Le retour des assignats

Eternel débat sur la monnaie pour savoir si elle est une marchandise, un signe, une institution ou un symbole. Elle n’a été définie pendant des siècles en Occident que par les trois utilisations qu’Aristote lui voyait : instrument de mesure, intermédiaire d’échanges et stockage de valeur.

Mais pour mesurer, échanger ou stocker quoi ? La richesse ne se mesure pas puisqu’elle dépend du regard de chacun. Un échange ne nécessite-t-il pas deux entités à définir clairement ? Et pour stocker une valeur, ne faut-il pas que la valeur existe avant d’être stockée ?

Tant que la monnaie était en elle-même une valeur comme l’or ou l’argent, elle pouvait sans problèmes remplir les trois fonctions qu’Aristote lui trouvait. Quand on abandonnait son or, c’était toute l’histoire de cet or qui valorisait ce que l’on obtenait en échange. Et si on le stockait, il ressortait toujours inoxydé à première demande.

L’approche de la monnaie se complique quand elle devient fiduciaire (monnaie fondée sur la foi en l’émetteur). Elle est toujours au départ de la fiducie fondée sur l’équivalence avec un actif reconnu. Le système de Law en 1716 était fondé sur la richesse de la Louisiane alors française et recouvrant à l’époque plus de la moitié des actuels États-Unis. Les assignats en 1789 étaient fondés sur les biens confisqués d’abord au clergé puis à la noblesse émigrée. Les billets de banque étaient valorisés par leur équivalence en or. Cela a été pour la dernière fois affirmé en juillet 1944 dans les accords de Bretton Woods où les monnaies ont toutes été évaluées en dollar, lui-même échangeable contre de l’or.

Mais la nature humaine sait admirablement utiliser l’évidence que le papier est plus facile à imprimer que le travail à faire, l’or à être extrait, la Louisiane à rapporter ou les biens des puissants à être une source inépuisable. Le phénomène est toujours le même. On commence par en imprimer en toute bonne foi un tout petit peu plus que la richesse déjà reconnue en fondant la monnaie sur le rêve si agréable de la richesse qui sera créée grâce à la monnaie créée. Et une fois les bornes franchies, il n’y a plus de limite. On fabrique à la chaîne de la monnaie qui n’a plus comme valeur que celle que l’on accorde à leur imprimeur, et cette confiance ne dure évidemment jamais. Dans tous les cas arrive un moment ou le papier-monnaie cesse d’être monnaie pour redevenir simple papier, ce que Mirabeau avait pressenti en disant « qu’il faut bannir de la langue cet infâme mot de papier-monnaie ». Si ceux qui les impriment trahissent la confiance de leur peuple, le désastre n’est jamais loin. Pour le système de Law il a fallu 4 ans pour que Law fuie à Venise en 1720 après que le Régent ait payé les dettes de Louis XIV en monnaie de singe. Pour les assignats il a fallu 8 ans pour qu’ils ne vaillent plus rien en 1797 après que la bourgeoisie ait récupéré à bas prix les biens de la noblesse et du clergé et mis en place le Directoire ouvrant la porte au Consulat et à l’Empire.

Depuis près de 50 ans,  depuis que Nixon a arrêté le 15 août 1971 la convertibilité du dollar en or, les monnaies ne valent objectivement plus rien et attendent la reconnaissance de leur non-valeur qui peut arriver à tout instant.

Ce qu’il faut observer avec intérêt ce sont les multiples méthodes d’enfumage utilisées par ceux qui s’enrichissent sur le peuple pour faire tenir le système de fausse monnaie. Ils le font artificiellement et pour qu’il dure le plus longtemps possible tellement il leur est agréable.

Il faut déjà remarquer que la pénalisation de la fausse monnaie s’allège régulièrement avec le temps. Si dès le début de la monnaie-papier la sanction est inscrite sur tous les billets, elle est la mort au début du XIXe siècle, puis les travaux forcés à perpétuité, puis la réclusion criminelle à perpétuité. Sur le billet de 20 francs de 1997 type Debussy il est encore écrit en toutes lettres : « La contrefaçon ou la falsification des billets de banque et la mise en circulation des billets contrefaits et falsifiés sont punis par les articles 442-1 et 442-2 du code pénal de peines pouvant aller jusqu’à trente ans de réclusion criminelle et trois millions de francs d’amende ».

