Ces calculs du FMI suggèrent une multiplication du PIB par tête en dollars courants de 1,89 dans la zone euro et de 1,80 aux États-Unis. La différence, à l’avantage de la zone euro, est modeste et ne suggère pas un avantage significatif, mais cette différence ne confirme évidemment pas l’échec économique souvent mis en avant.

Comme tous les partisans de l’euro, il parle en dollars mais que quelqu’un de réputé intelligent se réjouisse qu’un Européen augmente plus rapidement ses dépenses qu’un Américain laisse pantois et ne s’explique que par la religion imbécile du PIB qui serait encore création de richesses alors qu’il n’est fabriqué que par la montées des emprunts tant publics que privés. Et en effet les Européens tirent encore plus sur la corde que les Américains. J.C. Trichet a-t-il raison de s’en réjouir ?

Il est aussi cocasse d’entendre les économistes libéraux s’offusquer de voir l’État dépenser 47 % de la richesse produite alors qu’il ne fait que dépenser 47% de la dépense globale, les autres 53% étant dépensé par le privé, toutes les dépenses étant de plus en plus financées par l’emprunt qui monte, qui monte, qui monte…

Comprendre que le PIB n’est plus un produit en dépit de son nom et que la croissance n’est que l’augmentation des dépenses financée par la dette, devient le premier devoir de ceux qui s’intéressent au sauvetage de notre civilisation car tout le reste en découle.

13 réflexions sur « L’absurdité des raisonnements économiques »

  1. Pour une fois, pas de critique, bravo. J’y reviendrai (en dehors du premier paragraphe dans lequel Marc a la bonne habitude de provoquer en sous-entendant que chacun est soit aveugle, soit sourd, soit de mauvaise foi)

  2. « Mais tout a explosé quand les banques se sont mises par la double écriture (créance à l’actif identique à la dette au passif) à prêter de l’argent qu’elles n’avaient pas.  »
    Ca fait quand même remonter aux années 1675 … ;-)

    • Je crains que votre affirmation soit fausse. Les banques ne prêtaient que sur gage et prêtaient de l’or. La double écriture pour créer de la monnaie n’est possible qu’avec une monnaie dématérialisée.

      • André-Jacques a évidemment raison sur le plan théorique, depuis que la comptabilité en partie double existe (17ème siècle) Mais, d’un point de vue concret, c’est le fait que les banques (qui pouvaient effectivement le faire auparavant, mais qui ne le faisaient pas, ou très peu) ont commencé à mettre en contrepartie des prêts accordés, à leur actif, des « espérances » futures et non des gages existant. Je crois que c’est LA grande trouvaille de Marc, que j’ai mis quelques années à appréhender. Prêter sur l’existant, oui, prêter sur des espérances, cela devient vite une catastrophe (surtout quand ces espérances ne sont pas « sacralisées » par l’état, mais par des agents privés)

        • Mon cher Bruno, vous avez sans doute des informations que je n’ai pas pour affirmer « [les banques] ont commencé à mettre en contrepartie des prêts accordés, à leur actif, des « espérances » futures et non des gages existant.  »
          A ma connaissance, les banques inscrivent toujours à l’actif la « garantie » correspondant au prêt et non « l’espoir de gain ».

          • Cher AJH quand j’emprunte 15000 euros à SOFINCO, cet organisme me prête cet argent si ma rémunération FUTURE, pas mes biens actuels, paraît leur suffire pour le remboursement. Je n’hypothèque pas ma maison, mon chien (ou, en Orient, ma femme) pour cela. Ce n’est donc pas un prêt sur gage. Voilà ce que Marc m’a montré, et cela me paraît évident

    • Les cryptomonnaies ne sont pas des monnaies car les monnaies ne peuvent être émises que par un pouvoir qui assume ses devoirs régaliens (armée police justice infrastructures). Les cryptomonnaies sont émises par des sous-groupes qui ne prennent pas en charge le régalien et font donc une concurrence déloyale aux vraies monnaies. Les cryptomonnaies ne peuvent survivre que tant que les vraies monnaies ne remplissent plus leur rôle, ce qui est le cas aujourd’hui. Mais cela ne peut pas durer et ne durera pas. Le jour où la monnaie retrouvera son vrai rôle les cryptomonnaies ne vaudront plus rien.

  3. Bien vu ,la croissance à crédit c’est un appauvrissement ,c’est la création d’une dette qui ne pourra jamais être remboursée et dont on finira par ne même plus pouvoir payer les intérêts .
    La dette actuelle est à 100% du PIB officiellement ,officieusement ,pas loin de 150%.
    Prenez vos calculettes ,le PIB de la France est d’environ 2300 milliards annuels depuis 2008 le déficit ANNUEL couvert par l’emprunt est d’environ 100 milliards ,ce qui fait environ 4% du PIB ,alors que dans le même temps la croissance n’est même pas de 2% par an , comme qui dirait ,il y a de « l’évaporation » cad de l’appauvrissement .
    Autrefois la croissance se faisait par les naissances qui apportaient au pays des bras pour travailler et produire ,ces bras sont de plus en plus remplacés par des machines
    Pour cacher leur incompétence et nous illusionner , les gouvernements sont condamnés à faire de la croissance à crédit et donc à nous appauvrir.
    A quand la rupture ?

  4. Marc écrit (fort justement je pense):
    <>
    Est ce que si l’on enlevait du PIB toutes les dépenses de Marketing qui ont pour but essentiel de vous faire désirer ce dont vous n’avez absolument pas besoin, on n’arriverait pas à une évaluation d’un PIB « réel » plus satisfaisant?

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