Techniquement l’arrivée de la monnaie dématérialisée permet d’un seul clic à n’importe quelle banque de créer toute la monnaie désirée. Plus personne n’est responsable de la quantité de monnaie en circulation que l’on affuble des appellations absconses de masses monétaires M0 M1 M2 M3 M4… que les universitaires auscultent dans l’indifférence générale.

Mais c’est surtout intellectuellement que le travail est fait pour que personne ne comprenne plus rien à la monnaie qui est et qui restera une reconnaissance de dette d’un peuple sur lui-même.

On a changé le sens de l’inflation qui était il y a 50 ans l’augmentation de la masse monétaire et qui est devenue la conséquence de son augmentation incontrôlée à savoir la hausse des prix.

On a eu l’idée géniale d’inventer le PIB, somme de toutes les dépenses publiques et privées, en l’appelant Produit pour faire croire qu’il suffisait de dépenser pour s’enrichir. Cela permet de croire s’enrichir en s’endettant. On a appelé cette stupidité, investir (mettre un vêtement) ou financer (mener à bonne fin) et cela ne fait rire personne.

On a inventé le gagnant-gagnant en transformant le double contentement d’un moment en un double enrichissement durable. On a fait de la richesse un fait objectif alors qu’elle n’est qu’un regard.

On a transformé l’emprunt qui de toute éternité avait toujours été un emprunt sur gage réservé aux riches. On en a fait un emprunt sur richesse future pour justifier la création de fausse monnaie, faire monter tous les prix et fabriquer à la pelle des faux milliardaires que l’on peut envier ou détester et qui dépensent tous de la fausse monnaie que les banques leur prêtent. Faux milliardaires car leurs fortunes ne consistent qu’en immobilier, en actions et en œuvres d’art qui ne valent cher que parce qu’ils se les rachètent entre eux à des prix faux et hallucinants payés avec des emprunts. Les riches sont ceux qui peuvent s’endetter en faisant croire qu’ils créent des richesses. Le vrai prix de l’immobilier est celui qui serait obtenu si tout devait être payé cash dans un monde sans fausse monnaie. Si l’immobilier devait être payé comptant en or, de combien de dizaines de fois moins cher serait-il et ne serait-ce pas son vrai prix?

Bien sûr, les banques créant en continu de la monnaie pour survivre, les dettes explosent. La dette publique française est d’environ 100 % du PIB et la dette privée française de l’ordre de 130 % du même PIB que l’on prétend être notre fabrication annuelle de richesses alors qu’il n’est que notre dépense annuelle, ce que les médias ne veulent pas entendre. Ne parlons pas des dettes de la Chine, des États-Unis, de l’Angleterre ou de l’Allemagne !

Mais le pire est la justification intellectuelle de la création d’argent pour créer de la richesse, justification martelée dans les grandes écoles et à l’université par des professeurs malheureusement souvent de bonne foi.

Certains professent en effet qu’il est intelligent de créer de la monnaie pour financer la fabrication, la construction ou l’achat de quelque chose qui sera reconnu comme une richesse. C’est en effet techniquement possible puisque toutes les banques le font en expliquant que la monnaie artificiellement créée sera détruite lorsque l’emprunteur la remboursera. Mais c’est économiquement dramatique car si la monnaie créée disparaît effectivement des comptes de la banque quand elle est remboursée, elle ne disparaît pas pour autant complètement car la banque ne détruit que ce qu’elle a prêté et pas les intérêts qui ont été créés ex nihilo. Cette fausse monnaie va circuler ou être épargnée et se confondre avec la bonne monnaie et donc la dévaloriser. La bonne monnaie est créée postérieurement à la création de richesses alors que la fausse monnaie est créée pour créer une richesse sans être jamais détruite.

Si l’on emprunte pour construire un viaduc que tout le monde appréciera ou une voiture dont quelqu’un a besoin, la banque oubliera tout dès qu’elle sera remboursée mais la collectivité en macroéconomie se retrouvera en possession d’un cumul. Elle aura  le viaduc ou la voiture mais elle aura aussi l’argent qui a servi à les obtenir et qui a été disséminé sans être totalement détruit. Comme il a fallu rembourser la banque, l’argent nécessaire n’a pu être trouvé que par un appauvrissement des citoyens pris individuellement ou collectivement. Depuis 50 ans, depuis que les monnaies ne sont plus que des assignats, nous ne remboursons les banques qu’en nous appauvrissant. Ne pas vouloir le comprendre c’est ne pas vouloir comprendre pourquoi un seul salaire suffisait il y a 50 ans dans toutes les classes sociales pour qu’une famille vive correctement avec au moins trois enfants alors qu’aujourd’hui dans toutes les classes sociales le niveau de vie diminue et l’on a même peur de faire des enfants, même avec deux salaires.

Quel parti politique aura le courage de prendre vraiment le parti du peuple en le remettant au travail de vraie production ou dans des emplois de vrais services à cette production pour qu’il soit à nouveau payé correctement sur ce qu’il est capable de faire sans être déformé ou formaté à Dieu sait quoi ? Mais l’immense cohorte des emplois actuels ne sert qu’à donner des soins palliatifs au système tout en prétendant l’améliorer. Cette cohorte est malheureusement majoritaire et elle nous donne la classe politique assez déboussolée que nous avons et qui ridiculise la démocratie.

Les élections européennes vont permette d’exprimer la défense du système avec l’Union européenne ou le réveil des peuples dans toutes leurs sensibilités. D’un côté des Européistes sans enfants nous parleront puissance économique, compétition, innovation, investissement, financement et populisme de ceux qui ne les admirent pas. De l’autre une multitude d’approches complémentaires cherchent à comprendre mais savent toutes que la vraie puissance est la cohérence d’une nation et que la nôtre a malheureusement aujourd’hui par notre faute des dirigeants qui ne la comprenne plus.

 

8 réflexions sur « Le retour des assignats »

  1. Bonjour
    Je me permets de ne pas être d’accord avec votre assertion  » car si la monnaie créée disparaît effectivement des comptes de la banque quand elle est remboursée, elle ne disparaît pas pour autant car personne ne la détruit. »
    En ce qui me concerne je considère sans nul doute que lors d’un remboursement de crédit la monnaie – créée lors de l’accord de crédit – est détruite de la masse monétaire totale lors du remboursement de ce crédit.
    Bien à vous

    • Je vous remercie de participer au débat car nous sommes au cœur des difficultés actuelles et ma formulation n’est peut-être pas assez claire. Je viens de la modifier pour être clair

      Si la banque fait en effet disparaître dans ses comptes l’argent qu’elle a créé, elle ne peut le faire qu’en aspirant avec les intérêts plus d’argent qu’elle n’en a créé et donc en appauvrissant la collectivité.

      En outre l’homme utilise son énergie pour survivre et quand la monnaie est créée ex nihilo, elle ne peut être remboursée que par un surcroît d’énergie que l’homme n’est pas prêt à donner.

      Enfin les remboursements se font pour cette raison de plus en plus mal ce qui explique la très mauvaise santé des banques qui prêtent à tout va pour survivre. D’où la montée sans fin de la dette.

      • AJH semble dire que s’il y avait création de monnaie sans intérêt, lors du remboursement il y aurait réellement destruction, ou remise à zéro, ce que je crois aussi
        Par ailleurs, Marc dit quelque chose d’intéressant: s’il y a création de monnaie APRES création de richesses, cela devrait fonctionner. Il me semblait pourtant que la position de Marc tout au long de son bloc était:
        1° qu’il ne pouvait y avoir création de richesse
        2° qu’elle ne pouvait être mesurée (en étant que « regard »)
        Aurais-je manqué un épisode?
        Cela m’ennuierait car il ya beaucoup de choses avec lesquelles je suis en accord, en particulier sur le fait que le PIB devrait s’appeler DIB, D pour dépenses.
        La question de base reste quand même: comment remettre au travail les chômeurs, et ce pour faire des choses utiles dont nous manquons cruellement, en particulier dans le domaine du logement et des transports

        • Ton dernier paragraphe est en effet la seule bonne question et la sous-traiter exclusivement aux entreprises est la lâcheté politique.

          Sur la théorie, si la monnaie est comme je le crois un véhicule d’énergie humaine, comment pourrait-on véhiculer quelque chose qui n’existe pas encore ?

          L’antériorité du constat de ce que nous voyons comme une richesse par rapport à la création de monnaie est fondamentale de même que la destruction de la monnaie lors de l’obsolescence de cette richesse, ce qui n’est absolument jamais fait.

          C’est voir la richesse comme quelque chose d’objectif que je condamne.

          • OK, disons qu’il peut y avoir création subjective de monnaie, et que cette subjectivité est collective (un « sujet » qui représente beaucoup de personnes, cela commence sérieusement à ressembler à de l’objectivité, non) Je précise que cette subjectivité collective dépend d’un certain groupe, qui peut être très grand, et d’une zone géographique, elle aussi potentiellement très grande, et d’une époque (parfois très resserrée, elle, si on tient compte de la mode)
            Donc accord avec Marc sur la subjectivité « collectivable » de la richesse et sur le fait qu’elle ne peut être jugée (subjectivement) qu’après avoir été « fabriquée »

      • Les explications chiffrées sur la création monétaire sont beaucoup plus parlantes .
        Mais tout d’abord il faut dire que la dette des états est achetée par l’épargne que nous déposons dans les banques et que les crédits que nous consentent les banques pour acheter une maison ,une voiture ,une forêt ou un outil de travail ,font appel à de l’argent crée EX NIHILO.
        Cette création monétaire a été planifiée par tous les banquiers mondiaux réunis à Bâle en 1972 avec l’utilisation du ratio de solvabilité de 8% qui permets aux banques de détail et d’affaires ,de prêter 12,5 fois le montant de leurs fonds propres ( 8 X 12,5 = 100 ).
        Mais les banques qui en fait s’auto contrôlent ,trichent de trois façons pour augmenter frauduleusement leurs fonds propres:
        * en comptant la valeur de leurs actifs à la valeur qui les arrangent
        * en comptant comme remboursé au premier janvier tout le capital qui doit leur être remboursé dans l’année
        * en comptant une partie de l’argent des déposants comme s’il leur appartenait
        Effectivement quand nous remboursons le capital fictif (crée ex nihilo)que la banque nous a prêté ,elle le détruit .
        Mais pour obliger les banques à récupérer cet argent fictif qu’elles nous ont prêté ,celui ci passe en perte réelle dans leurs comptes en cas de défaillance de l’emprunteur
        Juste avant la crise des subprime les experts sérieux nous disaient que les fonds propres réels des banques étaient plutôt à 3% au lieu de 8%.
        Quand une banque n’a plus que 3% de fonds propres ,cela veut dire qu’elle a prêté 33 fois ce qu’elle possède en réalité
        Ce qui veut dire qu’il suffit de seulement 3% du montant total prêté (bilan),qui ne soit pas remboursé pour tomber en fonds propres négatifs.
        C’est là que se situe le danger , soit en cas de déflation ou de crise de confiance induisant une crise économique réduisant la solvabilité des particuliers et des entreprises .
        Pourtant ,aujourd’hui les banques affirment dépasser les 10% de fonds propres ,oui c’est vrai ,comptablement , sur le papier avec le vote de la loi sur la résolution des faillites bancaires en 2016 ,elles comptent encore plus d’argent des déposants comme si celui ci leur appartenait .
        Tout ça n’est qu’un château de cartes qui ne survit qu’avec toujours plus de création monétaire et toujours plus de déficit des états pour tenter de booster la croissance

  2. Bonjour à tous,
    Entièrement d’accord avec le fait que la richesse est subjective. Elle n’existe que par un consensus dans une société donnée. Dans notre société, la richesse ne s’exprime que par la propriété matérielle, d’où le consumérisme effréné et dogme absolu avec ses conséquences sur la monnaie. A mon humble avis.

    Pour préciser ma pensée, pour moi la monnaie n’est pas de l’énergie mais du temps, du temps de vie qui lui, n’est pas renouvelable. Pour donner une image à mon propos, si nous payions tout en quantité de sang, les choses auraient une autre valeur.

  3. Excellent et très clair. Cela met bien les points sur les « i » pour ainsi dire. La fuite en avant est telle et d’une telle ampleur que la banqueroute généralisée et mondialisée, dans un contexte de surpeuplement, d’évolution climatique et d’extinction des espèces risque de se transformer en catastrophe digne d’un récit biblique : le Déluge. Cet événement, pris en tant que récit allégorique, ne relate peut-être pas une histoire du passé.

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